« Il s'agirait de la coalition la plus à droite d'Israël. » Le constat
est d'autant plus alarmant qu'il émane de Washington, l'allié
indéfectible. Dans un communiqué, le département d'État exprime ses «
interrogations légitimes sur la direction que [le gouvernement
israélien, NDLR] pourrait prendre et quel genre de politiques il
pourrait adopter ». Autrement dit, les États-Unis ne cachent pas leur
inquiétude face à l'inexorable droitisation d'Israël.
Pour pallier la démission fracassante du ministre de la Défense, Moshe
Yaalon (Likoud, droite nationaliste), qui s'était alarmé de la mainmise
d'« extrémistes » à la tête du pays, le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahu a désigné Avigdor Lieberman, qui n'est autre que le
chef du parti d'extrême droite Israël Beiteinou (« Israël notre maison
»).
« Depuis sa victoire aux élections législatives de 2015, Benjamin
Netanyahu ne disposait que d'une coalition extrêmement étroite, avec 61
sièges à la Knesset sur 120 députés. Ainsi, pendant un an, il n'a pu
faire passer beaucoup de lois, notamment en raison de défections au sein
de sa majorité », rappelle Ilan Greilsammer, professeur de sciences
politiques à l'université Bar-Ilan à Tel Aviv. « Étant avant tout un
pragmatique, le Premier ministre cherchait depuis longtemps à élargir sa
coalition. En faisant entrer cinq élus d'Israël Beiteinou en son sein,
il possède désormais 66 sièges et s'offre une majorité plus stable. »
Problème, Avigdor Lieberman, l'homme désormais aux commandes du
ministère le plus important d'Israël, ne possède aucune expérience sur
le plan militaire, et demeure, qui plus est, résolument anti-arabe.
Après avoir qualifié en 2014 le président de l'Autorité palestinienne
Mahmud Abbas de « terroriste diplomate », il a déclaré l'année suivante
que les citoyens arabes d'Israël qui se montraient déloyaux envers
l'État hébreu méritaient « de se faire décapiter à la hache ».
Or, c'est justement de la supervision des Territoires palestiniens
occupés – la Cisjordanie – que devra s'occuper le nouveau ministre de la
Défense. Et si, à l'inverse de plusieurs ministres nationalistes
religieux du gouvernement Netanyahu, Lieberman ne se dit pas hostile à
la création d'un État palestinien, il prône en revanche l'adoption de
mesures ouvertement discriminatoires vis-à-vis des populations arabes,
palestiniennes comme israéliennes. Il défend par exemple l'idée d'un
échange de territoires qui ferait passer sous administration
palestinienne une partie de la population arabe israélienne contre des
colonies juives en Cisjordanie.
Autre souhait exprimé par Lieberman avant sa nomination, la volonté
d'infliger la peine de mort aux Palestiniens auteurs d'attentats
anti-israéliens. Selon certaines sources, Avigdor Lieberman aurait
d'ailleurs obtenu que la sentence prononcée par les tribunaux militaires
en Cisjordanie ne le soit plus à l'unanimité des trois juges, mais à la
majorité. Un scénario que rejette catégoriquement le politologue Ilan
Greilsammer. « La peine de mort n'a jamais été pratiquée en Israël, sauf
pour les anciens nazis », souligne-t-il. « Ceci est de la propagande
intérieure. La seule chose qui intéresse Avigdor Lieberman était
d'obtenir le ministère de la Défense, qui prépare la voie au poste de
Premier ministre. »
Pour Saeb Erekat, numéro deux de l'Organisation de libération de la
Palestine (OLP) interrogé par l'Agence France-Presse, « ce gouvernement
représente une vraie menace d'instabilité et d'extrémisme dans la région
». En attendant l'épreuve du feu pour le nouveau ministre, son
sulfureux passif ne risque pas d'apaiser une situation déjà explosive
sur le terrain. En l'absence de toute perspective de paix – les
négociations sont bloquées depuis 2014 –, la région est en proie à une
vague de violences que certains ont appelée l'« Intifada des couteaux ».
Depuis l'automne dernier, des attaques palestiniennes quotidiennes à
l'arme blanche contre des soldats, des forces de l'ordre, mais aussi
contre des civils israéliens ont coûté la vie à vingt-huit Israéliens,
deux Américains, un Érythréen, un Soudanais. Quelque 205 Palestiniens
(principalement des assaillants abattus par les forces de sécurité,
NDLR) ont été tués. Pour l'heure, Avigdor Lieberman a pris soin de
calmer le jeu, en s'engageant à mener une « politique responsable et
raisonnable ». De son côté, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a
promis que son gouvernement « continuera à chercher à parvenir à la paix
avec les Palestiniens et avec tous [les] voisins ».
Pourtant, depuis sa réélection à la tête de l'exécutif en mars 2015,
celui qui avait juré lors de la campagne électorale qu'il n'y aurait pas
d'État palestinien s'il était élu a poursuivi tambour battant la
colonisation israélienne en Cisjordanie. Illégale en vertu du droit
international, elle constitue le principal obstacle sur le terrain à la
création d'un État palestinien. Poussé à l'intransigeance par la nature
politique de sa coalition, qui fait la part belle aux partisans du «
Grand Israël », Benjamin Netanyahu fait désormais face aux critiques –
rarissimes – de hauts gradés de l'armée israélienne.
Lors de la journée commémorative de la Shoah, les propos du général Yaïr
Golan ont choqué. Le numéro deux de Tsahal a dit voir « des signes en
cette année 2016 [...], des processus nauséabonds qui se sont déroulés
en Europe en général et plus particulièrement en Allemagne, il y a 70,
80 et 90 ans ». Il emboîtait le pas au chef d'état-major de l'armée
israélienne, le général Eizenkot, qui s'était publiquement opposé à ce
qu'« un soldat vide un chargeur sur une fille de treize ans qui le
menace avec des ciseaux ».
Dès lors, comment imaginer de tels hauts gradés être dirigés par un
ministre d'extrême droite aux propos incendiaires ? « Ces déclarations
tiennent plus de la manœuvre politique intérieure que de la véritable
idéologie », souligne Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique
et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya
(Israël). « Relativement inexpérimenté sur la question militaire,
Avigdor Lieberman est en revanche un pragmatique. Il devrait se ranger
derrière les positions de ses généraux. »
En décembre 2014, le chef du parti Israël Beiteinou avait ainsi surpris
en proposant un plan de paix associant pays arabes de la région,
Palestiniens et Arabes israéliens.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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