Chakib
Khelil a pu rentrer à Alger après l'annulation d'un mandat d'arrêt
contre lui pour vice de forme. L'ancien ministre de l'Énergie (ici en
2003) était soupçonné de corruption. (Afp)
La guerre est rallumée entre la présidence algérienne et l'ex-DRS
(Département du renseignement et de la sécurité), les services de
renseignements algériens, dont l'ancien patron, le général Mediène, est
parti à la retraite en septembre.
À l'origine du différend ? Le retour en Algérie de Chakib Khelil, en
mars, après trois ans d'exil aux États-Unis pour échapper à un mandat
d'arrêt international dans une affaire de corruption liée à la
Sonatrach, l'entreprise pétrolière algérienne. Mais, surtout, la volonté
de l'ex-ministre de l'Énergie et des Mines, ami d'enfance d'Abdelaziz
Bouteflika, de viser la succession de l'actuel président, malade.
Interviewé le 10 mai sur la chaîne algérienne privée, Ennahar TV, Chakib
Khelil ne se dérobe pas. Sera-t-il candidat à la présidentielle ? lui
demande le journaliste. « C'est le peuple qui décidera. Mais si le
président me sollicite, je répondrai présent », répond-il sans
hésitation. On ne saurait être plus clair. On comprend pourquoi, les
semaines précédentes, l'ex-ministre de l'Énergie s'était lancé
frénétiquement dans une tournée des grandes zaouïas (confréries
religieuses) du pays. Bouteflika avait utilisé cette méthode pour se
faire adouber d'une partie de la population avant son élection en 1999.
Quant à Chakib Khelil, il a bien besoin de redorer son blason alors
qu'il passe, aux yeux des Algériens, pour le haut fonctionnaire qui
s'est le plus enrichi frauduleusement du pays. Même si le mandat lancé
contre lui, son épouse et ses deux fils – ils vivent tous trois aux
États-Unis - en octobre 2013 a été annulé pour vice de forme.
Pour les anciens du service de renseignements, que Chakib Khelil puisse
envisager de succéder un jour à Abdelaziz Bouteflika, permettant ainsi
de proroger la domination du clan présidentiel, est un affront. En 2011,
c'est l'ex-DRS qui avait, en partie, initié les enquêtes sur les
affaires de corruption liées à la Sonatrach (trois gros contrats passés
de gré à gré entre la Sonatrach et des sociétés étrangères). Celles-ci,
en particulier la Saipem, une filiale du pétrolier italien ENI, sont
accusées d'avoir reversé des commissions à l'entreprise algérienne.
L'enquête avait donc mené à l'inculpation de Khelil, l'ami d'enfance du
président, originaire d'Oujda, au Maroc, comme lui (tous deux ont
fréquenté la même école), soupçonné, par certains, d'être le « banquier »
du clan présidentiel.
Dès le lendemain de la déclaration de l'ex-ministre de l'Énergie sur son
éventuelle candidature, un site, Algérie patriotique, géré par un des
fils du général Khaled Nezzar, ancien patron de l'armée, rappelait
opportunément l'importance des sommes reçues par Najat Arafat, l'épouse
de Khelil, sur un compte au Liban. Son nom est aussi apparu dans les
Panama Papers. Elle posséderait « deux sociétés offshore au Panama
servant de paravent à des comptes bancaires en Suisse », selon les
documents des Panama Papers. L'ex-ministre explique ses comptes en
Suisse par le fait qu'il y avait déposé sa retraite de la Banque
mondiale avant de la transférer aux États-Unis, où il est titulaire
d'une carte verte.
« Cette enquête d'Algérie patriotique apparaît comme le coup d'envoi
d'une contre-attaque des secteurs de l'armée, de l'ancien DRS en
particulier, qui a subi la tentative de réhabilitation de Chakib Khelil
comme une humiliation », écrit Maghreb Emergent, un des sites les mieux
informés et les plus crédibles d'Algérie. En fait, c'est la poursuite de
la vieille querelle entre le clan présidentiel et l'ex-DRS dans le
cadre de la succession du président. Si le mandat d'Abdelaziz Bouteflika
court jusqu'au printemps 2019, son état de santé suscite des
inquiétudes et aiguise les appétits. Chaque camp prépare son ou ses
poulains.
Chakib Khelil a un handicap : la Constitution algérienne prévoit que les
candidats à la présidentielle doivent justifier d'une résidence
permanente exclusive en Algérie depuis dix ans (les Khelil sont aux
États-Unis depuis 2013) et que le(a) conjoint(e) doit posséder la seule
nationalité algérienne d'origine. Najat Arafat (rien à voir avec Yasser
Arafat) est de nationalité américaine et d'origine palestinienne.
Certes, les lois sont faites pour être modifiées, mais les Algériens
apprécieraient peu.
Chakib Khelil pense avoir un atout : ses excellents contacts avec
Washington. Après avoir étudié aux États-Unis, diplôme d'ingénieur en
poche, il a longtemps travaillé dans des sociétés pétrolières
américaines avant de rejoindre la Banque mondiale. Ministre de l'Énergie
depuis 1999 et patron de la Sonatrach, un secteur très lié aux
Américains, il a rencontré tout le gotha pétrolier et politique
américain. Ses détracteurs font remarquer que, lorsqu'il était ministre
de l'Énergie et patron de la Sonatrach, les États-Unis étaient devenus
les premiers importateurs de brut algérien (50 000 tonnes en 2002, 17
millions de tonnes en 2010). Les « nationalistes » algériens, dont
certains secteurs de l'armée, lui reprochent beaucoup d'avoir ouvert le
secteur des hydrocarbures aux sociétés étrangères, en particulier
américaines.
Khelil ne cache pas son penchant pour les États-Unis, qui ont refusé de
l'extrader lorsqu'il y était réfugié. Il montre, par contre, peu
d'affinités avec la France. « Entre la France et l'Algérie, la relation
est coloniale, mais, entre l'Algérie et les États-Unis, nous avons
toujours eu des liens amicaux », expliquait-il le 16 mai lors d'un forum
organisé à Alger par le quotidien arabophone Al Hiwar, reprochant à
Paris de soutenir « sans limites le Maroc sur le Sahara » et le rendant
responsable de la déstabilisation de la Libye.
Nul doute que Washington ne dédaignerait pas de voir un candidat aussi
ouvertement pro-américain, passé par des universités et entreprises
américaines, chausser les bottes de Bouteflika. On dit même qu'il y
aurait eu une entente entre Washington et certains milieux algériens
pour son retour. L'avenir le dira. Mais l'Algérie est un pays qui
réserve souvent des surprises.
(17-05-2016 - Mireille Duteil)
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