Début janvier, la tempête qui s'était levée entre l'Arabie Saoudite et
l'Iran n'avait pas tardé à quitter les seuls rivages du Golfe pour le
continent noir. L'Arabie Saoudite avait battu le rappel de ses amis et
obligés pour tenter d'isoler diplomatiquement l'Iran. Obsédée par la
république des mollahs et persuadée que le retour de Téhéran sur la
scène internationale est pour le royaume saoudien une question de
sécurité nationale, Riyad a cherché, ces dernières années, à contrer
l'Iran, jusqu'en Afrique. Les Saoudiens ont-ils réussi à s'attacher les
fidélités africaines ? Rien n'est moins sûr.
Succès mitigé de Riyad dans son forcing sur les pays africains...
Certes, dés le lendemain de la mise à sac de l'ambassade saoudienne à
Téhéran en rétorsion à l'exécution du chef religieux chiite, Nimr Baqer
al-Nimra, par les autorités saoudiennes, trois pays, le Soudan, Djibouti
et la Somalie, se sont immédiatement alignés sur Riyad et ont rompu
leurs relations diplomatiques avec l'Iran. Mais passée cette première
vague de pays de l'Afrique de l'Est (rapidement rejoints par les
Comores), Etats à la fois proche géographiquement, économiquement mal
lotis et sensibles aux sirènes saoudiennes, le reste de l'Afrique n'a
pas cédé aux sollicitations de Riyad.
Certes, les pressions se sont multipliées sur les amis de l'Arabie
Saoudite. Ainsi le Maroc grand ami de la monarchie saoudienne, a été
obligé de se dédire. Riyad a peu apprécié que le ministre des Affaires
étrangères marocain appelle à la retenue les deux pays qui semblaient
presqu'au bord de l'affrontement. Elle l'a fait savoir. Rabat a rectifié
le tir et quelques jours plus tard, la ministre déléguée aux Affaires
étrangères marocaine, M'Barka Bouaida, rendait l'Iran seul responsable
de la crise. Mais Rabat qui a rétabli des relations diplomatiques avec
Téhéran en 2014 - et n'a pas encore envoyé d'ambassadeur dans la
capitale iranienne - n'a pas pour autant rompu ses relations avec
l'Iran. Pas plus que ne le fera le reste de l'Afrique. Même si les pays
musulmans du continent, sunnites, s'aligneront sur tous les pays membres
de la Ligue arabe et prendront partie pour Riyad contre Téhéran. Un
soutien purement verbal. A la grande déception des Saoudiens qui
espéraient, qu'à l'occasion de cette querelle avec l'Iran, certains
Etats de la Ligue arabe s'engageraient militairement à leurs côtés au
sein de la « coalition arabe sunnite » dans la guerre saoudienne au
Yémen. C'est en mars dernier que l'aviation de Riyad a commencé à
bombarder les Houthis accusés d'être le cheval de Troie de l'Iran au
Yémen. L'Arabie Saoudite a dû déchanter : à l'exception des Soudanais
engagés depuis le printemps 2015 au Yémen, aucun « ami » de Riyad n'est
venu lui prêter main forte.
... sauf avec le Soudan et même l'Erythrée
La seule vraie « prise de guerre » saoudienne en Afrique, depuis un an,
aura donc été le Soudan. C'est un morceau de choix. Cet immense pays
était dans les années 90, après l'arrivée au pouvoir du général
Al-Bachir et de son conseiller islamiste, Hassan el-Tourabi, la base
arrière de l'Iran et des islamistes sunnites en Afrique. Oussama Ben
Laden chassé d'Afghanistan à la fin des années 80 s'y était réfugié,
puis El-Tourabi avait tenté de fonder à Khartoum une nouvelle «
internationale islamiste » pour damer le pion à l'Arabie Saoudite et aux
Frères musulmans. Par deux fois, en 2009 et 2012, le Soudan accusé de
recevoir des armes par la mer à destination du Hamas palestinien, avait
été bombardé par des avions israéliens.
C'est au printemps 2015 que les Saoudiens et leur diplomatie du « carnet
de chèques » l'avaient emporté à Khartoum. Riyad avait promis des
milliards de dollars d'investissements dans l'agriculture et la
construction de barrages hydroélectriques à El-Bachir, président d'un
pays pénalisé par des sanctions de l'ONU depuis 1997. Les Soudanais
avaient renvoyé l'ascenseur en expédiant plusieurs centaines de soldats
se battre au Yémen pour les Saoudiens. Un effort de guerre yéménite
financé par l'Arabie Saoudite. En décembre dernier, c'était au tour de
l'Erythrée de tourner casaque. Asmara où règne une dictature rejetée de
tous, rompait ses relations diplomatiques avec l'Iran. Une victoire
saoudienne : il y a quelques années, l'Erythrée était accusée de
recevoir d'Iran des armes à destination des Houthis du Yémen.
Et l'Iran a réussi à maintenir le contact avec nombre de pays du Continent
Mais les revirements africains s'arrêteront là. Même si une vingtaine de
pays africains se retrouvent, plus ou moins volontairement, au sein de
la coalition des 34 pays financée par l'Arabie Saoudite pour lutter
contre le terrorisme. Une coalition assez théorique. Car le continent
noir rechigne à s'engager réellement pour Riyad ou Téhéran. Il a
toujours entretenu des liens plus ou moins étroits, selon les époques,
tant avec l'Arabie Saoudite qu'avec l'Iran. Les pays musulmans d'Afrique
sont membres de la Conférence islamique dirigée par Riyad qui accueille
chaque année des dizaines de milliers de pèlerins africains à La
Mecque. Les Saoudiens n'ont jamais cessé, par fondations interposées, de
financer le développement d'un islam wahhabite au Sahel. Les premiers
prêcheurs sont arrivés au Tchad, au Soudan, au Sénégal dans les années
80. Ils ont apporté les germes du fondamentalisme au Sahel.
De son côté, la Perse entretient des liens avec l'Afrique depuis le XVIe
siècle. Le dernier Shah d'Iran avait développé une coopération
militaire (en particulier dans le nucléaire) avec l'Afrique du Sud
blanche. Il finançait aussi le développement de la riziculture au
Sénégal. Plus tard, l'ancien président Ahmadinejad tentera de sortir
l'Iran de son isolement diplomatique en nouant des relations avec
l'Afrique. Téhéran a fourni des aides au développement, distribué des
livres religieux et des bourses d'études. Les pasdarans ont même envoyé
en 2010, un cargo d'armes pour la Gambie suscitant une brouille sérieuse
avec le Sénégal. Plus tard, l'Egypte, le Maroc, la Mauritanie, le
Nigéria, se brouillèrent tour à tour avec l'Iran. Les relations se sont
normalisées depuis l'arrivée au pouvoir de Rohani. Pragmatiques, les
Etats africains ont un souci : préserver leur indépendance et leur
stabilité économique. Ils ne veulent pas la voir remise en cause dans
une querelle venue du Golfe.
(26-01-2016 - Mireille Duteil)
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