La querelle de pouvoirs au sein du mouvement jihadiste mondial entre
Al-Qaïda et ce qui est devenu le groupe Etat islamique (EI), entamée en
2006, menace aujourd'hui l'existence même du réseau fondé par Oussama
ben Laden, estiment des experts.
L'organisation créée en Irak par Abou Moussab al-Zarkaoui pour lutter
contre l'armée américaine, qui a été reprise par Abou Bakr al-Baghdadi,
risque de reléguer Al-Qaïda, dont les chefs vieillissants manquent de
relais sur le terrain, aux poubelles de l'histoire.
L'Etat islamique est le premier groupe terroriste à contrôler un important territoire, à cheval entre l'Irak et la Syrie.
"L'EI représente pour Al-Qaïda un vrai dilemme", estiment Tobias Feakin
et Benedict Wilkinson, de l'Australian Strategic Policy Institute. "L'EI
fait sans cesse la Une, confisquant l'oxygène de la publicité si vital
aux groupes terroristes. Al-Qaïda court le danger non seulement d'être
surpassé par un concurrent, mais même de dispararaître complètement.
L?ascension fulgurante de l'EI est pour elle une menace existentielle".
En attirant sur les terres du califat des milliers de combattants venus
du monde entier, le groupe Etat islamique "est devenu l'organisation de
choix pour les aspirants jihadistes", précisent-ils. "En ce sens,
Al-Qaïda est battue à son propre jeu, en perdant la main d??uvre et les
moyens militaires nécessaires à ses ambitions politiques".
Rejoindre dans les confins pakistano-afghans les rangs des fidèles
d'Oussama ben Laden était difficile, cher, dangereux. Pour rallier les
terres où l'EI a proclamé son "califat", il suffit d'un aller-simple
pour Istanbul puis d'un billet de bus, que prennent chaque mois des
centaines de volontaires.
L'ultra-violence, mise en scène et soigneusement médiatisée par l'EI, si
elle révulse les opinions publiques internationales, exerce une force
d'attraction sur un certain public et effraie ses ennemis, qui parfois
préfèrent la fuite à la perspective d'affronter les légions du groupe.
"En Tunisie et au Koweit, comme auparavant au Yémen ou en Arabie, Daech
(ndlr, acronyme en arabe de l'EI) veut semer la terreur dans les
population visées et s'afficher comme encore plus impitoyable que ses
rivaux jihadistes d'Al-Qaïda", explique Jean-Pierre Filiu, professeur à
l'Institut d'études politiques de Paris.
Au fil des mois, du Nigeria au Pakistan, les défections se multiplient
au sein des mouvements jihadistes qui avaient fait allégeance à Oussama
ben Laden, au profit du "calife Ibrahim", comme se fait appeler Abou
Bakr al-Baghdadi.
Cela a commencé à l'automne dernier, quand des groupes en Egypte, en
Libye, en Algérie, au Yémen et en Arabie Saoudite ont rallié le califat,
adoptant ses méthodes brutales et ses codes de communication.
En Egypte, le groupe Ansar Beït al-Maqdess est devenu le groupe
"province du Sinaï" de l'EI et a revendiqué d'incessantes attaques
contre la police et l'armée égyptienne. Mercredi, des dizaines de ses
jihadistes ont lancé des attaques coordonnées contre des positions de
l'armée, faisant au moins 70 morts, militaires et civils.
En Afghanistan et au Pakistan, seuls des commandants de second rang ont
pour l'instant prêté allégeance à l'EI mais au Nigeria, le puissant
groupe Boko Haram s'est rallié en mars, devenant sa "province d'Afrique
de l'Ouest". Dernier en date, effectué par le principal groupe de
rebelles islamistes en Russie, "l'Émirat du Caucase" a proclamé fin juin
son changement d'allégeance.
Les frictions entre les deux groupes, qui avaient commencé il y a
presque dix ans par des échanges de lettres entre les chefs d'Al-Qaïda
et Abou Moussab al-Zarkaoui, auquel ils reprochaient ses massacres de
chiites qu'ils jugeaient néfastes à la cause, ont dégénéré en
affrontements.
En Syrie, des combats opposent désormais régulièrement des combattants
du Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, aux troupes de l'EI, alors qu'en
Libye les deux mouvements se battent, par milices interposées, pour le
contrôle de territoires.
Et un point de non-retour a été atteint, estiment les experts, quand, le
mois dernier, l'EI a publié une vidéo montrant la décapitation de douze
membres de groupes rebelles rivaux, dont au moins un d'Al-Nosra.
Des exécutions auxquelles le groupe Jaich al-islam (Armée de l'islam en
arabe), allié d'Al-Nosra, a répliqué en exécutant, sous l'oeil d'une
caméra, 18 membres présumés de l'EI.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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