Dopée par la situation en Égypte et le renversement du président Morsi,
l’opposition tunisienne essaie de s’organiser pour "faire pression" sur
le gouvernement mené par Ennahda. À l’initiative du Front populaire et
de Nidaa Tounes, une cinquantaine de représentants de partis politiques
de l’opposition et de la société civile, avec l’absence notable de la
puissante centrale syndicale de l’UGTT qui appelle au "consensus", se
sont réunis dans la soirée du 9 juillet pour déterminer d’une "feuille
de route" commune.
"L’attentisme est le mal qui ronge le pays. Maintenant, il faut créer un
rapport de force comme en Égypte", estime Boujemaa Remili, membre
fondateur de Nidaa Tounes. Son parti estime notamment que la
Constitution doit être achevée d’ici au 23 octobre 2013, deux ans après
l’élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC), et appelle à
dissoudre la Ligue de protection de la révolution. "La crise politique
engendre les problèmes sociaux et économiques, et l’incertitude pèse sur
les investisseurs", déclare Mongi Rahoui, député du Front populaire,
dont le parti avait fait campagne pour la dissolution de l’ANC. Dans un
communiqué commun, le Front populaire et Nidaa Tounes ont proposé la
tenue d’un congrès national réunissant les différents partis politiques
et chargé d’établir un calendrier, et le soutien des initiatives
populaires et des jeunes sur le terrain.
Car les initiatives se multiplient. Depuis le 30 juin, Tamarrod, un
mouvement calqué sur celui en Égypte, arpente le pays pour recueillir
des signatures. Les organisateurs déclarent en avoir "près de un
million". Impossible de vérifier. Le 10 juillet, leur page Facebook
affichait quelque 8 500 "fans", et leur pétition en ligne plus de 22
000. Le Front populaire a lancé son mouvement Khnaktouna (vous nous
étouffez, en français) le 8 juillet sur l’avenue Habib Bourguiba. "À bas
la dictature d’Ennahda", scandait la cinquantaine de manifestants
réunis, alors que des curieux s’approchaient.
Certains ont signé la pétition (aucun chiffre n’a été communiqué), qui
appelle à dissoudre l’Assemblée, à former un gouvernement d’union
nationale, à désigner un comité d’experts chargé de rédiger la nouvelle
loi fondamentale et à adopter un calendrier qui mène aux prochaines
élections. Mais la plupart sont repartis avec un tract. "Les jeunes ont
fait la révolution et sont écartés de la politique. On en a marre de
cette troïka qui fait croire que tout va bien. Les prix augmentent,
comme le taux de chômage, la pauvreté... Les libertés sont bafouées.
Cela ne peut plus durer", s’énerve Ines, 33 ans, militante du Front
populaire, qui qualifie de "victoire" la situation en Égypte. "L’armée
n’a fait que soutenir la demande du peuple."
"Rendormez-vous et battez-vous lors des prochaines élections", s’est
moquée dimanche Myriam. Cette fonctionnaire manifestait - à l’appel
d’Ennahda, avant que le rassemblement ne soit annulé faute
d’autorisation - avec une centaine de personnes devant l’ambassade
d’Égypte "en soutien à la démocratie en Égypte et à Morsi". "On a cru en
la démocratie. Cela donne un très mauvais signal aux pays occidentaux
et aux peuples arabes. Quand en France, aux États-Unis ou en Grèce, il y
a d’énormes manifestations, que la popularité du président chute, des
solutions sont trouvées. L’armée n’intervient pas pour changer le
régime", s’indigne Aziza, 50 ans, haut cadre bancaire.
"Une partie de l’opposition tente d’importer des problèmes qui ne sont
pas les nôtres. C’est de l’opportunisme politique et contre-productif",
souligne Zied Ladhari, député Ennahda. À plusieurs reprises, le
mouvement islamique a dénoncé "le coup d’État" en Égypte, condamné les
violences à l’encontre des Frères musulmans et appelé au dialogue de
tous les partis. Des membres du mouvement islamique s’étaient même
rendus en Égypte mi-juin pour tenter une médiation entre l’opposition et
les Frères musulmans. Dans une interview accordée au Monde, Rached
Ghannouchi, le président d’Ennahda, écarte un scénario à l’égyptienne en
Tunisie : armée non politisée, coalition au pouvoir, concessions sur la
Constitution, comme pour la charia ou la nature du régime. "Nous vivons
une démocratie consensuelle et non de majorité. Ce qui s’est passé en
Égypte montre que nous avons eu raison", a-t-il déclaré, ajoutant qu’il
n’y a "pas besoin d’un coup d’État pour savoir qu[’il faut] accélérer le
processus de transition, finir la Constitution et organiser au plus
vite des élections".
Et en vue d’accélérer ce processus, la commission du compromis, mise en
place fin juin, devrait se réunir pour la première fois ce 10 juillet.
"Je crois beaucoup en cette commission. Elle sera chargée de trancher
sur une dizaine de points avant que les articles ne soient soumis en
plénière. Cela permettra de gagner du temps. Il faut rapidement terminer
pour rassurer la population", estime Haythem Belgacem, député CPR
(Congrès pour la République), parti du président Moncef Marzouki et
membre de la coalition au pouvoir, alors que ce 10 juillet, l’élection
de l’Instance de la magistrature débute. "Il va y en avoir d’autres
concessions sur la Constitution", promet Sahbi Atig, président du groupe
Ennahda à l’ANC, sans donner plus de détails. Il se dit également
"satisfait" du discours de François Hollande devant les députés de
l’ANC. Le 5 juillet, le président français a estimé qu’"islam et
démocratie sont compatibles". Il a aussi répété son soutien au processus
démocratique en Tunisie, tout en estimant qu’il s’était "interrompu" en
Égypte.
Lors d’une conférence de presse, Mustapha Ben Jaafar, le président du
parti Ettakatol, membre de la coalition au pouvoir, et de l’ANC, a
souligné que "la troïka doit retenir les leçons de ce qu’il s’est passé
en Égypte".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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