Près
du mur des Lamentations, à Jérusalem, Yizhar Hess, à la tête du
mouvement conservateur, s'oppose à des femmes réclament l'application
d'un accord prévoyant les mêmes droits de prière pour les femmes.
(Reuters)
Insultes, crachats, échauffourées, bagarres avec coups de poing. Ce mercredi 2 novembre, le mur des Lamentations a encore connu des violences. Cette fois entre juifs. D'un côté, les dirigeants du judaïsme libéral américain – réformés et conservateurs. De l'autre, des ultraorthodoxes et orthodoxes. Les responsables du lieu saint et des milliers de fidèles étaient rassemblés en ce premier jour du mois hébreu de heshvan.
Un accord sans précédent mais inappliqué
Comment en est-on arrivé là ? Pour mieux comprendre, un retour en arrière s'impose. Plus précisément au mois de janvier 2016, lorsque le gouvernement israélien avait entériné une décision sans précédent : créer un espace de prière mixte, hommes-femmes – avec châles de prière et rouleaux de la Torah pour tout le monde –, en contrebas du mur des Lamentations. Un « compromis historique » ! Un « pas de géant vers l'égalité de tous les courants juifs ». Les qualificatifs en forme de superlatifs n'avaient pas manqué. Certains avaient même parlé de véritable révolution féministe.
Face à cela, d'autres, au sein des courants juifs libéraux, avaient choisi la prudence. Comme cette vice-présidente de l'Assemblée rabbinique du judaïsme traditionaliste, Julie Schoenfeld. Interviewée, elle avait déclaré : « D'abord, il faut veiller à ce que ce nouvel espace soit construit. Pour l'instant, rien n'a commencé, et je ne comprends pas pourquoi… » Dix mois après, force est de reconnaître que sa prudence était justifiée. Non seulement, et ce, malgré un premier budget d'environ 8 millions d'euros, rien n'a été construit. Pis ! Durant les fêtes d'automne, le nouvel an juif, le jour du Grand Pardon et surtout la fête des Cabanes, les orthodoxes ont étendu leur pouvoir sur le Kotel (le mur des Lamentations) en investissant le lieu égalitaire pour y prier selon la sainte Torah. Autrement dit, une séparation totale entre hommes et femmes, ces dernières ayant l'interdiction absolue de porter le châle de prière ou de tenir les rouleaux de la Torah.
Soutien du judaïsme américain
Une trahison insoutenable pour le judaïsme américain, reformé et conservateur, la partie la plus importante de la communauté juive américaine. Leurs dirigeants, présents à Jérusalem, pour la réunion annuelle de l'exécutif de l'Agence juive, l'ont dit en termes très vifs à Benjamin Netanyahu. Le Premier ministre israélien leur a répondu en leur conseillant la patience. Il leur a également demandé de ne pas manifester. En vain.
S'alliant aux « Femmes du Mur », celles qui, chaque début de mois hébreu, se rendent au lever du jour au mur en priant à haute voix, recouvertes du talit et rouleaux de la Torah dans les mains, des figures éminentes du judaïsme libéral américain sont allées en procession jusqu'au barrage de sécurité à l'entrée de l'esplanade du Kotel. Avec la ferme intention de pénétrer dans l'enceinte du Mur, pour y prier, hommes et femmes ensemble. Ce qu'ils ont réussi à faire en dépit de heurts assez violents. D'abord, avec les gardiens, employés du rabbinat, qui ne voulaient pas les laisser passer parce qu'ils portaient des rouleaux de la Torah non agréés. Puis, avec une foule de juifs orthodoxes et ultraorthodoxes bien décidés à combattre cette « profanation ». Tout cela sous l'œil de la police qui, cette fois, n'a pas bronché.
La réaction de Benjamin Netanyahu n'a pas calmé les esprits. Il a purement et simplement accusé les leaders du judaïsme libéral d'« avoir violé le statu quo existant au Mur occidental ». Une nouvelle trahison, selon les intéressés. Dans une tribune publiée par le quotidien indépendant Haaretz, le rabbin John Rosove, le président de l'Association des sionistes réformés d'Amérique, est sans équivoque : « Ça suffit ! Nos dirigeants ont fait preuve de patience. Avant de finalement comprendre que Netanyahu n'honorerait pas son engagement. »
Vers une vraie rupture ?
Nathan Chtcharansky, le président de l'Agence juive, leur a expliqué que, certes, Netanyahu ferait son possible pour appliquer l'accord, sans pour autant prendre le risque de provoquer la chute de son gouvernement en fâchant les orthodoxes. Un argument intolérable pour le rabbin Rosove : « Il est des sujets qui sont plus grands que n'importe quel gouvernement. » « Le Kotel, ajoute-t-il, ne doit pas être une synagogue ultraorthodoxe. C'est le lieu le plus sacré du judaïsme. Il appartient à l'ensemble du peuple juif… »
Monsieur Netanyahu finira-t-il par se laisser convaincre ? Pas dans l'immédiat, semble-t-il. Selon Peggy Cidor, spécialiste du judaïsme libéral, les premières victimes des événements de ce mercredi pourraient bien être les dirigeants actuels du mouvement réformé. « Non seulement ils n'ont pas réussi à émouvoir Netanyahu, mais ils ont encore une fois montré qui menait le jeu au mur des Lamentations : les ultraorthodoxes. » D'où la colère et les critiques de leurs ouailles aux États-Unis : « Après ce qui s'est passé mercredi, ils sont nombreux à être prêts à les désavouer. Nous vous avons fait confiance, disent-ils, et vous n'avez rien obtenu. Nous sommes retournés à la case départ, et même pire. Puisque c'est comme cela, nous créerons un fait accompli. »
En refusant d'appliquer l'accord entériné en janvier, Benjamin Netanyahu semble prêt à risquer une vraie rupture entre Israël et une grande partie du judaïsme américain.
(05-11-2016 - Danièle Kriegel)
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