Commencé le 1er novembre par une rixe à Hammamet, le soap opera Nidaa
Tounes a resserré les rangs ce week-end à Sousse. Ce fut un congrès
politiquement stupéfiant. Le président de la République, Béji Caïd
Essebsi, a quitté son statut de président de tous les Tunisiens pour
revenir (il est président d'honneur) dans l'arène de la machine
électorale qui l'a porté au pouvoir. Il a prononcé un vigoureux
discours, faisant peu de cas des dix-neuf députés qui ont démissionné du
bloc parlementaire de Nidaa à l'ARP. Des propos tenus sous les yeux de
Rached Ghannouchi. Décontracté, l'homme - qui était l'ennemi absolu du
parti créé pour BCE - a reçu un accueil chaleureux. Il était
inimaginable en 2014 que les deux briscards de la politique tunisienne
soient publiquement réunis dans la même salle.
Allocution de Béji Caïd Essebsi avant celle de Ghannouchi
Le cheikh d'Ennahda a ensuite gagné l'estrade et prononcé un discours.
Rayon petites phrases, on accrochera celle-ci, ciselée à souhait : « La
Tunisie est un oiseau dont les deux ailes sont Nidaa Tounes et Ennahda. »
Applaudissements pour l'ornithologue. En omettant de citer les deux
autres partis de la coalition gouvernementale, Afek Tounes et l'UPL, il a
déclenché l'ire calculée de Slim Riahi. L'homme d'affaires à la tête de
seize députés UPL à l'ARP a quitté les lieux, refusant de s'adresser à
la salle. Un mouvement d'humeur sans conséquence : Nidaa et Ennahda
dominent l'assemblée avec 137 élus. Une confortable majorité pour un
hémicycle qui compte 217 sièges. D'autant que les frondeurs de Nidaa,
s'ils ont quitté le bloc parlementaire, continueront de soutenir le
gouvernement d'Habib Essid. Le vote de confiance qui doit intervenir à
l'ARP pour le nouveau gouvernement sera une simple formalité. Le soutien
indéfectible des islamistes sera réitéré.
Un changement de logiciel pour Nidaa Tounes
La montée en puissance du fils du président de la République, Hafedh
Caïd Essebsi, s'est traduite par sa nomination comme secrétaire
national, directeur exécutif du parti. Un titre qui lui permet de tenir
sa promesse. L'homme avait affirmé au pire de la crise ne pas vouloir
postuler au poste de secrétaire général. Il est désormais entouré de
treize secrétaires nationaux. On y trouve quelques figures clés de
l'entourage de BCE : Selma Elloumi, la ministre du Tourisme, continue
d'être la trésorière quand son frère Faouzi (PDG de Cofat) hérite des
relations avec l'ARP ; Ridha Belhaj, directeur de cabinet, ayant rang de
ministre, à Carthage, devient secrétaire national. Le congrès a marqué
le retour au bercail de quelques figures qui avaient annoncé leurs
départs. Faouzi Elloumi avait émis fin décembre, sur son mur Facebook,
de fortes réserves sur ce « congrès », une simple « assemblée générale »
à ses yeux. Le voici récompensé. Idem pour Bochra Belhaj Hmida. Cette
femme qui soutenait Ben Ali le 13 janvier 2011, veille de la fuite du
dictateur, a multiplié les partis. Élue dans la circonscription de Tunis
2 en octobre 2014, elle avait déclaré quitter Nidaa. Elle a fait son
retour, moqué sur les réseaux sociaux, au bercail. Sans obtenir un poste
de secrétaire national qu'elle espérait. Entrée à forte teneur
symbolique, celle de Nabil Karoui. Le patron, avec son frère Ghazi, de
NessmaTv – qui a retransmis le congrès en direct – quitte l'ombre pour
la lumière. Il fut dès 2012 l'un des artisans, financiers et promoteurs
de la candidature Essebsi. C'est dans son bureau que l'esquisse de Nidaa
Tounes a pris forme. Afin d'éviter le mélange des genres, Karoui a
promis de quitter ses fonctions à la tête de Nessma. Désormais, l'un des
défis qui se pose à six mois du congrès électoral : quelle sera la
ligne politique de cette très efficace machine électorale ?
Essebsi et Ghannouchi verrouillent le jeu politique
La présence de Rached Ghannouchi au premier rang du congrès est-elle le
prélude d'un rapprochement entre les deux frères ennemis de la politique
tunisienne ? Les islamistes tiendront leur congrès au printemps.
L'ex-secrétaire général Mohsen Marzouk a toujours été hostile à ce
rapprochement. Surtout après les deux campagnes électorales, verbalement
musclées, de 2014. L'homme prépare la création d'un nouveau parti
depuis sa démission de Nidaa Tounes. Il a réuni des sympathisants au
palais des congrès de Tunis. Il veut élaborer un projet national de
réformes et du renouveau politique. Sur les 162 membres du bureau
exécutif de Nidaa, 42 ont démissionné. Ce nouveau parti, issu de la
scission Nidaa, verra le jour en mars. Cette recomposition politique
prouve que BCE et Ghannouchi sont les maîtres absolus du jeu politique.
Le prochain scrutin électoral, qui fera figure de test, sera celui des
municipales. Au mieux fin 2016. Vraisemblablement en 2017. Lundi matin,
le ministre de l'Éducation nationale, Neji Jalloul, était interrogé sur
la petite phrase de Ghannouchi. Il a répondu « ne pas être compétent en
sciences des oiseaux »…
(11-01-2016 - Benoît Delmas)
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