Le 26 octobre 2016, l'Autorité des antiquités d'Israël
(AAI) présentait un papyrus vieux de 2 700 ans mentionnant la ville
de Jérusalem. Quels sont les enjeux d'une telle découverte ?
Décryptage.
D'où vient ce papyrus ?
Ce papyrus n'a pas été découvert lors de fouilles archéologiques
officielles ; son origine est donc incertaine. Il proviendrait de
l'une ou l'autre des nombreuses grottes qui jalonnent le désert de
Judée sur les rives occidentales de la mer Morte. La région offre un
environnement propice à la conservation de ces documents fragiles et
a déjà livré près d'un millier de manuscrits antiques copiés sur
parchemin ou papyrus. La plupart d'entre eux ont été découverts par
des Bédouins locaux qui connaissent ces grottes mieux que quiconque
et savent la valeur d'une telle trouvaille sur le marché des
antiquités.
Sauf que, cette fois-ci, les autorités israéliennes, ayant appris la
mise en vente d'un nouveau papyrus, ont lancé une opération que l'on
imagine digne d'Hollywood et sont parvenues à confisquer le précieux
document. Il faut dire que ce n'est pas une première pour l'AAI, qui
lutte avec acharnement contre un tel commerce au point d'avoir par
le passé accusé à tort tel ou tel scientifique en une véritable
chasse aux sorcières.
Que contient ce papyrus ?
Seules trois lignes d'écriture hébraïque ont été conservées sur une
bande de papyrus qui, en l'état actuel, mesure 10,9 × 3,2 cm. La
déchirure au sommet et la marge inférieure montrent que l'on a
affaire à la toute fin de ce document dont je propose la lecture
provisoire suivante :
2′ נת.המלך ממערתה.נבלים.יי
3′ ן.ירשלמה.
2′… le roi, ‹en provenance› de sa caverne, deux jarres ‹contenant›
du vi-
3′ n, à ‹destination de› Jérusalem.
Les quelques traces de lettres au sommet ne permettent pas de
reconstituer la première ligne et encore moins celles qui
précédaient. Les deux premières lettres de la deuxième ligne
préservent la fin d'un mot dont la restitution est, elle aussi,
incertaine. Viennent ensuite la mention du roi puis celle d'un terme
que mes collègues israéliens lisent « de Naarata ».
Je traduirais plutôt « de Vers-Naarat », mais, sur la photographie
que j'ai pu consulter, la première lettre pourrait être un M, si
bien que je propose provisoirement de lire « de sa caverne » ou « de
Vers-Maarat », en attendant de pouvoir examiner le fragment
lui-même. Maarat est une ville judéenne mentionnée dans la Bible
(Josué 15,59), mais le même terme signifie « caverne », si bien que
les deux traductions sont possibles, la caverne faisant alors office
de cave à vin. Le nombre de jarres est incertain : je propose de
lire « deux », mais on peut tout aussi bien lire « des ».
Last but not least, le document s'achève en précisant la destination
de ces jarres : Jérusalem. C'est ce dernier mot qui suscite
l'attention des médias puisque, nous dit-on, c'est la première fois
que la ville sainte apparaît sur un tel papyrus.
La mention de Jérusalem
Selon l'AAI, une datation au carbone 14 situerait le papyrus au
VIIe siècle avant J.-C. Les datations basées sur le carbone 14 ou
sur la forme des lettres donnent en réalité des résultats peu précis
à cette période, si bien que le papyrus pourrait dater du siècle
précédent ou des siècles suivants. S'il est rare qu'un document
aussi fragile traverse les âges, l'usage du papyrus est confirmé par
les centaines de bulles d'argile semblables à celle présentée l'an
dernier et qui préservent souvent au revers les traces du papyrus
jadis scellé. Un autre papyrus, qui pourrait dater de la même
époque, avait ainsi été découvert en 1952 dans une grotte du désert
de Judée, à Mourabbaat. De telles découvertes restent
exceptionnelles.
On comprend dès lors l'intérêt suscité par la mention de Jérusalem
sur ce papyrus. Ce n'est pourtant pas la première fois que cette
ville apparaît dans l'histoire : on la trouve par exemple sur une
inscription hébraïque gravée sur la paroi d'une grotte judéenne à
Khirbet Beit Lei, à l'ouest de Hébron. Surtout, elle apparaît dès le
XIVe siècle avant J.-C. dans la correspondance entre le pharaon
Akhénaton et son vassal à Jérusalem. Elle pourrait même être
attestée plusieurs siècles auparavant dans d'autres textes
égyptiens. L'existence d'un royaume de Juda est quant à elle bien
documentée dès le IXe siècle et ce jusqu'à la prise de sa capitale,
Jérusalem, par les Babyloniens vers 587 avant J.-C. D'un point de
vue historique et archéologique, il ne fait aucun doute qu'au
VIIe siècle Jérusalem était la capitale du royaume de Juda et
portait déjà ce nom.
Entre politique et hypercritique
Comment expliquer, alors, que le Premier ministre israélien Benjamin
Netanyahou brandisse le jour même une pancarte avec une photographie
géante de ce papyrus ? C'est que, ce même jour encore, l'Unesco se
prononçait sur un projet de résolution concernant la « Palestine
occupée » dans lequel l'État d'Israël est qualifié de « puissance
occupante », y compris à Jérusalem.
Ce n'est pas la première mouture de ce projet, qui avait déjà fait
scandale au printemps. La version révisée se veut plus modérée et
rappelle notamment l'importance de Jérusalem « pour les trois
religions monothéistes ». Dans les faits, elle s'intéresse néanmoins
au patrimoine arabo-musulman au détriment de celui du judaïsme ou du
christianisme. Or, dans un contexte tendu où l'État islamique
n'hésite pas à détruire de nombreux sites archéologiques, l'Unesco
doit s'élever au-dessus des conflits politiques et religieux pour
préserver le patrimoine culturel de l'humanité.
À Jérusalem, ce patrimoine englobe aussi bien des fortifications
cananéennes du IIe millénaire avant J.-C. que des murailles érigées
au XVIe siècle par le sultan ottoman Soliman le Magnifique, en
passant par le temple du roi Hérode le Grand ou l'église du
Saint-Sépulcre. C'est l'ensemble de ce patrimoine plurimillénaire
que l'Unesco doit protéger, y compris contre les récupérations
politiques de tout bord.
D'ailleurs, une telle instrumentalisation pourrait s'avérer fatale à
ce papyrus, très vite accusé de contrefaçon : Jérusalem mentionnée
dans un texte hébreu vieux de 2 700 ans alors même que l'Unesco est
appelée à voter une résolution pro-palestinienne, voilà qui tombe à
pic ! De fait, l'authenticité de ce fragment ne peut être prouvée,
et il convient d'être prudent à ce sujet, indépendamment des
questions politiques d'ailleurs. Il y a quelques mois de
cela, j'attirai l'attention sur la circulation possible de
manuscrits de la mer Morte contrefaits.
Ce problème n'est pas nouveau ; Ernest Renan disait déjà en 1876 :
Les faussaires menacent de causer bientôt tant d’embarras aux études
d’épigraphie et d’archéologie orientales qu’il faut placer au nombre
des plus signalés services celui de démasquer ces sortes de
fabrications.
Si la prudence s'impose, certains se font une spécialité de remettre
systématiquement en question l'authenticité de chaque découverte.
C'est une posture facile : si l'objet s'avère contrefait, on se
targue d'avoir été le premier à le signaler. Si l'objet s'avère
authentique (mais le saura-t-on jamais ?), on dira sobrement avoir
été prudent. Il est en réalité bien plus difficile de se risquer à
évaluer l'authenticité d'un objet et à émettre un avis aussi informé
que possible.
Un papyrus mystérieux
Le sensationnel assorti à la présentation de ce papyrus en finirait
presque par éclipser les questions que soulève sa lecture. Est-ce le
roi de Juda qui fait venir à Jérusalem du vin pris sur ses réserves
personnelles ? Est-ce l'un de ses sujets qui lui envoie ce vin,
comme cadeau ou comme impôt ? Est-ce un roi voisin qui offre à son
homologue judaïte quelques-unes de ses meilleures bouteilles ? Que
contenaient les lignes précédentes ? S'il est authentique, ce
papyrus n'a pas fini de nous livrer ses secrets !
Michaël Langlois,
docteur ès sciences historiques et philologiques, membre de
l'Institut universitaire de France et maître de conférences à
l'université de Strasbourg.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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