Mohamed El Baradei, c’est un peu l’homme par qui la révolution est
arrivée en Égypte. En décembre 2009, à l’heure où le régime Moubarak
vivait encore sa belle époque, El Baradei est le chef de l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA). De passage au Caire, il
attaque le raïs avec virulence. Il réclame la démocratie et, à la
stupéfaction générale, appelle à un changement de Constitution et de
dirigeant. Une revendication inédite sur la scène politique égyptienne,
où le pharaon prépare sa succession et a choisi son propre fils Gamal.
Pour tous ceux qui refusent ce scénario, une porte s’ouvre. Il pourrait y
avoir un "troisième homme".
Dès lors, El Baradei prépare son retour. Le Prix Nobel 2005 ne cherche
pas une fonction "pour échapper à une voie de garage" comme l’affirment
ses détracteurs, il souhaite arracher son pays à une situation
dramatique. Il ne redoute pas la bataille, tout comme son père, un
avocat célèbre, qui n’avait pas craint la confrontation avec Nasser.
Né le 17 juin 1942, Mohamed poursuit ses études et obtient un doctorat
en droit international à New York. Il devient alors l’assistant spécial
du ministre égyptien des Affaires étrangères. En 1980, il quitte Le
Caire pour intégrer l’Institut des Nations unies pour la formation et la
recherche. Il adhère ensuite à l’AIEA, dont il devient le directeur à
compter de 1997. Une longue absence, de quelque trois décennies, pain
bénit pour les partisans de Moubarak. Ils lui reprochent d’être un
"étranger", un homme qui ne connaît pas l’Égypte profonde et ses
besoins.
Il n’empêche. El Baradei revient le 19 février 2010. Un millier de
personnes l’attendent à l’aéroport, dont le célèbre écrivain Alaa
al-Aswany, son plus fidèle supporteur. Il entre au Caire sous les cris
de "El Baradei espoir de la nation"... "Nous t’attendons pour le
changement"... En février 2010, El Baradei fonde son parti,
l’Association nationale pour le changement. Ses membres sont des
écrivains, des intellectuels... Il n’est pas assez charismatique pour
atteindre le grand public. Mais lors d’un talk-show à la télévision, il
attaque le régime, dénonce la misère, la corruption, et demande un
amendement de la Constitution, dont l’article 76 verrouille l’accès à la
présidence et la réserve aux Moubarak, père ou fils. Il est propulsé
candidat.
La bataille est engagée. La presse d’opposition le soutient totalement,
tandis que la presse gouvernementale lance une virulente campagne contre
"un président importé". Cela ne l’empêche pas de se rendre dans les
mosquées, de prier avec la foule, de dialoguer avec le pape Chenouda
III. Le 25 janvier 2011, jour de la chute de Moubarak, "l’étranger" est
en Autriche. Il revient d’urgence pour soutenir les manifestants. Les
autorités le placent pour quelques jours en résidence forcée. Puis il se
rend à la place Tahrir, où il est ovationné par la foule et porté en
triomphe.
El Baradei souhaite que la Constitution soit rédigée avant les élections
législatives, mais n’obtient pas gain de cause. Cet homme incorruptible
et profondément nationaliste ne s’accorde pas avec les manigances
politiciennes. Le 12 avril 2012, au moment de la course à la présidence,
il annonce qu’il ne sera pas candidat à la première magistrature de
l’État.
L’ancien patron de l’AIEA fonde alors son nouveau parti
politique : Al-Dostour (la Constitution). Il a ses partisans, et son mot
à dire en Égypte. Le 22 novembre 2012, il s’oppose à la déclaration
constitutionnelle de Mohamed Morsi. Une déclaration qui accorde les
pleins pouvoirs au nouveau raïs. Il fonde avec Amr Moussa et Hamdine
Sabahi le Front du salut national, le plus important parti d’opposition,
dont il devient le coordinateur.
À l’heure où Morsi perd le pouvoir, le Front du 30 juin, qui groupe de
nombreux partis d’opposition, demande à Mohamed El Baradei d’assurer
l’exécution des revendications du peuple et de préparer la feuille de
route avec l’autorité militaire. Devenu la "voix" de l’opposition en
Égypte, Mohamed El Baradei a trouvé un poste à sa mesure.
Le samedi 6 juillet, Adly Mansour, le président par intérim de la
République, décide de lui confier la présidence du Conseil. Mais ce
choix est refusé par les salafistes, et la nomination, annoncée le soir,
est suspendue à l’aube. Avec sa patience légendaire, El Baradei attend.
Il sait qu’il jouera un rôle de choix dans la nouvelle Égypte.
(07-07-2013 - Denise Ammoun)
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