Il aura fallu du temps, plus que prévu, mais ça y est, les
Algériennes bénéficient désormais de nouvelles mesures de
protection contre les violences, notamment celles subies au
domicile et dans la rue. Le texte de loi, à présent définitivement
entériné par le Parlement, modifie et complète le Code pénal pour
introduire la notion de harcèlement moral conjugal et celle de
harcèlement dans les lieux publics. Il dispose ainsi que quiconque
porte volontairement des coups à son conjoint risque entre un et
vingt ans de prison, avec la réclusion à perpétuité en cas de
décès. Des sanctions sont également prévues contre l'abandon de
l'épouse, « enceinte ou non », et contre les pressions ou
intimidations visant à priver l'épouse de ses biens. Le projet de
loi énonce par ailleurs des sanctions à l'encontre de l'auteur
d'agressions sexuelles. « Pour la première fois, on reconnaît
qu'une violence perpétrée dans le cadre privé est une infraction
et un délit, de même qu'on reconnaît que le harcèlement dans la
rue est une atteinte à l'intégrité physique et morale de la femme
», a commenté Hassina Oussedik, directrice d'Amnesty International
Algérie, dans une déclaration à la presse rapportée par le journal
El Watan.
Un pas important mais pas « suffisant » pour les
associations
« Les amendements proposés constituent une avancée dans la bonne
direction mais ne devraient en aucun cas se substituer à des
réformes globales pour prévenir, pénaliser et éliminer la violence
sexuelle et liée au genre en Algérie », a réagi l'ONG Amnesty
International Algérie, dans un communiqué publié jeudi 10
décembre, en appelant à la promulgation « d'une loi-cadre contre
toutes les formes de violence à l'égard des femmes ». Une
prochaine étape réclamée aussi par le réseau Wassila, qui
rassemble plusieurs associations algériennes de protection et de
défense des femmes et enfants victimes de toutes sortes de
violences. « La lutte continue pour rendre la loi sur les
violences faites aux femmes effective et accessible aux victimes
», affirme l'association sur sa page Facebook. « Nous allons
maintenant demander que l'État poursuive l'agresseur pénalement,
même si la victime, sous mille et une pressions, "pardonne" à
l'agresseur, puisque la loi le prévoit dans une clause. »
L'introduction de la disposition de « pardon » qui prévoit l'arrêt
des poursuites judiciaires en cas de pardon de la victime est en
effet unanimement dénoncée par les organisations de défense des
droits des femmes. « Elle représente une mise en échec de la
parole des femmes et un message d'impunité envoyé aux agresseurs
», estimait la syndicaliste et militante féministe Soumia Salhi
dans un entretien accordé début mars, au lendemain du vote de la
loi à l'Assemblée populaire nationale (APN), à la webradio
algérienne Radio M.
Les Algériennes demeurent vulnérables face aux agressions
Reste la mise en pratique rapide des dispositions du projet de loi
avec la promulgation des décrets d'application. Une urgence rendue
de plus en plus pressante par l'enchaînement de faits divers
tragiques d'agressions de femmes dans la rue. Le viol d'une
migrante camerounaise à Oran arrêtée lors de son dépôt de plainte,
le passage à tabac d'une femme chauffeur de taxi à Alger incapable
de porter plainte après son agression et l'assassinat d'une jeune
femme écrasée par un automobiliste près de M'sila, à l'est du
pays, pour avoir refusé les avances du même automobiliste ont
ainsi entaché l'actualité de ces derniers mois. Au total, ce sont
plus de 7 300 cas de violences faites aux femmes, dont 5 350 cas
de violences physiques, qui ont été enregistrés en Algérie au
cours des neuf premiers mois de 2015, selon les chiffres de la
Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) rapportés par
l'agence de presse algérienne APS. Cela représente 3 000 cas de
plus qu'en 2014, où quelque 4100 cas de violences contre les
femmes ont été recensés par la DGSN entre janvier et septembre.
La société algérienne divisée
L'adoption inhabituellement tardive par le Sénat - les sénateurs
votant généralement dans la foulée les textes de loi adoptés par
les députés - du projet de loi criminalisant les violences faites
aux femmes souligne une fracture de courants de pensée au sein de
la société algérienne, a estimé l'avocate Nadia Aït Zai dans une
déclaration au journal en ligne Huffington Post Algérie. « Il y a,
d'un côté, un gouvernement qui essaye de proposer, faire évoluer,
d'émanciper les femmes, d'en faire des individus et, de l'autre,
un Parlement qui essaye de diminuer ces femmes, de ne pas
reconnaître leur individuation, leur autonomie, je ne dis pas tout
le Parlement, mais une partie qui crie assez fort pour se faire
entendre. » Des députés islamistes avaient en effet vivement
critiqué le projet d'amendement du Code pénal pour lutter contre
la violence faite aux femmes, l'accusant de « porter atteinte à
la famille » lors des débats à l'APN. Certains élus ont même
soulevé une vague d'indignation par leurs propos réactionnaires
accusant les femmes d'être responsables des violences qu'elles
subissent en raison de leur accoutrement et de leur « maquillage
».
(12-12-2015 - Soraya Mehdi)
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