La nouvelle étape de la révolution populaire en Egypte, à la suite du
30 juillet, continue à soulever la controverse concernant son essence,
son devenir et les différentes forces politiques qui y ont adhéré ou qui
tournent dans son giron… à commencer par les forces de gauche, les
salafistes et les différentes personnalités religieuses, pour aboutir au
grand point d’interrogation sur le rôle des forces armées et les
possibilités d’utiliser la nouvelle révolution afin de retourner au
pouvoir après qu’elles en furent exclues par les « Frères musulmans ».
Cette controverse est compréhensible et légale, même si elle renferme
parfois un peu d’exagération chez certains ou si d’autres se basent sur
des réponses toutes faites et superficielles quant à l’analyse ou aux
conclusions.
N’a-t-on pas vu, durant les deux années passées et notamment à la suite
de l’arrivée au pouvoir de Mohammad Morsi en tant représentant des
« Frères musulmans », la majorité des analystes et des observateurs
s’intéresser à l’étude des seuls phénomènes externes pour en tirer la
conclusion suivante : « le printemps arabe » - nom donné aux révolutions
– s’est transformé en son contraire puisque la bourgeoisie a pu
reprendre les rennes du pouvoir, principalement en Egypte et en Tunisie,
à travers les forces politiques religieuses qui sont partie intégrante
de cette bourgeoisie ?
Il nous faut dire que ces observateurs sont allés très loin dans leur
analyse des faits, à tel point qu’ils ont mis tous les mouvements
révolutionnaires ainsi que les slogans qu’ils portent sous le manteau de
la « théorie du complot » qui a pour base le projet du « Nouveau Moyen
Orient » et le soutien direct des régimes réactionnaires implantés dans
la région du Golfe. D’ailleurs, ils n’ont fait aucun cas du mouvement
des masses ni de leurs revendications. Ils n’ont pas, non plus, pris en
considération le fait que les Etats auxquels ils donnèrent le
qualificatif d’ « opposants » aux politiques impérialistes, dont la
République islamique en Iran, furent les premiers à accueillir
positivement l’arrivée des « Frères musulmans » à la présidence en
Egypte et en Tunisie, sous prétexte que cela signifiait le point de
départ du « printemps islamique », et qu’ils stigmatisèrent le fait que
le peuple égyptien se soit débarrassé de Mohammad Morsi.
Les répercussions de la chute des « Frères musulmans »
… de la Turquie et jusqu’en Israël
Ce qu’il est nécessaire de dire, aujourd’hui, c’est que les événements
qui ont eu lieu le 30 juillet 2013, même si toutes leurs répercussions
ne sont pas encore bien connus, constituent un tournant important dans
le processus révolutionnaire ininterrompu, non seulement pour l’Egypte
mais aussi pour tout le Monde arabe et, même, pour la région tout
entière… surtout si nous lions ce qui vient de se passer avec la révolte
du peuple turc, qui s’étend et s’approfondit grâce à la rencontre des
forces politiques progressistes autour d’un programme pour le changement
démocratique laïc qui mettrait fin au gouvernement du « Parti de la
justice et du développement » dirigé par Recep Erdogan. Et, n’oublions
pas, non plus, que la « Révolution iranienne » fut obligée elle aussi à
reconnaitre quelques concessions au mouvement revendicatif, surtout sur
le plan de la mise à l’écart des « conservateurs » afin de reprendre les
pourparlers avec les Etats-Unis et d’atténuer les conséquences
négatives du blocus imposé à l’Iran.
Quel est ce tournant duquel nous parlons ?
Le coup porté par le peuple égyptien au régime des « Frères musulmans »,
après qu’ils aient pris le pouvoir dans son intégralité, montre que la
tentative de remplacer les régimes dits « modérés », sur lesquels les
Républicains US avaient misé, par des forces religieuses « modérées »,
promues par Barak Obama lors de son discours à l’Universités du Caire
un an après sa première élection, ne fut pas un succès. Bien au
contraire, cette tentative n’a pas empêché les forces populaires
égyptiennes de poursuivre la voie qu’elle s’était tracée afin de
réaliser son programme résumé dans quatre mots-d’ordre : pain, liberté,
justice sociale, dignité humaine. Bien plus, et vu le recul du projet
militaire ayant l’aval des forces religieuses au Pakistan, et à la
lumière de ce qui se passe actuellement tant en Turquie qu’en Iran, ce
coup ne concerne pas seulement les « Frères musulmans » de l’Egypte,
mais il le dépasse pour toucher tous les modèles des régimes mixtes
« religieux-militaires » que l’impérialisme étasunien tente de propager
dans le Monde arabe et le Moyen Orient, Cela se traduirait sans doute
par une remise en question de l’étape actuelle et des formes
d’application du projet dit du « Nouveau Moyen Orient » élargi vers le
Maghreb arabe et le Nord de l’Afrique… à commencer par la Tunisie, et le
« Parti de la justice et du développement », et jusqu’en Israël et le
projet d’en faire « l’Etat des juifs du monde ». Ce projet qui constitue
la colonne vertébrale du projet du « Nouveau Moyen Orient », vu qu’il a
pour but de transformer Israël en un noyau autour duquel tournent les
mini Etats religieux et confessionnels qui seraient nés de l’effritement
du Machreq et du Maghreb arabe et après avoir liquidé la cause
palestinienne et mis fin au conflit israélo-arabe.
Cette vision de l’avenir, qui ne manquerait pas de naitre de la seconde
étape de la révolution égyptienne, est liée sans aucun doute à la voie
que cette révolution décidera de suivre, compte tenu de l’expérience des
deux dernières années, en particulier des tentatives, mise en échec,
de mettre l’Egypte sous la coupe des « Frères musulmans ». Parce qu’il
faut prendre en considération qu’il y aura d’autres tentatives de la
part des forces antirévolutionnaires, tant au sein de la bourgeoisie
égyptienne, et de la bourgeoisie arabe en général, que parmi les groupes
d’influence à la tête de l’armée, ou, encore, la possibilité d’user de
l’arme « religieuse » (Musulmans-Coptes) et/ou « confessionnelle ». Ce
qui nous mène à dire que les dangers sont nombreux devant la révolution,
dont celui de l’usage de voitures piégées et même d’une guerre civile,
que le président russe Vladimir Poutine a déjà prévue, afin de dérailler
le changement. C’est dans cette perspective que nous lisons les combats
sanglants dans les places du Caire, mais aussi d’Alexandrie et d’autres
villes, en plus de l’explosion du gazoduc vers la Jordanie et de la
mainmise des « Frères musulmans » sur certaines villes du Nord de Sinaï
où les étendards noirs ont remplacé le drapeau national égyptien.
Comment poursuivre les tâches de la Révolution
A la lumière de ce qui précède, il est nécessaire de préciser que la
victoire des forces qui avaient appelé, le 30 juin 2013, à la chute des
« Frères musulmans » restera instable si elle n’est pas liée à la
poursuite des tâches radicales que la Révolution du 25 janvier 2011
avait précisées à partir de ses quatre mots-d’ordre déjà cités (pain,
liberté, justice sociale, dignité humaine). Parce que ces mots d’ordre
constitue un programme qui précise le maillon central de l’étape qui
vient, et que nous définissons comme suit : la liquidation de ce qui
reste des institutions de l’ancien régime afin de pouvoir bâtir le
régime nouveau et tant attendu. D’ailleurs ces deux processus vont de
pair et se complètent.
Il est vrai que ce qui fut exécuté sur le plan de la destruction de
l’ancien régime n’est pas peu, à commencer par la destitution de Hosni
Moubarak et de son parti(le Parti national) et la saisie par la justice
égyptienne des dossiers de Moubarak et des leaders essentiels. Nous
n’oublions pas non plus les coups directs portés à l’appareil de l’Etat
et aux organismes de la police… et, enfin, à la tentative de reproduire
le régime à travers les « Frères musulmans ». Cependant tout cela reste
fragile s’il n’est pas accompagné d’un projet politique et
socio-économique à court et moyen termes. Un projet basé sur des plans
de lutte et des priorités bien claires ; fait qui aiderait à faire
émerger un leadership bien ancré dans l’alliance de classes qui fut à la
base de la chute des régimes de Moubarak puis des « Frères musulmans ».
Les priorités telles que nous les voyons se résument ainsi :
Refuser d’amender la Constitution de Moubarak avec les amendements
introduits par les « Frères musulmans » et la remplacer par une nouvelle
Constitution qui préciserait le régime politique et socio-économique à
construire. Une commission de rédaction de la nouvelle Constitution doit
être constituée par les représentants, élus, des forces sociales et
politiques qui ont conduit à la révolution à travers des luttes
cumulatives depuis plus de 10 ans ; à la tête de ces représentants les
militants de la classe ouvrière, des paysans, des jeunes, des
intellectuels démocrates et des femmes.
Dans ce domaine constitutionnel, et partant des deux slogans de la
liberté et de la justice sociale prônés par les deux révolutions du 25
janvier 2011 et du 30 juin 2013, nous pensons que la suppression du
régime présidentiel ainsi qu’une loi électorale démocratique et une
nouvelle loi concernant la constitution des partis politiques et des
syndicats ouvriers pourront constituer les bases d’un avenir meilleur. A
cela devra s’ajouter une nouvelle vision économique, basée sur le
développement des secteurs productifs… en plus de l’imposition des
droits au travail, à l’instruction et à la santé.
(16-07-2013, Parti communiste libanais)
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