Pour Fatma Oussedik, anthropologue, les affrontements entre communauté
mozabite (berbères) et châamba (arabes) qui ont fait plus de 25 morts
ces quatre derniers jours sont aussi liés à l'arrivée de nouvelles
populations.
Fatma Oussedik est anthropologue et professeur de sociologie à
l'Université d' Alger II. La chercheuse revient sur les affrontements
entre communauté mozabite (berbères) et châamba (arabes) qui ont fait
plus de 25 morts ces quatre derniers jours dans la région de Ghardaïa.
Les affrontements sont-ils liés à un conflit communautaire comme on le lit depuis quatre jours ?
En manipulant les arguments communautaires entre Ibadites (berbères) et
les chaâmba (arabes), on produit de fait du communautarisme. Ou alors du
repli communautaire. Cependant, je ne crois pas à cette lecture
avancée, qui me semble incomplète, car d’autres arguments et intérêts
sont à l’œuvre dans la région. Pour bien saisir ce qui se passe, il faut
avoir à l’esprit que, depuis la fin des années 1950, période qui
correspond aux découvertes pétrolières, la population a été
considérablement modifiée dans la région et Ghardaïa devenue le
chef-lieu de la wilaya (préfecture).
Comme qualifieriez-vous la région de Ghardaïa ?
La région connaît des soubresauts liés aux énormes intérêts qui agitent
la zone. Intérêts miniers, gaziers, pétroliers et nouveaux intérêts liés
aux projets d’extraction du gaz de schiste. Cette région est
déstabilisée par des intervenants extérieurs liés à ces mêmes intérêts
économiques. A cela s’ajoute l’élément «route saharienne» car Gardhaïa a
toujours été un centre important au nœud de ces routes. Et qui dit
routes dit trafics intenses de drogues, de marchandises de contrebande,
de migrants. Ce sont les anciennes routes de l’esclavage. De sorte qu’il
y a aujourd’hui une insécurité produite par ces trafiquants.
Quelles sont ces populations ?
Elles sont venues, et viennent, de l’ensemble de l’Algérie. Ces
populations arrivent dans un endroit où vivent depuis des siècles des
communautés berbères établies avec du foncier, leurs cimetières, leur
habitat et leurs organisations locales. Il y a donc des rivalités
sociales et économiques entre ces gens venus de partout et ces
populations établies et fortes de ce lieu d’origine et d’appartenance.
Vous êtes une population berbère et vous parlez le berbère. Vous vivez
ici depuis des siècles. Vous avez le sentiment qu’on vous conteste cette
terre, y compris le fait d’y être établi. Ainsi s’opposeraient des
autochtones et les autres populations qui se sont succédé depuis les
années 50 en passant par les années 90, et ce notamment pour fuir les
régions de forte insécurité [lors des années noires, ndlr]. Ces
populations sont arrivées sans aucun moyen, sans aucune inscription dans
aucun groupe local et presque désinstitutionnalisées.
Et l’argument religieux ?
Evidemment, il est présent et se surajoute. Ne pas oublier que Mokhtar
Belmokhtar est né à Ghardaïa. Avant d’être un chef jihadiste, il a
commencé sa «carrière» comme trafiquant. Belmoktar est le représentant
d’une ces articulations multiples sur la région. Il faut savoir que les
ibadites (berbères) appartiennent à une école doctrinale de l’islam.
Mais en face, il y a un wahhabisme récemment installé dans la région.
Pour finir le panorama, vous y rajoutez des forces centrifuges qui
tentent d’attirer l’armée nationale dans une intervention extérieure
vers le nord Mali ou la Libye.
Comment expliquez-vous la passivité des forces de l’ordre dans la wilaya de Ghardaia ?
Je dirais à qui profite le crime ? Le pacte national, c’est : l’Etat
protège les biens et les personnes des interventions extérieures. Et que
fait l’Etat algérien ? Rien. Cette passivité doit être interrogée
quand, sur internet, des vidéos postées montrent les forces de l’ordre
tirer sur les Ibadites…
(Jean-Louis Le Touzet, Libération du 10 juillet 2015)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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