Abdelaziz Bouteflika a beau avoir remporté jeudi la présidentielle
algérienne avec 81 % des voix, son principal adversaire, Ali Benflis,
n’en démord pas. Crédité de 12 % des suffrages par le ministère algérien
de l’Intérieur, l’ancien Premier ministre affirme ne pas reconnaître
les résultats et proclame même sa victoire. Il s’en explique dans une
interview exclusive au Point.fr
Depuis l’annonce des résultats, vous dénoncez des fraudes. Avez-vous des preuves ?
La meilleure preuve est que le Conseil constitutionnel est une
institution aux ordres en Algérie. Il a pris parti en acceptant une
candidature (celle du président Bouteflika, NDLR) qui souffrait déjà de
beaucoup de suspicions. Le président-candidat a présenté, nous a-t-on
dit, quatre millions de signatures de citoyens, qu’il aurait réunies en
l’espace de 48 heures. J’ai dit au président du Conseil constitutionnel
que ces signatures avaient été apposées à l’insu de leurs auteurs. Or,
le Conseil n’a pas relevé qu’il y avait eu faux et usage de faux. La
fraude a donc débuté avant même le jour de l’élection. Ensuite, le
gouvernement a utilisé l’administration algérienne, du sommet à la base,
qu’il a transformée en comité de soutien du président de la République.
Mais qu’en est-il du scrutin même ?
Le jour J, j’avais dépêché mes observateurs dans les bureaux de vote.
Certains, et ils sont nombreux, ont été purement et simplement chassés
des centres pour que l’on puisse laisser l’administration continuer
l’oeuvre qu’elle avait déjà commencée. D’autres ont été menacés, ou même
enlevés pendant quelques heures, le temps de remuer ce qu’il y avait
dans les urnes. Certains, enfin, ont été achetés. Le grand gagnant de
cette affaire est la fraude, l’argent sale, et ces quelques organes
d’informations qui ont pris fait et cause pour une candidature (celle de
Bouteflika, NDLR).
Vous avez, lors d’une conférence de presse, brandi des preuves, deux PV vierges signés au préalable par les autorités ?
Il s’agissait de détails pour expliquer comment la fraude a été menée.
Mais celle-ci a été générale, et une large majorité d’Algériens vous le
diront. C’est moi qui ai été élu dans cette affaire. À plus de 50 %.
Lorsqu’il a appris qu’il allait perdre l’élection, le président a pris
l’administration et les grands services de l’État en otages. C’est lui
qui a réparti les taux pour chaque candidat. C’est lui qui s’est
auto-attribué le taux de plus de 80 %. J’assume tout ce que je dis.
Sur quoi vous basez-vous pour proclamer votre victoire ?
Je me base sur la campagne que j’ai menée dans 48 wilayas (préfectures,
NDLR) et dans des salles omnisports. Durant cette tournée, la seule
difficulté que j’ai rencontrée était de rentrer et de sortir des
meetings, car tout le monde voulait me saluer. À l’inverse, le président
était totalement absent. Il n’a pas expliqué son programme. Et sa
volonté de briguer un quatrième mandat a souffert d’un rejet total. Et
on m’indique que j’ai obtenu 12 % ? C’est une honte ! Vous savez, il y a
eu un viol constitutionnel, puis un viol de la volonté populaire le
jour de l’élection. Je ne reconnais pas les résultats.
Vous ne vous basez donc pas sur le travail de vos observateurs ?
Je me base sur ma campagne ainsi que sur ce que m’ont déclaré mes
observateurs. Et ils m’ont révélé que les procès verbaux des bureaux de
vote avaient été trafiqués par l’administration. Ces documents ont été
préétablis. On les fait signer par les membres du bureau de vote avant
qu’ils ne soient remplis, puis on écrit ce que l’on veut a posteriori,
après le dépouillement. Je savais qu’il y allait avoir de la fraude.
Mais je voulais démontrer à ceux qui pouvaient encore en douter que la
fraude a existé du début jusqu’à la fin.
Pourtant, les observateurs internationaux invités par Alger à superviser le vote ne font pas le même constat que vous...
Il y a près de 60 000 bureaux de vote en Algérie. 60 000 bureaux de
vote ! C’est-à-dire que pour donner un témoignage crédible, vous devez
être présent dans tout le pays. Ces ONG ou observateurs, Union africaine
ou Ligue arabe ont simplement vadrouillé dans quelques bureaux de vote
de la capitale. Ils ont fait un beau séjour touristique, ont été bien
reçus et ont bien mangé. Ils en prennent toute la responsabilité. A
contrario, l’Union européenne, qui sait ce qui se passe en Algérie, ne
s’est pas engagée dans cette histoire de faux témoignages.
Le président Hollande a pourtant félicité Abdelaziz Bouteflika pour sa réélection...
C’est le président français, ce n’est pas l’Union européenne. C’est son affaire. Il en prend la responsabilité.
Beaucoup d’Algériens s’attendaient à ce que vous annonciez
dès jeudi un second tour, si ce n’est votre victoire. Or, vous n’avez
rien fait de tel...
Je n’ai pas annoncé mon succès avant la proclamation des résultats car
j’estimais que ce n’était pas ce qu’il fallait faire, tout simplement.
Mais je sais que j’ai gagné l’élection, et je sais qu’ils l’ont perdue.
Le gagnant, c’est le pouvoir absolu et rien d’autre.
À en croire certains jeunes, le fait que vous ne soyez pas
allé plus loin jeudi soir prouverait que vous êtes bien un pion du
système, comme vous le reprochent vos détracteurs...
J’ai appartenu au système, mais j’y suis arrivé après le soulèvement
d’octobre 1988, en réclamant l’application des droits de l’homme (Ali
Benflis était alors membre de la Ligue des droits de l’homme, NDLR). Au
pouvoir en tant que ministre de la Justice, j’ai fait de grands efforts
pour rendre la justice algérienne indépendante. Et j’ai démissionné
trois ans après, lorsque les droits de l’homme ont été mis à mal et que
l’on n’a pas respecté mon point de vue. Oui, j’ai appartenu au
gouvernement, mais je n’ai jamais accepté les atteintes contre la
population.
Vous avez pourtant été le lieutenant de Bouteflika...
J’étais l’associé du candidat Bouteflika aux élections de 1999. Après la
victoire, je suis resté trois ans au pouvoir en tant que directeur de
cabinet de la présidence et chef de gouvernement. Mais, au cours des
trois derniers mois de 2003, un différend est né sur la loi concernant
les hydrocarbures. Le président souhaitait que l’entreprise étrangère
qui découvre un gisement pétrolier en devienne le propriétaire et ne
donne à l’État algérien que la fiscalité pétrolière. Venant d’une
famille révolutionnaire dans un pays qui s’est libéré du colonialisme,
je ne pouvais pas en accepter un nouveau. Je me suis fermement opposé à
cette loi et on a mis fin à mes fonctions. Fort heureusement, Bouteflika
est finalement revenu sur ce texte avant qu’il ne soit définitivement
adopté.
Vous n’avez jamais commenté l’énorme taux d’abstention (plus
de 48 %, NDLR). Certains analystes l’attribuent à l’absence de débats de
fond durant la campagne électorale...
C’est faux, je n’accepte pas ce jugement. Durant la campagne, j’ai
exposé mon programme dans les 48 wilayas et j’ai réalisé plus de 105
rencontres et débats à la télévision et à la radio. Il ne s’agissait
nullement d’un conflit entre Benflis et Bouteflika. Je n’ai pas remporté
l’adhésion parce que je me suis porté candidat contre quelqu’un, mais
parce que j’ai expliqué mon programme de renouveau national en long et
en large. Maintenant, il est vrai que l’abstention est là. Les tenants
du boycott ont estimé que là était la meilleure manière de critiquer un
système pourri et corrompu. Ils ont raison de le dire. En ce qui me
concerne, j’ai choisi l’autre voie. Celle de participer à la
compétition, de voyager à travers tout le pays et d’expliquer au peuple
algérien qu’il y allait avoir de la fraude jusqu’au dernier jour et
qu’il fallait donc changer le système, et que j’apportais ce changement.
Vous pourfendez le système, mais qu’entendez-vous par là. Qui est votre adversaire aujourd’hui ?
L’adversaire, c’est la fraude pour les élections, mais c’est également
la panne politique. Il n’y a pas de projet pour l’Algérie. Moi j’en ai
présenté un. Cela fait quinze ans que le président-candidat (Bouteflika,
NDLR) est là. Et vous n’avez pas la démocratie, vous n’avez pas l’urne
transparente, vous n’avez pas de décollage de l’économie, vous n’avez
pas une justice indépendante. Vous n’avez pas une presse libre. Vous
n’avez pas un Conseil constitutionnel indépendant. Vous n’avez pas une
justice totalement libre. Voilà le bilan. C’est ce que j’ai expliqué à
la population. Son projet à lui, c’est le passé. Et le passé, c’est le
néant.
N’estimez-vous pas, au contraire, avoir failli dans votre
entreprise de séduction d’une jeunesse algérienne totalement désabusée ?
Détrompez-vous. 80 % des participants à mes meetings étaient des jeunes,
garçons et filles confondus. C’est ceux-là qui ont fait ma campagne.
D’ailleurs, mon programme leur était essentiellement destiné.
Pourquoi ne pas avoir appelé vos partisans à manifester après le scrutin ?
Je vais rencontrer tous ceux qui m’ont soutenu et qui se comptent par
millions. Je vais réaliser une tournée à travers certaines wilayas pour
créer un front, un parti, un espace politique, où je rassemblerai toutes
ces personnes. Voilà comment je vais continuer l’activité politique.
Mais ce score stalinien n’a-t-il pas démontré que le pouvoir algérien était hostile à toute réforme ?
En tant qu’homme politique, je suis opposé à la violence. Je vais donc
rassembler le maximum d’Algériennes et d’Algériens pour expliquer à
nouveau mon projet, et je vais gagner les coeurs et les esprits de ceux
que je n’ai peut-être pas pu conquérir cette fois-ci, afin de préparer
le futur. Et je pense que dans la situation où se trouve actuellement
l’Algérie, et avec l’état de santé de son président, des échéances
auront lieu dans peu de temps.
(20-04-2014 - Armin Arefi)
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