Ce sera sans signes extérieurs de joie. Sans gâteau ni bougies. La
célébration du cinquième anniversaire de la révolution se fera a minima.
Au palais de Carthage, on saluera le symbole en présence de
personnalités. Avenue Bourguiba à Tunis, entre la porte de France et la
place du
14-Janvier, drapeaux et éclairages ont été installés. Les partis
d'opposition ont annoncé qu'ils boycotteraient les cérémonies. Une
mauvaise humeur sans conséquence. Les Tunisiens bénéficieront d'un jour
férié. Pour ceux qui ont un travail…
Une démocratie malade de son passé
Trente-six heures avant ce cinquième anniversaire, levée d'écrou pour
l'un des gendres de Ben Ali, Slim Chiboub. Cet homme d'affaires s'était
enfui le 13 janvier 2011, puis s'était ravisé en 2014. Après quelque 420
jours de détention, il a été libéré. Il se tient à la disposition de la
justice. Sa libération n'a guère fait de bruit. De vulgaires photos ont
circulé montrant ses premiers pas à l'extérieur de la prison, puis ses
premiers visiteurs. Ancien patron de l'Espérance sportive de Tunis, l'un
des deux clubs qui structurent la vie footballistique, Chiboub est l'un
des rares hommes-clés du système Ben Ali à avoir payé d'une
incarcération sa vie sous le despote. Explications.
Une révolution contre la corruption et l'injustice
Le 17 décembre 2010, un vendeur de fruits et légumes ambulant s'immole
dans le centre du pays. Mohamed Bouazizi n'est pourtant pas le premier à
avoir mis fin à ses jours, ce qui est interdit par l'islam. La vague de
pauvreté et de désespoir qui recouvre les régions intérieures n'a
jamais intéressé le pouvoir de Tunis. Alors, les régions intérieures
viendront à Tunis. Malgré la répression policière, sans laquelle Ben Ali
n'était rien, la contestation gagnera le reste du pays. Ben Ali traite
les manifestants de « terroristes », puis se ravise le 13 janvier. Dans
un discours télévisé, conçu par un communicant français, le raïs
tunisien dit, somme toute, « je vous ai compris » et commet
l'irréparable : il lève la censure qui cadenassait Internet. Dans
l'heure, Facebook and co sont miraculeusement libérés. Et les Tunisiens
partagent. Les fichiers des exactions policières, les photos des morts…
Le lendemain, à 17 h 50, Ben Ali s'envole pour Djeddah avec femme et
enfants. En moins d'un mois, la citadelle Ben Ali a chuté. Une
révolution horizontale sans leader ni slogan, hormis le « dégage » qui
s'est imposé spontanément, qui essaimera en Égypte, en Libye, à Bahreïn…
Les vingt-trois années de règne Ben Ali ne suscitent que quelques
qualificatifs : corruption, mafia, racket. Difficile de trouver
l'exemple d'un pays pillé à ce point par une clique de prédateurs jamais
repus. L'économie nationale a été littéralement vampirisée par Ben Ali
et sa belle-famille, les fameux Trabelsi. Opérateurs télécoms,
franchises, automobiles…, tous les secteurs d'activités seront accaparés
par le pouvoir et ses affidés. Les règles du jeu sont faussées,
truquées. Si McDo s'installe au Maroc, il ne le fera pas à Tunis. L'État
y est trop gourmand. Cette cupidité creusera la tombe du régime. Pour
autant, cinq ans après, quid de cette situation ?
L'économie privée aux mains de quelques familles
La Banque mondiale et autres institutions appellent fréquemment à une
plus grande ouverture du secteur privé. Dans un rapport publié en 2014,
la Banque mondiale estimait que plus de la moitié de l'économie privée
était confisquée par quelques familles. « Le problème du capitalisme de
copinage ne concerne pas seulement Ben Ali et son clan : il demeure l'un
des principaux problèmes de développement auxquels la Tunisie est
confrontée aujourd'hui », commente Antonio Nucifora, économiste
principal de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique
du Nord (MENA). Une situation qui découle d'une révolution qui s'est
dénouée sans violence ni purge massive. Ce qu'on nomme justice
transitionnelle peine à se mettre en place. Hormis Imed Trabelsi (neveu
de Leïla Trabelsi, la seconde femme de Ben Ali) et Slim Chiboub, aucune
grande figure de l'ancien régime n'a été inquiétée. Ils se sont murés
dans une confortable discrétion en attendant des jours meilleurs. Quand
d'autres vivent sous des cieux plus bienveillants : Seychelles, Canada,
pays du Golfe… En ce cinquième anniversaire de la révolution, seul Imed
Trabelsi regardera à la télévision, depuis sa prison, la cérémonie
organisée au palais de Carthage. Pour avancer, la Tunisie a besoin
d'affronter publiquement son passé. Et de faire sa révolution
économique.
(14-01-2016 - Benoît Delmas)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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