La publication de son livre a fait grand bruit en Algérie et lui a
même valu d’être reçu par le Premier ministre en personne. Dans Algérie,
la décennie de la dernière chance (éditions Chihab), l’économiste
algérien Abdelhak Lamiri explique pourquoi l’Algérie est en proie à une
grave crise socio-économique malgré ses immenses réserves pétrolières
(98 % de ses exportations, 70 % de ses recettes fiscales et 40 % de son
PIB).
Le chercheur, également président de l’Institut international de
management (Insim), en est convaincu : la prochaine décennie s’annonce
capitale pour le pays. Il explique pourquoi la diminution des réserves
de pétrole impose à l’Algérie de réformer en profondeur ses institutions
pour enfin émerger dans le cercle des pays industrialisés, sous peine
de sombrer définitivement dans la déchéance.
En dépit du chômage galopant, l’économie a été relativement absente de la campagne présidentielle.
Il est vrai que les problèmes de fond ont été évacués de la campagne. En
dépit des promesses, aucun candidat ne s’est attaqué aux questions de
fond. Personne n’a dit comment il comptait réformer le système éducatif
et universitaire du pays. Aucun candidat n’a expliqué comment il allait
moderniser le management des administrations publiques et privées. Or,
sans le règlement de ces questions, n’importe quel programme est voué à
l’échec.
Pourtant le pouvoir se vante d’avoir créé des universités gratuites dans chaque wilaya (préfecture) du pays.
En Algérie, le système universitaire est populiste et fonctionne
toujours selon le système des années 1960. Les enseignants sont
sous-payés et sous-estimés, ce qui les pousse à posséder un autre métier
en parallèle, alors qu’ils devraient se consacrer à la recherche.
D’autre part, l’autre problème se situe dans l’enseignement même. En
Algérie, seulement 5 % des études sont consacrées aux matières
techniques, telles que la chimie, l’ingénierie ou la mécanique. Les 95 %
restants concernent les sciences humaines uniquement, matière qui ne
possède pas de débouchés. Il existe donc une grande inadéquation entre
les formations et les besoins réels.
Mais pourquoi les étudiants s’orientent-ils vers des matières sans débouchés ?
L’orientation des étudiants se fait selon un système informatisé qui
prend en compte les places, les universités et les professeurs
disponibles, pas l’évolution économique du pays. Or, au cours des
quatorze dernières années, 500 milliards de dollars ont été dépensés par
l’État sur des projets d’infrastructures routières et de barrage.
Pourtant, aucune université ne forme à la gestion de projet. Ainsi, ce
sont les entreprises étrangères qui profitent pour s’implanter (avec
leurs propres employés, NDLR).
Pourquoi une telle erreur ?
Il nous a manqué de la vision, de la stratégie, dans les qualifications
humaines et la modernisation managériale afin que soient correctement
gérés les administrations, les hôpitaux et les universités. Le problème
réside également dans le petit appareil de production algérien, qui ne
compte que 600 000 entreprises. Et 95 % de cette production concernent
de très petites entreprises (TPE). Or, pour bien fonctionner, l’Algérie
devrait posséder aujourd’hui 1,5 million d’entreprises. D’où le
véritable "boom" de l’importation dans le pays, qui est passée de 10
milliards de dollars en 2000 à 55 milliards de dollars aujourd’hui. On
n’a jamais vu un pays au monde dont les importations ont augmenté de
35 % au cours des dix dernières années.
Pourtant, la relance économique n’était-elle pas le maître mot du président Bouteflika lors de son premier mandat en 1999 ?
Prenez l’exemple de l’Inde, qui avait les pires infrastructures au monde
dans les années 1980. À partir des années 1990, le pays a lancé un plan
de relance économique. Pour ce faire, il a choisi de qualifier ses
élites en développant les meilleures universités au monde dans des
domaines précis : l’informatique, le management, l’électronique et
surtout l’ingénierie. L’argent, il l’a d’abord injecté dans les
cerveaux. Résultat, l’Inde est aujourd’hui un pays émergent qui a
considérablement amélioré ses infrastructures et qui exporte ses
services dans le monde entier pour des dizaines de milliards de dollars
de contrat. La Chine a fait pareil au début des années 1980. En ce qui
nous concerne, au lieu d’injecter de l’argent dans les cerveaux, on a
fait l’exact inverse : on a noyé de l’argent dans des entreprises et
institutions administratives non qualifiées, ce qui a entraîné une
dilapidation énorme des ressources.
Vous voulez parler de la corruption ?
Je veux parler des malfaçons, des travaux non achevés, des surcoûts mais
aussi des pots-de-vin. Rendez-vous compte : pour 500 milliards de
dollars dépensés, on n’a créé que 150 milliards à 200 milliards de
dollars d’infrastructures. Le reste a été perdu.
Qui pointez-vous du doigt ?
Ce n’est pas uniquement à cause de l’État, mais de toutes les élites
intellectuelles algériennes. Nous sommes tous responsables. Lorsque le
président Bouteflika a annoncé son plan de relance, tout le monde a
applaudi, sauf moi. Aujourd’hui, tout le monde critique son bilan.
Que proposez-vous pour sortir de l’impasse ?
Il faut tout d’abord impérativement réorganiser l’État pour obtenir une
meilleure coordination, ainsi qu’une visibilité à long terme. Pour ce
faire, je propose de créer une institution regroupant les meilleurs
experts, que l’on pourrait appeler l’Institut algérien de développement.
Après un dialogue avec la société et les politiques, cet organe
pourrait développer une vision à long terme de type "Algérie, pays
développé à l’horizon 2050" et "pays émergent d’ici 2025".
Deuxième chantier, il est indispensable de moderniser les cerveaux
algériens. Rendez-vous compte, nous sommes en retard dans tous les
domaines ! Il nous faut recycler les travailleurs déjà opérationnels et
mieux éduquer les nouvelles générations. Troisième nécessité, il nous
faut développer le management des institutions et des entreprises de
sorte qu’elles soient capables de gérer les ressources qu’on leur donne.
Quatrième volet, il faut aller vers davantage de décentralisation, avec
des plans de développement locaux et régionaux. Pas uniquement
nationaux, gérés par une administration inefficace. Enfin, il faut
diversifier notre économie : grâce aux faibles coûts de notre énergie
ainsi que de la main-d’oeuvre bon marché, nous sommes en mesure de créer
des secteurs d’activité où nous serions très avantagés, comme la
production de plastique. En outre, nous avons une centaine de niches où
l’on pourrait créer de l’emploi, telles que le tourisme, l’agriculture
et le secteur des services.
Mais le principal fléau en Algérie, qui provoque chaque jour
des émeutes à travers le pays, n’est-il pas avant tout le chômage des
jeunes (21,5 % selon le FMI) ?
Le problème vient du fait que notre secteur productif est littéralement
atrophié. Comme je l’ai déjà mentionné, pour absorber le chômage,
l’Algérie devrait posséder 1,5 million d’entreprises.
Pourtant, l’État algérien a fait des gestes en créant l’Agence nationale
de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej), qui leur prête jusqu’à 100
000 euros sans intérêt pour créer leur propre entreprise.
C’est vrai, mais cela ne marche pas, car l’Ansej a pour conséquence de
dilapider beaucoup d’argent sans résultat. Avant de donner de l’argent à
ces jeunes, il faudrait les former puis les accompagner dans leur
projet. Il serait nécessaire de créer des incubateurs et des pépinières,
c’est-à-dire de petites entités visant à aider les jeunes à financer
leur entreprise et à les accompagner dans la création et le suivi de
leur projet.
La jeunesse algérienne paraît aujourd’hui totalement désabusée, pointant
avant tout la corruption généralisée au sommet de l’État.
Il y a une grande part de vérité dans ce que disent les gens.
L’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia a lui-même admis que l’économie
algérienne était gérée par les importations... et qu’il n’y pouvait
rien. Or, la hausse spectaculaire des importations bloque la production
nationale. D’après moi, le problème du développement économique est
avant tout une question de sociologie politique. Cela fait cinquante ans
que le système puise dans les ressources pétrolières pour éteindre les
incendies sociaux.
Sauf que le pétrole se raréfie
Un énorme risque pèse sur la rente pétrolière. Nous sommes presque
arrivés à un pic pétrolier en Algérie, alors que la consommation interne
double tous les sept ans. D’autre part, on ne peut pas écarter le
scénario d’une baisse de 50 % du prix du baril dans un futur proche.
Ainsi, d’ici sept à huit ans, la rente pourrait chuter de 70 % alors que
nous serons cinquante millions d’habitants. De terribles troubles
sociaux pourraient surgir. Pour l’éviter, il est encore temps de
diversifier notre économie en dehors des hydrocarbures. Maintenant,
avant qu’il ne soit trop tard.
(16-04-2014 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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