Cinq après une révolution de Jasmin réussie, tout du moins à l'aune des
Printemps arabes qui partout ailleurs ont capoté ou sombré dans la
violence, la Tunisie est de nouveau taraudée par les démons de la
politique politicienne. Alors que l'économie ne s'est pas redressée, que
les touristes ne sont pas revenus, que le chômage et la pauvreté
s'accroissent, que les djihadistes frappent régulièrement le pays, et
que Daech se renforce dans la Libye voisine, faut-il que la fragile
Tunisie se lance dans une guerre de succession ?
Pour être tabou, le sujet n'en est pas moins sur la table. Le chef de
l'État, Béji Caïd Essebsi, aura 90 ans en novembre prochain. Très
populaire, il est malgré tout le plus âgé des chefs d'État. Qui pourrait
lui succéder en 2019, date des élections législatives et de la
présidentielle ? Ce vieux routier de la politique tunisienne vient de
placer son fils en pole position. Le 10 janvier, le premier congrès de
Nidaa Tounes (qui signifie « L'Appel de la Tunisie »), le parti au
pouvoir fondé en 2012 par Béji Caïd Essebsi, a nommé à sa tête le fils
du président, Hafedh Caïd Essebsi, désormais directeur exécutif. Congrès
qui s'est déroulé en présence du président de la République, qui ainsi
l'adoubait de fait. Émoi dans une Tunisie républicaine et rétive à
l'idée de voir s'installer un système héréditaire (toutes les tentatives
passées depuis l'indépendance ont débouché sur de graves crises
politiques). En fait, l'affaire ferait moins de bruit si Caïd Essebsi
Junior n'était pas, à 53 ans, un novice en politique. Il n'est qu'un «
fils de », persiflent ses opposants.
En 2014 déjà, Essebsi Junior avait échoué à s'emparer de Nidaa Tounes
Il aura au moins réussi à semer la zizanie dans un parti qui dirige la
Tunisie depuis 2014, après avoir gagné les élections. Voilà plusieurs
mois que Nidaa Tounes tangue. Deux clans s'y affrontaient. D'un côté,
Caïd Essebsi, appuyé par d'anciens du RCD (le parti de Zine el-Abidine
Ben Ali) et des hommes d'affaires de plus ou moins bonne réputation. De
l'autre, le clan du secrétaire général du parti, Mohsen Marzouk, 50 ans.
Farouchement laïque, ancien militant de la gauche étudiante, puis
impliqué dans la lutte pour les droits de l'homme, Mohsen Marzouk, passé
par la case prison sous Ben Ali, a travaillé auprès de Béji Caïd
Essebsi lors de son élection à la présidence. Apprécié des Américains,
il s'est farouchement opposé à la mainmise du fils du président sur le
parti. En 2014 déjà, Essebsi Junior avait échoué à s'emparer de Nidaa
Tounes. En 2016, il a réussi et éliminé tous ses adversaires et rivaux
du bureau politique.
Dès décembre dernier, Mohsen Marzouk avait démissionné de son poste de
secrétaire général du parti, accompagné de quelques grosses pointures de
Nidaa Tounes. Ils estimaient que les dés seraient pipés lors du
congrès, mais pas seulement. L'évidente rivalité entre Hafedh Caïd
Essebsi et Mohsen Marzouk pour la conquête du parti et… du pays se
double d'une querelle idéologique. Marzouk, de même que les députés qui
ont quitté Nidaa Tounes, refuse la politique de « consensus » entre
partis, y compris les islamistes, prônée par le chef de l'État. Une
politique qui a entraîné le départ de vingt et un députés de Nidaa
Tounes. Résultat : Essebsi Junior dirige un parti « au pouvoir » qui a
perdu la majorité à l'Assemblée nationale au profit d'Ennahda, le parti
islamiste.
Un rapprochement entre Nidaa Tounes et Ennahda
Mohsen Marzouk veut donc lancer un nouveau mouvement soucieux de
respecter les idéaux républicains et « laïques » qui ont fait gagner
Nidaa Tounes en 2014. Pour lui, les islamistes d'Ennahda sont des
adversaires, pas des partenaires. Certains militants de Nidaa Tounes ont
cru s'étrangler au congrès du parti lorsqu'ils ont entendu l'invité
d'honneur, Rached Ghannouchi, fondateur d'Ennahda, déclarer à la tribune
que « Nidaa Tounes et Ennahda sont les deux ailes de la colombe Tunisie
».
Est-ce un pas en arrière pour la Tunisie ? Une politique pragmatique de
Béji Caïd Essebsi qui sait qu'il ne peut gouverner sans la composante
islamiste (qui de plus est désormais majoritaire au Parlement) ? Le chef
de l'État sait aussi qu'à l'été 2013, lorsque le pays était en crise
profonde, c'est l'accord qu'il a passé avec Ghannouchi (alors que tout
séparait les deux adversaires qui ont depuis appris à s'estimer) qui a
permis de sauver la Tunisie. Essebsi a sans doute besoin de Ghannouchi
pour venir à bout des islamistes violents. Ghannouchi est probablement
le seul à pouvoir faire admettre une politique d'accommodement avec un
parti « séculier » aux plus rigoristes de ses troupes. C'est une entente
qui repose sur l'accord entre deux hommes. Elle ne sera pas éternelle.
Reste à savoir qui sera, au final, le gagnant ?
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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