Dans une interview accordée au quotidien arabe « al-Quds
al-Arabi » publié à Londres, le secrétaire général adjoint du Mouvement
du Jihad islamique en Palestine dénonce la « coordination » sécuritaire
entre l’Autorité palestinienne et l’occupant.
Ci-joint le texte publié le 19 avril dernier :
M. Ziad Nakhale, certains ont jugé que l’ajout de votre nom
sur la « liste du terrorisme » au moment où les mouvements islamistes
affirment leur présence dans la région vise le projet de la résistance.
Quelles sont les conséquences d’une telle catégorisation que certains
régimes arabes adoptent, comme c’est le cas récemment en Egypte
concernant le mouvement Hamas ?
Il n’est pas étonnant que l’administration américaine prenne de temps à
autre des mesures visant la résistance. Que ce soit sur le plan moral ou
pratique. Mais qu’une grande puissance nomme un individu et le classe
dans ce qui est appelé « la liste du terrorisme », cela a suscité
étonnement et surprise parmi les hommes d’opinion et les observateurs.
Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si une telle décision aura un
impact ou modifiera quelque chose ? Je ne suis pas le premier et ne
serai pas le dernier dans ce qu’ils appelle les listes du terrorisme. Si
nous allons plus loin, je peux dire : les Etats-Unis considèrent
terroriste toute personne qui est en désaccord avec elle ou avec sa
politique, et même des Etats et de nombreuses organisations ont été
mises sur les listes des terroristes, et tout cela pour servir
« Israël ».
La recrudescence des assassinats commis par « Israël »,
est-ce que vous y voyez un lien avec les tentatives américaines
coordonnées avec des parties palestiniennes pour imposer une solution
quelconque ?
L’intensification de l’agression contre notre peuple palestinien n’a
jamais cessé, même pas un jour, mais elle prend des formes différences
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, comme les meurtres, le blocus,
la destruction, les arrestations et autres. Elle vise à plonger le
peuple palestinien dans le désespoir et à lui dire que l’occupation est
son sort final, que la résistance est interdite et illégale, et que le
seul espoir qu’il peut caresser est ce que Israël lui propose à la table
des négociations, dans le cadre de l’équilibre de forces actuel. Ce qui
veut dire être soumis à des directives israéliennes, avec une
collaboration américaine et un parti-pris total envers Israël.
Les Etats-Unis oublient, ainsi que le monde, que les pressions
militaires, politiques et économiques, ne peuvent briser la volonté du
peuple palestinien et ne changeront rien à la réalité, et ne pourront
obliger personne à accepter n’importe quelle solution. En réalité, il
n’y a rien pouvant être nommé solution, car Israël ne veut pas de
solution, il veut tout.
Gaza a pris une bouffée d’air après l’arrivée du président
Mohammad Morsi au pouvoir, et après son écartement, la question du
blocus est devenue une matière de chantage envers les Palestiniens de
Gaza. Que pensez-vous du rôle égytien quant à la levée du blocus contre
Gaza ?
La situation complexe en Egypte et les événements qui se bousculent
jusqu’à présent ont mis la bande de Gaza en situation de victime à tous
les niveaux, mais il faut savoir que la punition collective contre le
peuple palestinien à Gaza est injuste et illégale, quelles qu’en soient
les raisons. Les frères égyptiens doivent revoir les mesures prises qui
occasionnent des préjudices au peuple palestinien, qui, de son côté,
porte beaucoup d’amour et de reconnaissance au peuple d’Egypte.
Ne savent-ils pas qu’ils mènent un blocus contre le sang des martyrs
égyptiens tombés pour défendre la Palestine, et leurs tombes à Gaza
témoignent encore de l’histoire grandiose qui lie le peuple d’Egypte au
peuple de Palestine ? Malgré cela, nous, les organisations nationales et
islamiques à Gaza, nous sommes prêtes à nous asseoir avec les frères en
Egypte et à ouvrir le dossier des relations, sans limite aucune, pour
mettre fin à ce qui brouille la relation entre les deux peuples frères.
Est-ce que la décision prise en Egypte considérant les frères
musulmans comme une « organisation terroriste » sort l’Egypte de sa
crise ?
L’Egypte est le plus vaste des Etats arabes et vit des problèmes
complexes qui touchent tout le peuple égyptien, et le fait d’éloigner un
groupe et notamment un groupe de l’importance des Frères musulmans, de
la vie politique, accentue les problèmes et installe l’Egypte dans une
situation instable. Cela accentue sa crise et son état mouvementé qui
caractérise l’Egypte depuis quelques années, qui a par ailleurs entraîné
la suppression d’une partie aussi importante que les Frères. Je ne
pense pas que ce soit la voie la plus sûre pour sortir l’Egypte de sa
crise et pour qu’elle puisse reprendre son rôle et sa place, que tout le
monde attend.
Comment voyez-vous l’affrontement des tentatives américaines,
sur le plan palestinien, visant à faire admettre le projet de la
« reconnaissance de la judéité » de l’Etat « israélien » ?
Les tentatives américaines pour imposer une solution pro-israélienne au
peuple palestinien et à la région ne se sont jamais arrêtées. Ces
tentatives ont toujours échoué, et elles reprennent à nouveau. A
présent, les Etats-Unis essaient, dans le cadre de ce qui est appelé
« le printemps arabe » de profiter de l’état de dispersion généralisée
dans la région pour imposer une solution faisant d’Israël un Etat
religieux dans tout le sens du terme. Mais cela n’est qu’une
introduction à la dislocation de la région sur une base confessionnelle
et religieuse, et instaurer le droit de chaque confession ou religion ou
nationale de réclamer un Etat spécifique. C’est le projet de
dislocation de ce qui fut appelé la patrie arabe. De plus, l’Etat juif
en tant que tel sera la bombe qui mettra fin et pour toujours au projet
ou l’idée d’instaurer un Etat palestinien. Sera expulsé de la terre
historique de Palestine tout ce qui n’est pas juif, d’autant plus que
nous remarquons la masse imposante de la colonisation qui se répand
comme un cancer en Cisjordanie et qui pille la terre au vu et au su de
« la légalité internationale », y compris les Nations-Unies et le
conseil de sécurité.
L’Etat juif signifie en fin de compte que la Palestine, toute la
Palestine, est une patrie pour les juifs du monde, et qu’il n’y a pas de
peuple palestinien sur la terre de Palestine. De là vient l’idée de la
patrie alternative proposée par « Israël » à l’Est de la rive du
Jourdain pour le peuple palestinien.
La campagne de judaïsation d’al-Quds s’intensifie alors que
l’Autorité palestinienne continue à parler d’occasions pour parvenir à
un accord ou semi-accord. Ne faut-il pas plutôt réclamer l’unité
palestinienne pour affronter un tel projet ?
Non seulement al-Quds est en train d’être judaïsé, mais tout est devenu
sous la domination « israélienne », le cancer de la colonisation se
répand comme des champignons tout au long de la Cisjordanie et il ne
reste aux Palestiniens que les villes peuplées, qui sont toutes
encerclées par les colonies et séparées les unes des autres. La
politique du fait accompli se poursuit. Les négociations et leur
prolongement ne sont que des moyens pour gagner du temps pour que l’on
arrive à l’étape du fait accompli. Que ferons-nous des juifs qui se sont
installés et qui ont colonisé, qui ont leurs villes, leurs écoles,
leurs hôpitaux et leurs usines ? Pouvons-nous les expulser ?
Quiconque le réclamera sera taxé d’inhumain. Les accusations sont
prêtes, celui qui refuse sera accusé de terrorisme et poursuivi, à
commencer par l’Autorité palestinienne, et pour finir les Etats-Unis et
entre les deux, les Arabes et les non-Arabes. Il est regrettable que
l’Autorité palestinienne soit associée directement à ce qui se passe,
elle brouille les cartes en acceptant sans cesse de poursuivre les
négociations, qui n’amènent à rien, sinon un surplus de négociation et
de division interne. A propos, je ne dis pas que la fin de la division
interne mettra fin à la colonisation, mais je dis que l’unité
palestinienne véritable sera un pas pour affronter à nouveau et avec
sérieux les projets illusoires et pour rechercher les moyens et les
possibilités qui permettent de dévoiler les illusions de règlement ou de
paix avec cette entité, et pour commencer à bâtir un projet de
résistance qui s’étend pour inclure tout le monde arabo-musulman et les
êtres libres de ce monde, et remettre les droits à leurs possesseurs
légaux.
Les positions arabes semblent indifférentes envers la
situation palestinienne. Quels sont les leviers pouvant être utilisés
par les Arabes pour soutenir le peuple palestinien et renforcer sa
résilience ?
Oui, il y a à présent une indifférence arabe manifeste, qui n’a pas
besoin de preuves. Mais je pense que nous, les Palestiniens, pouvons
changer cette réalité, en nous unissant et en agissant, et en empêchant
quiconque de prendre pour prétexte la situation palestinienne pacifique
ou attentiste pour justifier son attitude en disant « nous sommes avec
ce que décide le peuple palestinien ». Décidons nous-mêmes et nous
verrons si les peuples arabes et les peuples du monde seront à nos côtés
et soutiendront nos droits.
Comment jugez-vous les répercussions de la coordination
sécuritaire sur l’action palestinienne, et notamment sur le Jihad
islamique ?
Ce qui se passe en Cisjordanie, et la pratique de l’Autorité, les
arrestations et la répression qui vise les activités estudiantines, et
même les actions humanitaires en direction des familles des prisonniers
et des martyrs, non seulement envers le Jihad islamique, bien qu’il soit
le plus visé, tout cela est affligeant et dégradant lorsque ceci se
déroule sous le chapitre de la coordination sécuritaire avec les forces
de l’occupation et au profit total d’Israël, et sans aucune
compensation, au contraire. « Israël » pratique ce qu’il veut, sans
aucun frein, il confisque les terres, mène des incursions dans les
villes, assassine et arrête toute personne qu’il juge menaçante pour sa
sécurité. La question n’est pas seulement liée au Jihad islamique, mais
c’est le rôle assigné à l’Autorité par les accords d’Oslo, où elle a
accepté d’être le gendarme qui protège « Israël », en situation
d’occupation.
Où en est le dossier de la réconciliation palestinienne, et
que rôle joue le mouvement du Jihad islamique pour rassembler la maison
palestinienne ?
Malgré la blessure dont souffre le peuple palestinien du fait de la
division interne, je refuse de comparer entre l’Autorité de Ramallah et
ce qui se dit à propos de l’Autorité à Gaza, par principe. Nous avons de
grandes divergences avec l ’Autorité de Ramallah, nous lui sommes
opposés concernant les accords d’Oslo, qui a fait une concession
historique au détriment du droit du peuple palestinien sur la Palestine,
et nous sommes en désaccord avec elle sur la gestion de sa politique
avec l’ennemi, à tous les niveaux, et notamment en ce qui concerne la
coordination sécuritaire au détriment de la résistance et du peuple
palestinien. Quant à l’Autorité de Gaza, si nous pouvons ainsi
l’appeler, nous sommes d’accord avec elle sur le plan stratégique, mais
en désaccord en ce qui concerne les relations inter-palestiniennes et sa
gestion. Nous avons essayé et essayons toujours de réunifier la société
palestinienne, de manière à préserver l’unanimité et l’unité de la
position politique, l’unité des forces de notre peuple pour affronter le
projet sioniste, par tous les moyens possibles, de manière à poursuivre
la résistance et ne pas reconnaître « Israël ».
Concernant la dernière confrontation à Gaza que vous avez
nommée « Briser le silence », quel est le message que vous avez voulu
envoyer à l’occupation ?
Tout le long de l’année qui a suivi la guerre d’agression sur la bande
de Gaza en 2012, « Israël » n’a pas cessé les agressions et les
assassinats en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, malgré l’accord de
cessez-le-feu qui a suivi cette guerre, qui a eu lieu sous l’égide de
l’Egypte, et qui a obligé « Israël » à cesser les assassinats. Mais
comme d’habitude, « Israël » n’a pas respecté l’accord. La résistance a
dû envoyer un message fort à l’ennemi lui disant que nous n’acceptons
pas ces agressions. Ce fut l’opération « Briser le silence », qui a été
choquante à plus d’un titre. C’est ce qu’ont affirmé les responsables
politiques et les médias en « Israël », ce ne fut pas seulement une
opération qui a brisé le silence mais un choc et une surprise.
Comment jugez-vous votre attitude envers la crise syrienne ?
La Syrie est la grande blessure, qui devient au fur et à mesure que les
jours passent le souci quotidien de tout Palestinien et arabe. La Syrie,
qui était un axe essentiel dans la confrontation au projet sioniste, et
une base essentielle pour la résistance tout au long de son histoire,
est devenue aujourd’hui une réelle menace pour tout ce qui est beau et
prometteur pour la nation, à cause des dangers qui guettent. Personne ne
peut affirmer aujourd’hui que la future Syrie ne représente pas, au
moins, un danger pour l’unité de la nation. Nous sommes très inquiets et
l’avenir de la Syrie nous préoccupe incessamment, tout comme nous
préoccupe ceux qui la poussent vers l’inconnu. C’est pourquoi nous avons
dit dès le début que l’avenir de la Syrie doit être déterùiné par son
peuple, dans toutes ses composantes, de manière à ce qu’elle reste unie
et forte, et assure les intérêts du peuple syriens, sa liberté et sa
dignité, et maintient sa situation exceptionnelle dans l’axe de la
résistance. Ce sont les constantes de notre position concernant la crise
syrienne, et nous pensons qu’elles sont assez équilibrées pour protéger
notre peuple dans ce cher pays, et assurer que la Syrie demeure
puissante pour affronter le projet sioniste qui vise son démantèlement
et le démantèlement de toute la région.
Certains jugent que votre alliance avec l’Iran n’est pas dans l’intérêt de la résistance. Comment jugez-vous cette alliance ?
Ma cause principale et centrale est la Palestine, ma patrie perdue et
envahie. Quant à ceux qui considèrent l’Iran comme une menace concernant
d’autres dossiers, la solution à notre avis n’est pas la guerre mais le
dialogue et l’entente. Qui doit être prioritaire pour réaliser une
réconciliation et la paix ? « Israël » ou l’Iran ?
La relation historique avec l’Iran se transforme parfois en accusation,
et parfois en atout, et la question devient de plus en plus urgente du
fait de nombreux éléments. Mais ce qui m’intéresse en cet instant est
une autre question : est-ce que l’Iran représente une menace ou une
chance pour la nation ? Cela réclame de nombreuses questions, telles
que : la relation avec « Israël » qui occupe la partie la plus
importante de notre région arabe constitue-t-elle une menace ou une
chance ? la relation avec les alliés d’Israël est-elle une chance ou une
menace ? C’est pourquoi j’affirme que notre relation avec l’Iran est
une chance pour la nation, en vue de renforcer et consolider sa position
pour affronter le projet sioniste qui occupe la Palestine. Ceux qui
critiquent notre relation avec l’Iran doivent nous dire si leurs
relations avec les Etats-Unis et « Israël » qui occupe notre terre et
domine nos lieux saints sont au profit de la nation ou du peuple
palestinien ? Ou bien ce n’est qu’une légalisation de l’occupation, afin
que la Palestine demeure à tout jamais « Israël ».
(21-04-2014 - "Baladi")
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