Le chef de la délégation du Fatah, Azzam al-Ahmed (à gauche),
s’entretenant avec le Premier ministre du Hamas à Gaza, Ismail Haniya,
le 23 avril dans l’enclave palestinienne. © SAID KHATIB
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C’est la réponse de Mahmoud Abbas à l’échec des négociations de paix
avec Israël. Près d’un mois après le refus de Tel-Aviv d’honorer sa
promesse de libérer une dernière salve de prisonniers palestiniens,
décision qui a précipité dans l’impasse les pourparlers entamés depuis
neuf mois, le président de l’Autorité palestinienne a accepté de signer
avec ses frères ennemis du Hamas un accord de réconciliation nationale.
Déchirés par sept ans d’une lutte fratricide née du refus du Fatah de
reconnaître entièrement la victoire du Hamas aux élections législatives
de 2006, ce qui a conduit le mouvement islamiste à s’emparer par la
force de la bande de Gaza l’année suivante, les deux mouvements
palestiniens se sont enfin accordés sur la formation d’un gouvernement
de consensus national d’ici cinq semaines. Sitôt intronisé, le nouvel
exécutif aura pour mission d’organiser des élections législatives et
présidentielle dans un délai de six mois à travers tout le territoire
palestinien.
Pessimisme
La nouvelle en a étonné plus d’un, les deux partis rivaux s’étant déjà
livrés à de telles annonces en 2011 puis en 2012, sans qu’elles soient
concrétisées. "La relation entre les deux mouvements est encore plus
complexe que celle qui les lie à Israël", décrit Olivier Danino*,
chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). "Elle
couvre les mêmes types de sujets, à savoir la libération de prisonniers
politiques, la gestion du territoire et de la sécurité."
Étonnamment, le nouveau texte reprend peu ou prou les mêmes conditions
que le dernier accord négocié en 2012 à Doha (Qatar) et qui n’avait
jamais vu le jour. "Il ne mentionne pas comment les deux partis comptent
régler la question des brigades Al-Qassam (branche armée du Hamas),
celle de l’appareil sécuritaire à Gaza ainsi que le problème lié au
passage en Cisjordanie de cadres du Hamas, ce à quoi s’opposera
forcément Israël", pointe Ghassan Khatib, professeur en études arabes
contemporaines à l’université de Birzeit (Cisjordanie). "Dans ces
conditions, on ne voit pas comment une telle réconciliation pourrait
être possible."
Isolement du Hamas
Or, l’urgence est de mise dans les deux camps. À Gaza, le Hamas fait
face à un isolement croissant depuis le Printemps arabe en 2011. Son
soutien à l’opposition syrienne à Bachar el-Assad a contrarié sa
relation avec son principal soutien financier et armé, la République
islamique d’Iran, plus grand allié du régime baasiste. Pour un temps, le
mouvement islamiste a cru pouvoir se replier sur l’Égypte, après
l’accession au pouvoir des Frères musulmans, une matrice dont le Hamas
est issu.
Mais la destitution du président Mohamed Morsi en juillet 2013 par
l’armée égyptienne a mis un terrible frein à ses nouvelles ambitions
régionales, le réduisant au rang de paria. Depuis, le nouveau pouvoir
égyptien, qui considère le Hamas comme une "organisation terroriste", a
inondé la majorité des tunnels de contrebande entre l’Égypte et
l’enclave palestinienne, par lesquels transitaient armes et munitions
mais aussi produits de première nécessité et matériaux de construction.
Ces destructions, qui ont coûté au Hamas quelque 230 millions de dollars
de perte mensuelle (environ 170 millions d’euros), ont fini d’asphyxier
l’économie gazaouie, entravant le paiement des salaires des
fonctionnaires. Le Hamas s’est donc vu obligé de refaire les yeux doux à
Téhéran. "En annonçant sa réconciliation avec le Fatah, le Hamas compte
peser dans ses négociations avec l’Iran et ainsi montrer qu’il n’est
pas isolé", explique Olivier Danino.
Pas d’État palestinien
La situation du Fatah en Cisjordanie n’est guère plus enviable. Ayant
échoué à mettre sur pied l’État palestinien, pour lequel a été créée
l’Autorité palestinienne en 1933 (et dont le Fatah est la composante
majeure, NDLR), le mouvement nationaliste subit un grave déficit de
légitimité, doublé d’une crise économique sans précédent, les États
arabes ne versant pas les aides promises.
En dépit de l’accession de la Palestine au rang d’État non-membre de
l’ONU en 2012, Mahmoud Abbas n’a pu mettre un terme à la colonisation
israélienne à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, pourtant illégale au
regard du droit international, ruinant sur le terrain la viabilité d’un
hypothétique État. Et le refus d’Israël de libérer la dernière salve de
prisonniers palestiniens, censé apaiser une population soumise
quotidiennement aux violences et aux privations de la part des forces
occupantes, n’a fait que renforcer ce sentiment de frustration.
À Gaza, c’est par des scènes de liesse qu’a été accueillie l’annonce de
la réconciliation interpalestinienne, aux cris d’"Unité, unité !".
"J’espère que cela va vraiment arriver cette fois", affirme à Associated
Press Asma Radwan, une institutrice de 33 ans venue fêter l’événement
avec ses deux enfants. "Je suis venue pour dire merci aux leaders. Mais
ne nous décevez pas comme par le passé. Sept ans de division, c’est bien
trop."
Contacts Hamas-Israël
Mais la joie a été rapidement douchée par une frappe de l’aviation
israélienne sur le nord de Gaza, blessant six civils, dont un
grièvement. "Une opération de contre-terrorisme", a justifié l’État
hébreu, qui ne décolère pas du choix du président de l’Autorité
palestinienne. "Abou Mazen (nom de guerre de Mahmoud Abbas, NDLR) a
choisi le Hamas et non la paix", a fustigé le Premier ministre israélien
Benyamin Netanyahou. "Quiconque choisit le Hamas ne veut pas la paix."
Dans sa charte, le Hamas, considéré comme une organisation terroriste
par les États-Unis et l’Union européenne, prône la destruction d’Israël.
Impensable, par conséquent, pour l’État hébreu de traiter avec ce
mouvement, à moins qu’il ne cesse la violence, reconnaisse tous les
accords signés par l’Autorité palestinienne et, par extension,
l’existence de l’État d’Israël. Des conditions impossibles à remplir par
le Hamas, qui tire toute sa légitimité de sa résistance contre
l’"occupation sioniste".
Ces positions inconciliables sur le papier n’empêchent pas en réalité
les deux ennemis de négocier ensemble. "En étant au pouvoir dans la
bande de Gaza, le Hamas est obligé de discuter avec Israël, notamment
sur les questions d’énergie et de sécurité qui dépendent de l’État
hébreu", rappelle le chercheur Olivier Danino.
Tactique palestinienne
Le rapprochement Hamas-Fatah a en tout cas fortement "déçu" les
États-Unis, qui estiment que cela pourrait "compliquer" le processus de
négociations stériles qu’ils parrainent depuis juillet 2013. "Il est
difficile d’envisager comment Israël pourrait négocier avec un
gouvernement qui ne croit pas à son droit d’exister", a indiqué Jennifer
Psaki, porte-parole du département d’État. Pourtant, à en croire le
politologue palestinien Ghassan Khatib, la manoeuvre palestinienne
viserait justement à faire pression sur les États-Unis afin qu’ils
poussent leur allié israélien à négocier sérieusement.
"C’est une stratégie classique de la part des dirigeants du Fatah,
renchérit Olivier Danino. Yasser Arafat l’employait déjà quand il
négociait avec Israël. Lorsque les pourparlers n’avançaient pas, il se
rapprochait du Hamas pour ainsi forcer l’État hébreu à bouger." Or, loin
d’assouplir leur position, les Israéliens ont au contraire décidé jeudi
de suspendre les pourparlers avec les Palestiniens (qui doivent
s’achever le 29 avril prochain, NDLR). Ils réfléchissent désormais à
imposer des mesures de rétorsion, dont certaines sanctions économiques.
De telles représailles pourraient coûter à tout futur gouvernement
palestinien d’union nationale des centaines de millions de dollars. Un
fardeau impossible à porter, surtout qu’il faudra payer à la fois les
employés de Cisjordanie et ceux de Gaza.
(24-04-2014 - Armin Arefi)
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