Depuis plusieurs années, devant la maison de la famille Kasbeh, une
pancarte proclame: "Maison des martyrs Samer et Yasser". Il y a 10
jours, Sami Kasbeh, y a apposé une nouvelle photo, celle de Mohammed, 17
ans, son troisième fils abattu par l'armée israélienne.
D'abord, il y a eu Yasser, fauché en novembre 2001 par une balle
israélienne lors d?affrontements au check-point de Qalandia qui relie
Ramallah en Cisjordanie occupée à Jérusalem. Il avait 11 ans.
L'année suivante, Samer, 15 ans, tombait à son tour sous les tirs d'un
autre soldat à Ramallah à proximité de la Mouqataa, le siège de la
présidence palestinienne.
Et le 3 juillet, pour le troisième vendredi du ramadan, alors que des
milliers de Palestiniens se pressaient au check-point de Qalandia pour
aller prier à Jérusalem, l'armée israélienne a abattu le troisième fils
de Sami et Fatima: Mohammed, 17 ans.
Mohammed présentait un "danger imminent", a affirmé le colonel Israel
Shomer, haut commandant israélien en Cisjordanie en patrouille dans un
véhicule blindé, qui l'a abattu avec un autre soldat de plusieurs
balles. Pour sa famille, les témoins et une ONG israélienne des droits
de l'Homme, la légitime défense des soldats est plus que contestable.
Lundi, l'ONG B'Tselem qui dénonce régulièrement les exactions de l'armée
israélienne dans les Territoires occupés a diffusé une vidéo qui
contredit la version de l'armée.
Sur ces images, captées par une caméra de la station-service devant
laquelle Mohammed a été tué, on voit un homme courir vers un véhicule
militaire et apparemment jeter dessus une pierre avant de s'enfuir.
Aussitôt, le véhicule s'arrête et deux hommes, armes pointées, sortent
pour le poursuivre.
La suite se passe hors du cadre de la caméra. Mais des témoins ont
indiqué à B'Tselem que le colonel Shomer avait tiré sur l'adolescent
puis quitté les lieux sans appeler les secours. Faute d'aide médicale,
Mohammed Kasbeh est mort de ses blessures.
"Si Mohammed était vraiment un terroriste comme ils le disent, qu'ils
l'arrêtent, qu'ils lui tirent dans les jambes! Pourquoi le tuer?",
s'insurge Fatima. Pour elle, l'armée a "tout simplement exécuté" ce fils
qu'elle reconnaît avoir "un peu trop gâté". "Il a perdu ses deux frères
alors qu'il n'était qu'un enfant", dit-elle.
Pour B'Tselem, les tirs qui ont touché par trois fois l'adolescent, dont
deux dans le dos, "ne sont pas justifiés et illégaux" et "dire que M.
Kasbeh représentait une menace mortelle pour les soldats au moment des
tirs, alors qu'il avait pris la fuite, est illogique".
D'ailleurs, note Thaër, le grand frère de Mohammed, il a longtemps été
impossible d'obtenir une seule version des faits. "Au début, ils ont dit
que Mohammed escaladait le mur de séparation, qu'il avait refusé
d'obéir aux ordres de l'armée. Puis il y a eu la deuxième version:
Mohammed était un danger pour les soldats".
La divulgation de cette vidéo a provoqué l'ouverture d'une enquête de la
police militaire car le colonel avait d'abord affirmé avoir tiré depuis
son véhicule "alors que sa vie était en danger". Sur la base de cette
version, il avait obtenu le soutien total de ses supérieurs et de
plusieurs ministres.
"Il arrive que parfois des erreurs soient commises", explique la
conseillère juridique adjointe de l'armée en Cisjordanie, le lieutenant
colonel Sarit Shemer, sans se référer explicitement à cette affaire.
"Notre politique est d'ouvrir une enquête pour chaque Palestinien tué",
assure-t-elle à l'AFP.
Mais obtenir justice, Sami et Fatima n'y croient plus. Ils ont essayé
quand un autre fils, Tamer, a eu le torse traversé par une balle en 2007
devant le camp de Qalandia. Il y a laissé un morceau d'intestin et a
subi une opération dans un hôpital israélien, payée "5.000 dollars par
la famille". Quand elle a saisi la justice israélienne pour obtenir des
réparations, la famille Kasbeh a écopé d'"une amende de 5.500 dollars".
Selon des militants locaux, 52 Palestiniens ont été tués à Qalandia depuis la première Intifada il y a près de 30 ans.
Mais, pour Thaër, "la vie doit continuer". Pour le prouver, il a appelé ses deux fils Yasser et Samer.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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