Les tribus sunnites en Syrie et en Irak sont profondément divisées face
au groupe État islamique (EI) qui s'efforce de les séduire ou de les
soumettre en maniant la carotte et le bâton, selon des analystes.
La guerre dans ces deux pays a mis à mal la légendaire solidarité
tribale et désormais c'est à l'échelle du clan que s'opère le choix. Il
arrive ainsi que des clans s'affrontent même s'ils appartiennent à la
même tribu.
Pour l'EI, gagner les tribus est fondamental afin de s'assurer le
contrôle d'un territoire. Aussi, après une victoire, il diffuse une
vidéo exhibant l'allégeance de gré ou de force des chefs tribaux.
"Nous sommes tous sur le même bateau, l'Etat (islamique) est notre
Etat", proclame ainsi un cheikh le 30 mai à Ramadi, où la majorité des
tribus ont résisté pendant un an et demi à l'EI avant d'être trahies par
la capitulation de l'armée irakienne.
"Nous disons à nos familles que notre épée et celle de nos frères, les
soldats de l'Etat (islamique), sont dirigées contre le même ennemi",
ajoute le cheikh devant un parterre d'hommes en habit traditionnel, dont
certains tiennent une kalachnikov à la main.
La scène d'allégeance se répète à Fallouja en Irak et elle avait déjà eu
lieu en Syrie, à Raqqa en mars 2013 puis à Deir Ezzor. Ces régions sont
proches et souvent les tribus s'étendent des deux côtés de la
frontière.
Haïan Dukhan et Sinan Hawat, auteurs d'une étude intitulée "l'Etat
islamique et les tribus arabes de l'est de la Syrie", avancent trois
raisons au ralliement de chefs tribaux à Daech, l'acronyme arabe de
l'EI.
"Ce qui fait accepter l'EI, c'est d'abord le bénéfice économique et la
protection, puis la peur et l'intimidation, et enfin les griefs contre
le régime", expliquent-ils.
A l'époque de Hafez al-Assad, l'ancien chef de l'État syrien
(1970-2000), les chefs tribaux bénéficiaient "des postes officiels et
des subsides" et combattaient en échange les Frères musulmans et les
autonomistes kurdes, ennemis du régime.
"Ils faisaient partie du mouvement qui appuyait le régime",
assurent-ils. Avec l'ouverture économique impulsée par son fils Bashar
al-Assad, "l'idéologie baassiste a perdu de sa force et les services
offerts par l'État" ont diminué dans ces régions désertiques et pauvres.
"L'EI en a profité en leur offrant une parcelle de pouvoir et les chefs
tribaux, auparavant loyaux au régime, lui ont fait allégeance",
poursuivent les experts. Gare à ceux qui résistent, comme la tribu des
Chaitat, dont 900 membres ont été massacrés par les jihadistes.
En Irak, le rapprochement avec l'EI est également motivé par la
frustration vécue après l'invasion par les États-Unis en 2003, qui a
abouti au renversement de l'ancien président Saddam Hussein.
"Les désastreuses décisions de l'administrateur américain Paul Bremer
(2003-2004), accentuées par les gouvernements sous domination des partis
religieux chiites, ont abouti à chasser les anciens militaires issus
des tribus favorisées par Saddam, à les désigner comme ennemis, à les
priver de statut, de salaire et de rang social", explique à l'AFP Hosham
Dawod, anthropologue français specialiste des tribus en Irak.
"Ces groupes ont glissé du baassisme au jihadisme radical et constituent
le socle militaire, sécuritaire et politique de Daech". C'est notamment
le cas des Albou Ajil, accusés d'avoir perpétré un massacre contre les
soldats chiites dans le camp Speicher près de Tikrit, ou de la
confédération tribale Obaid autour de Mossoul.
A l'époque de l'ex-dictateur, les tribus sunnites formaient la clé de voûte de l'appareil sécuritaire.
A l'inverse, certaines tribus comme les Jughaifa ont refusé de livrer
150 personnes que l'EI considérait comme des ennemis. Ce refus a été
perçu comme une déclaration de guerre par les jihadistes.
Leur fief, Haditha, est donc l'une des seules localités de la province
d'Al-Anbar qui résiste à l'EI, bien qu'elle soit assiégée et menacée
d'extermination par le porte-parole de l'EI Abou Mohamed al-Adnani.
En Syrie aussi, où la quinzaine de tribus représentent 15% de la
population et s'étendent sur la moitié du territoire, la division est la
règle, selon Haian Dukhan.
"Je vous mets au défi de trouver un clan ou une tribu qui ait fait
allégeance dans sa totalité à Daech, au Front Al-Nosra (branche syrienne
d'Al-Qaïda) ou aux rebelles. Il existe des individus qui les
soutiennent, mais ceux-ci ne représentent pas toute la tribu, tout au
plus 20% d?un clan", assure à l'AFP Cheikh Nawaf al-Moulhem, un chef
tribal de la région de Homs et député au parlement syrien.
Même la tribu des Albou Nasser, celle de Saddam Hussein, a des
dissidents. Pour le cheikh Salah Hasan al-Nada, qui s'est réfugié à
Erbil au Kurdistan, "jamais une tribu ne pourra rejoindre dans sa
totalité Daech. Si toutes les tribus (sunnites) l'avaient rejoint, elles
auraient fait basculer l'équilibre des forces en Irak".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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