Leila Bouazizi, sœur de l’icône de la révolution tunisienne, a
trouvé refuge avec sa famille au Canada. Elle a accordé une
entrevue au Journal, il y a quelques jours.
(Photo: Le journal de Montréal, Pierre-Paul Poulin)
Victime de menaces, de jalousie et de rumeurs farfelues, la famille du jeune homme à l’origine de la révolution tunisienne a paradoxalement dû quitter son pays pour trouver refuge au Canada.
Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant de fruits et légumes, s’immolait par le feu à Sidi Bouzid, ville agricole et très pauvre du centre de la Tunisie. Frustré de voir la police municipale confisquer sa maigre marchandise, il s’asperge d’essence et craque une allumette.
Son terrible geste fut l’étincelle de la révolution tunisienne.
Cinq ans plus tard, en ce doux jeudi de décembre, Montréal reçoit ses premiers flocons de neige. Les commerces de la rue Ste-Catherine diffusent des chansons de Noël qui rendent la douce voix de Leila Bouazizi, sœur de Mohamed, à peine audible.
Plutôt discrète depuis son arrivée au Canada au début de 2013, la jeune mère de famille a d’abord débarqué à Montréal comme étudiante. Un an plus tard, au printemps 2014, sa famille (sa mère, son mari, ses deux demi-frères et sa demi-sœur) a vu sa demande d’asile acceptée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).
«C’était devenu invivable en Tunisie, décrit Leila avec dépit. Après la révolution, on a déménagé dans un autre quartier de Sidi Bouzid. Ensuite, on a loué une maison dans un quartier populaire de la capitale, Tunis. Mais les menaces à notre encontre et les rumeurs malveillantes n’ont jamais cessé.»
Difficile cependant de déterminer le profil exact des personnes menaçantes. «Ça peut être des gens qui sont contre la révolution et qui considèrent que mon frère est responsable de tous leurs malheurs», avance Leila, dubitative.
Réseaux sociaux
Récemment, l’information du départ de Manoubia Bouazizi, mère de Mohamed, vers le Canada s’est propagée comme une traînée de poudre sur les pages Facebook tunisiennes. Relayée des centaines de fois, la nouvelle a été accompagnée de ce commentaire peu affable: «Ils foutent le bordel au pays et s’enfuient après», pouvait-on lire ad nauseam.
Fataliste, Leila Bouazizi pense que la méchanceté exacerbée sur les réseaux sociaux rendra de toute façon le quotidien de sa famille intenable dans son pays d’origine. Sauf exception, les Bouazizi évitent désormais soigneusement les médias.
Souvenir amer
Ils gardent un souvenir amer de leurs expériences avec la presse internationale accourue à leur chevet en 2011. «Une bonne partie de la jalousie que nous avons dû endurer vient de cette exposition médiatique, croit Leila. Beaucoup de personnes, de bonne ou de mauvaise foi, ont cru que nous étions devenus très riches grâce à ça.»
Pourtant, la jeune femme jure que l’État tunisien a accordé la somme totale de 40 000 dinars tunisiens (26 000 $ environ) à sa famille. «Soit exactement le même montant que pour toutes les familles des martyrs de la révolution», glisse-t-elle. D’autres aides ponctuelles et discrètes de citoyens ordinaires ont été versées à la famille, mais jamais dans les proportions astronomiques évoquées sur le web, jure-t-elle.
Avant de prendre congé de nous, Leila regarde tendrement son nouveau-né s’agiter dans sa poussette.
«Je ne veux que du bien pour la Tunisie, réfléchit-elle à voix haute. J’aime mon pays, mais je me sens renaître ici.»
LE FIL DES ÉVÉNEMENTS
17 décembre 2010
Mohamed Bouazizi, 26 ans, s’immole par le feu. Il meurt quelques jours plus tard.
Fin 2010 - début 2011
Une révolution secoue la Tunisie.
14 janvier 2011
L’ancien dictateur Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, fuit le pays vers l’Arabie Saoudite.
2011-2013
Des rumeurs courent au sujet des Bouazizi. Ils sont soupçonnés d’avoir fait fortune en profitant de l’aura entourant leur fils.
Juillet 2012
Manoubia Bouazizi, mère de Mohamed, passe une semaine en prison à la suite d’une violente engueulade avec un juge. Elle sera par la suite condamnée à quatre mois de prison avec sursis.
Mai 2014
La famille Bouazizi obtient le statut de réfugiée au Canada et s’installe à Montréal.
UN CONSEIL AUX RÉFUGIÉS SYRIENS
Insistant sur sa gratitude envers le Canada qui a «très bien accueilli (sa) famille», Leila Bouazizi a un conseil aux milliers de réfugiés syriens qui commencent à arriver ici.
«Soyez dignes de la confiance que les autorités placent en vous. Venez avec l’idée d’aider ce pays et ne vivez pas aux crochets de l’État», leur suggère-t-elle fortement.
La sœur du symbole de la révolution tunisienne ne nourrit pas de craintes particulières sur le processus de francisation et d’intégration des nouveaux arrivants.
«Personne ne m’a jamais dérangée ici. Les réfugiés seront en paix et en sécurité. Malgré toutes les difficultés qu’on peut imaginer, ce sera toujours mieux que dans les camps où ils s’entassent actuellement», insiste-t-elle.
Taïeb Moalla,
journaldequebec.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire