2017 sera une année électorale avec la tenue des municipales. 2016 est
donc l'année des congrès des principaux partis qui s'affronteront lors
de ce scrutin clé pour l'avenir de la Tunisie, celui du contrôle des
mairies et de l'instauration progressive de la décentralisation.
Longtemps considéré comme le Grand Satan par Nidaa Tounes, Ennahda est
devenue son allié après les législatives de 2014. Un accord négocié par
les deux vétérans de la politique tunisienne : le président de la
république Beji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. Accord qui offre au
pays une stabilité politique nécessaire en ces temps de menaces
terroristes et de crise sociale latente.
Rached Ghannouchi ne fait plus mystère des grandes orientations que le
parti va révéler lors de cet important congrès, le dixième de son
histoire. Ennahda veut gouverner, aspire à devenir un parti comme les
autres, présentera un programme économique, ne cache pas son admiration
pour le modèle turc depuis l'avènement de Recep Erdogan à la tête du
pays. Sur les dossiers clés, le leader historique affiche sa solidarité
avec BCE et le gouvernement d'Habib Essid. La loi de réconciliation
économique – un pardon moyennant amendes aux personnes ayant bénéficié
de la corruption sous Ben Ali – est « indispensable, urgente et
salutaire » selon ses déclarations à Leaders Arabiya. La promesse de
campagne de BCE avait été reportée au quatrième trimestre 2015 faute de
consensus. Une question de timing qui devrait trouver un aboutissement
prochain. Sur la question du terrorisme et de la radicalisation des
esprits, le Cheikh pointe le danger d'une « confrontation entre les
extrémistes de tous bords » (takfiristes de Daech compris) et « ceux qui
prônent le rassemblement des forces vives ».
Si les rapports avec l'Égypte du maréchal al-Sissi sont rompus depuis le
coup d'État mené contre Mohamed Morsi et les dizaines de milliers
d'arrestations de membres des Frères musulmans, Ennahda voit en la
Turquie un exemple de réussite politique et économique. L'AKP, le parti
du président Erdogan, gouverne le pays depuis 2002. La progression
économique, indéniable, s'est accompagnée depuis deux ans de sérieux
coups de canif dans le domaine des droits de l'homme : incarcération de
journalistes, juges et policiers mutés car jugés « hostiles » au
président turc. Néanmoins, lors des dernières législatives, l'AKP a été
reconduite au pouvoir. Si ce cap est officiellement confirmé, le parti
islamiste tunisien ne pourra échapper à un examen critique de ses années
au pouvoir.
En 2011, le parti emporte les élections. Avec 89 élus sur 217 au sein de
l'Assemblée constituante, Hamadi Jebali devient Premier ministre. Deux
autres partis (Ettakatol et le CPR) forment la Troïka qui gouvernera
jusqu'en janvier 2014. Ils quitteront le pouvoir après qu'un dialogue
national ait été mené pour trouver une solution politique. Le bilan
économique de ces presque deux années et demie de gestion des affaires
publiques s'avèrera très mauvais. Hausse du chômage, de l'inflation, peu
de réformes et beaucoup d'attentisme. Sans compter les grèves à
répétition, les assassinats de deux hommes politiques, Chokri Belaïd et
Mohamed Brahmi. Chez Ennahda, comme dans la plupart des partis
islamistes, on règle ses différents à huis clos. Le bilan des années au
pouvoir n'a pas été fait, publiquement s'entend. Une autopsie a été
mandatée en interne mais elle a été confiée à Ali Larayedh qui a été
ministre de l'Intérieur puis Premier ministre. Pas le plus apte à
procéder à un bilan lucide. Le Congrès, préparé au millimètre, ne
permettra pas d'offrir des débats contradictoires. L'image d'un parti
rassemblé, uni autour de la stature de Rached Ghannouchi, sera vendue
aux Tunisiens et aux hôtes étrangers. Un exercice de communication
soigneusement orchestré.
Le premier scrutin majeur depuis les présidentielles et législatives de
2014 se tiendra en mars 2017. Les communes tunisiennes choisiront leurs
élus. S'ils sont alliés à l'Assemblée des représentants du peuple, Nidaa
Tounes et Ennahda présenteront des listes séparées contrairement à ce
que laissaient supposer des rumeurs distillées à l'automne dernier. De
ce vote surgira la photographie politique tunisienne. Face à ces deux
locomotives qui caractérisent un système bipartisan somme toute
classique, qui seront les adversaires ? Nidaa Tounes qui a connu une
scission de ses députés depuis octobre dernier, son ex-secrétaire
général Moncef Marzouk ayant fondé son nouveau groupe parlementaire
Al-Horra sera-t-il capable de mobiliser contre la machine très huilée
d'Ennahda ? Ce dernier est présent dans tous le pays avec des militants
organisés. La machine Nidaa, très efficace en 2014, souffrira-t-elle de
ses divisions ?
Le Congrès terminé, les projecteurs et les micros remisés, Ennahda devra
faire face à la désillusion d'une partie de sa base qui ne comprend
toujours pas le rapprochement opéré avec Nidaa Tounes après une campagne
électorale verbalement violente entre les deux forces politiques. Les
aggiornamentos politiques ne sont pas toujours audibles par certains
cadres et une jeunesse divisée. Et le Congrès passé, des non-dits
demeureront. Et les Tunisiens attendent de leur classe politique des
solutions à un quotidien de plus en plus difficile.
(17-05-2016 - Benoît Delmas)
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