jeudi 11 juillet 2013

Tunisie : l’opposition tente de faire pression sur Ennahda

Dopée par la situation en Égypte et le renversement du président Morsi, l’opposition tunisienne essaie de s’organiser pour "faire pression" sur le gouvernement mené par Ennahda. À l’initiative du Front populaire et de Nidaa Tounes, une cinquantaine de représentants de partis politiques de l’opposition et de la société civile, avec l’absence notable de la puissante centrale syndicale de l’UGTT qui appelle au "consensus", se sont réunis dans la soirée du 9 juillet pour déterminer d’une "feuille de route" commune.
"L’attentisme est le mal qui ronge le pays. Maintenant, il faut créer un rapport de force comme en Égypte", estime Boujemaa Remili, membre fondateur de Nidaa Tounes. Son parti estime notamment que la Constitution doit être achevée d’ici au 23 octobre 2013, deux ans après l’élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC), et appelle à dissoudre la Ligue de protection de la révolution. "La crise politique engendre les problèmes sociaux et économiques, et l’incertitude pèse sur les investisseurs", déclare Mongi Rahoui, député du Front populaire, dont le parti avait fait campagne pour la dissolution de l’ANC. Dans un communiqué commun, le Front populaire et Nidaa Tounes ont proposé la tenue d’un congrès national réunissant les différents partis politiques et chargé d’établir un calendrier, et le soutien des initiatives populaires et des jeunes sur le terrain.
Car les initiatives se multiplient. Depuis le 30 juin, Tamarrod, un mouvement calqué sur celui en Égypte, arpente le pays pour recueillir des signatures. Les organisateurs déclarent en avoir "près de un million". Impossible de vérifier. Le 10 juillet, leur page Facebook affichait quelque 8 500 "fans", et leur pétition en ligne plus de 22 000. Le Front populaire a lancé son mouvement Khnaktouna (vous nous étouffez, en français) le 8 juillet sur l’avenue Habib Bourguiba. "À bas la dictature d’Ennahda", scandait la cinquantaine de manifestants réunis, alors que des curieux s’approchaient.
Certains ont signé la pétition (aucun chiffre n’a été communiqué), qui appelle à dissoudre l’Assemblée, à former un gouvernement d’union nationale, à désigner un comité d’experts chargé de rédiger la nouvelle loi fondamentale et à adopter un calendrier qui mène aux prochaines élections. Mais la plupart sont repartis avec un tract. "Les jeunes ont fait la révolution et sont écartés de la politique. On en a marre de cette troïka qui fait croire que tout va bien. Les prix augmentent, comme le taux de chômage, la pauvreté... Les libertés sont bafouées. Cela ne peut plus durer", s’énerve Ines, 33 ans, militante du Front populaire, qui qualifie de "victoire" la situation en Égypte. "L’armée n’a fait que soutenir la demande du peuple."
"Rendormez-vous et battez-vous lors des prochaines élections", s’est moquée dimanche Myriam. Cette fonctionnaire manifestait - à l’appel d’Ennahda, avant que le rassemblement ne soit annulé faute d’autorisation - avec une centaine de personnes devant l’ambassade d’Égypte "en soutien à la démocratie en Égypte et à Morsi". "On a cru en la démocratie. Cela donne un très mauvais signal aux pays occidentaux et aux peuples arabes. Quand en France, aux États-Unis ou en Grèce, il y a d’énormes manifestations, que la popularité du président chute, des solutions sont trouvées. L’armée n’intervient pas pour changer le régime", s’indigne Aziza, 50 ans, haut cadre bancaire.
"Une partie de l’opposition tente d’importer des problèmes qui ne sont pas les nôtres. C’est de l’opportunisme politique et contre-productif", souligne Zied Ladhari, député Ennahda. À plusieurs reprises, le mouvement islamique a dénoncé "le coup d’État" en Égypte, condamné les violences à l’encontre des Frères musulmans et appelé au dialogue de tous les partis. Des membres du mouvement islamique s’étaient même rendus en Égypte mi-juin pour tenter une médiation entre l’opposition et les Frères musulmans. Dans une interview accordée au Monde, Rached Ghannouchi, le président d’Ennahda, écarte un scénario à l’égyptienne en Tunisie : armée non politisée, coalition au pouvoir, concessions sur la Constitution, comme pour la charia ou la nature du régime. "Nous vivons une démocratie consensuelle et non de majorité. Ce qui s’est passé en Égypte montre que nous avons eu raison", a-t-il déclaré, ajoutant qu’il n’y a "pas besoin d’un coup d’État pour savoir qu[’il faut] accélérer le processus de transition, finir la Constitution et organiser au plus vite des élections".
Et en vue d’accélérer ce processus, la commission du compromis, mise en place fin juin, devrait se réunir pour la première fois ce 10 juillet. "Je crois beaucoup en cette commission. Elle sera chargée de trancher sur une dizaine de points avant que les articles ne soient soumis en plénière. Cela permettra de gagner du temps. Il faut rapidement terminer pour rassurer la population", estime Haythem Belgacem, député CPR (Congrès pour la République), parti du président Moncef Marzouki et membre de la coalition au pouvoir, alors que ce 10 juillet, l’élection de l’Instance de la magistrature débute. "Il va y en avoir d’autres concessions sur la Constitution", promet Sahbi Atig, président du groupe Ennahda à l’ANC, sans donner plus de détails. Il se dit également "satisfait" du discours de François Hollande devant les députés de l’ANC. Le 5 juillet, le président français a estimé qu’"islam et démocratie sont compatibles". Il a aussi répété son soutien au processus démocratique en Tunisie, tout en estimant qu’il s’était "interrompu" en Égypte.
Lors d’une conférence de presse, Mustapha Ben Jaafar, le président du parti Ettakatol, membre de la coalition au pouvoir, et de l’ANC, a souligné que "la troïka doit retenir les leçons de ce qu’il s’est passé en Égypte".

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