Engagée depuis mars dans une guerre aérienne au Yémen, avec des
conséquences à ses frontières qu’elle n’attendait pas, et au défi qui
lui est posé par l’accord sur le nucléaire iranien, l’Arabie Saoudite
est désormais confrontée à une nouvelle série de menaces, cette fois à
l’intérieur du royaume, émanant de l’Etat islamique (EI). Dans un
communiqué publié samedi, le ministère de l’Intérieur a ainsi annoncé le
démantèlement d’une organisation liée au groupe radical sunnite et
l’arrestation de 431 de ses membres présumés, en majorité des Saoudiens.
Il a aussi affirmé que de nouvelles attaques visant des mosquées et une
mission diplomatique –qui n’a pas été nommée– avaient été mises en
échec. Pas moins de 37 personnes ont été tuées durant ces arrestations,
dont des membres des services de sécurité et des civils, et 120 autres
blessées. Cette opération d’envergure survient après un attentat
perpétré à Riyad, revendiqué par l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi.
En mai, deux attentats suicides avaient été perpétrés deux vendredis
successifs contre des mosquées de la minorité chiite, à Qatif et Dammam
dans la Province-Orientale faisant 25 morts. L’EI s’est également
attribué un attentat sans précédent en juin contre une mosquée chiite au
Koweït voisin qui a causé la mort de 26 personnes.
Si l’on en croit les autorités, le réseau démantelé était constitué de
«petites cellules» qui opéraient «sur un scénario préparé depuis des
zones agitées à l’étranger, dans le but d’attiser une sédition
confessionnelle et d’étendre le chaos». Figurent parmi les personnes
appréhendées 190 suspects qui, toujours selon le ministère de
l’Intérieur saoudien, planifiaient de nouvelles attaques, à la fois
contre d’autres mosquées chiites et les forces de sécurité. Ce n’est pas
la première fois que Riyad doit faire face à un défi sécuritaire
important : de 2003 et 2006, Al-Qaeda avait lancé une campagne
d’attentats et d’attaques sanglantes dans le royaume avant d’être
terrassée par une répression des plus violentes. Pourchassés sans
relâche, les survivants avaient dû se réfugier au Yémen où ils ont créé,
avec la branche yéménite de l’organisation, une nouvelle structure :
Al-Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA).
Cette fois, la stratégie de l’EI est double. D’une part, il cherche à
frapper les forces de sécurité saoudiennes et les missions
diplomatiques, comme le faisait Al-Qaeda dans les années 2000. D’autre
part, il s’attaque aux mosquées chiites. Par fanatisme, comme il le fait
en Irak et en Syrie, mais aussi pour pousser cette minorité (environ
20% de la population), qui s’estime déjà discriminée par le pouvoir
saoudien, à se radicaliser et à se rebeller contre lui au prétexte
qu’elle n’est pas assez protégée. Le défi de l’EI s’annonce donc encore
plus radical que celui d’Al-Qaeda, d’autant plus que l’organisation
d’Al-Bagdadi occupe à présent un tiers de l’Irak, pays avec lequel Riyad
a une frontière de plusieurs milliers de kilomètres qu’il lui est
impossible de contrôler. C’était déjà le prince Mohammed ben Nayef qui
avait personnellement dirigé, durant ses longues années passées au
ministère de l’Intérieur, la lutte contre Al-Qaeda. Cible de quatre
attentats, il avait survécu par miracle à celui d’août 2009 perpétré par
un kamikaze lié à AQPA. Devenu prince héritier et ministre de
l’Intérieur, c’est encore lui qui est en première ligne contre l’EI. Il y
joue aussi son avenir politique. On peut prévoir que la répression
qu’il dirige sera terrible.
Cette offensive de l’EI tombe à un mauvais moment pour le royaume
saoudien, dont l’attention est déjà accaparée par la situation au Yémen
et aux suites de l’accord nucléaire iranien conclu la semaine dernière.
La situation à Aden, certes, apparaît tourner à l’avantage des forces
gouvernementales que soutient Riyad mais, en même temps, les provinces
limitrophes saoudiennes du Najran et de l’Assir –qui furent longtemps
yéménites avant d’être conquises par la force par le roi Ibn Séoud–
commencent à s’agiter.
Face à l’Iran, l’inquiétude saoudienne pousse les dirigeants à
constituer un front sunnite très large. Vendredi, le roi Salman (au
pouvoir depuis janvier) a eu un entretien exceptionnel avec Khaled
Mechaal, le responsable du Hamas palestinien. Une telle rencontre était
impensable du temps de son prédécesseur, Abdallah, qui avait placé les
Frères musulmans, dont l’organisation palestinienne est proche, sur la
liste des organisations terroristes. Apparement, le nouveau souverain
est bien décidé à se rapprocher des Frères musulmans. C’est un
bouleversement à l’échelle du régime saoudien qui, jusqu’alors, voyait
ceux-ci comme leurs principaux concurrents pour dominer le monde
musulman. Père de l’actuel prince héritier et ancien ministre de
l’Intérieur, le prince Nayyef avait même décrit ce mouvement comme «la
source de tous nos problèmes dans le monde arabe».
La réaction des adversaires de ce nouveau front sunnite a été rapide :
cinq attentats quasi simultanés ont détruit dimanche à Gaza les voitures
de membres des branches armées du Hamas et du Jihad islamique, une
autre organisation palestinienne. Pas de victimes. Mais un sérieux
avertissement.
(21-07-2015
- Jean-Pierre Perrin, Libération)
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