lundi 6 juillet 2015

Egypte : Le pays va se doter d'une loi antiterroriste controversée

Confronté à des attentats jihadistes meurtriers sans précédent, le pouvoir égyptien veut promulguer une nouvelle loi antiterroriste qui, selon ses détracteurs, consacre l'impunité de la police, censure la presse et porte atteinte aux libertés.
Experts et défenseurs des droits de l'Homme dénoncent un texte répressif qui devrait être promulgué dans la semaine par le chef de l'Etat Abdel Fattah al-Sissi, alors que les autorités répriment implacablement toute opposition depuis deux ans et la destitution du président islamiste Mohamed Morsi par M. Sissi, à l'époque chef de l'armée.
Les attentats jihadistes contre les forces de l'ordre se sont multipliés depuis l'éviction de M. Morsi.
"C'est une catastrophe de voir l'Etat promulguer une telle loi dans un climat chargé de revanche", déplore Gamal Eid, qui dirige l'ONG égyptienne Arabic Network for Human Rights Information.
Au lendemain de l'assassinat le 29 juin du procureur général Hicham Barakat dans un attentat spectaculaire, toujours non revendiqué, M. Sissi avait promis une législation plus dure "pour lutter contre le terrorisme".
Et alors que des combattants du groupe Etat islamique (EI) lançaient 1er juillet une série d'attaques sans précédent contre l'armée dans le nord du Sinaï, faisant des dizaines de morts, le gouvernement, lui, approuvait une nouvelle loi antiterroriste.
L'article 33 du projet de loi préconise une peine de deux ans de prison au minimum pour publication "de fausses informations sur des attaques terroristes qui contredisent les communiqués officiels".
Le ministre de la Justice Ahmed al-Zind a expliqué que cet article était notamment motivé par la couverture médiatique des attaques jihadistes de la semaine dernière dans le Sinaï.
Le porte-parole de l'armée avait fait état de 21 soldats tués et plus d'une centaine de jihadistes abattus lors des combats, mais les médias avaient publié des bilans bien plus lourds, citant des responsables de la sécurité.
"Le gouvernement a le devoir de protéger les citoyens des fausses informations", a précisé M. Zind, soulignant qu'il ne fallait pas y voir "une restriction de la liberté de la presse".
Le syndicat des journalistes a aussitôt dénoncé la "censure" du pouvoir, jugeant que "la lutte contre le terrorisme ne se fait pas avec la confiscation des libertés publiques".
La loi supprime aussi pour les affaires de "terrorisme" une des deux procédures d'appel successives devant la Cour de cassation prévues dans le droit égyptien, pour n'en maintenir qu'une seule.
"Nous n'allons pas attendre 5 ou 10 ans pour juger les gens qui nous tuent", s'était emporté M. Sissi lors des funérailles du procureur général.
Le projet de loi préconise la peine de mort pour les personnes coupables d'avoir créé, dirigé ou financé une organisation "terroriste". Une peine de cinq ans de prison est prévue pour quiconque utilise les réseaux sociaux ou internet pour promouvoir le "terrorisme".
La loi met par ailleurs à l'abri de poursuites judiciaires les policiers qui "auront recours à la force" lors des opérations "antiterroristes" tant que ce recours est "nécessaire".
Une disposition qui existe déjà dans le code pénal, indique l'avocat Chaaban Saïd, qui craint cependant qu'elle n'encourage les policiers "a avoir recours à une force excessive contre les suspects".
"Il suffit de comparer le projet de loi égyptien avec les lois antiterroristes à travers le monde pour constater qu'on est très tendre en comparaison", affirme cependant un haut responsable du ministère de la Justice de transition.
Depuis l'éviction de M. Morsi, plus de 1400 personnes ont été tuées dans la répression, en majorité des manifestants islamistes, tandis que des dizaines de milliers ont été arrêtés. Des centaines de pro-Morsi ont été condamnés à la peine de mort dans des procès de masse expéditifs.
Adel Ramadan, expert juridique de l'Initiative égyptienne pour les droits individuels (EIPR), dénonce d'ailleurs "le recours excessif à la peine de mort dans la loi".
Le Conseil suprême de la justice, chargé de revoir la loi, n'a pas remis en question ces dispositions controversées. Il a toutefois exigé des aménagements sur une mesure créant des tribunaux antiterroristes spéciaux, ainsi que sur une disposition ne rendant pas obligatoire la présence à son procès d'un accusé sous détention.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire