« Shtoulim », en français « implantés », est le terme hébreu qui fait,
en cette fin d'année, le buzz en Israël. Mais loin des nouvelles
technologies liées au jardinage, il désigne les « nouveaux traîtres »,
ceux qui à la tête d'ONG de gauche sont considérés par la droite
nationaliste comme des agents de l'intérieur implantés par des
gouvernements étrangers afin de délégitimer le pays.
Tout a commencé avec la diffusion, mardi dernier, par Im Tirtzu, une
organisation ultranationaliste, d'un clip vidéo. En ouverture, une image
particulièrement dramatique : un gros plan sur un Palestinien
brandissant un couteau avec lequel il s'apprête à attaquer un Israélien.
En arrière-fond, le narrateur explique : « La prochaine fois qu'un
terroriste vous poignardera, il sait qu'il y aura quelqu'un pour le
défendre… » Afin que les choses soient claires, l'image est suivie de
quatre portraits en noir et blanc, style photos de détenus, avec leurs
noms et leurs fonctions : Yishaï Menuhin du Comité public contre la
torture, Avner Gvaryahu de Breaking The Silence, Hagaï Elad de B'Tselem
et Sigi Ben Ari de Hamoked, le Centre pour la défense des droits de
l'individu. Une sorte de « bande des quatre » formée des dirigeants des
plus importantes associations de défense des droits de l'homme en
Israël. Ils sont accusés de travailler en Israël pour le compte de
l'étranger : qui pour la Hollande, qui pour l'Allemagne, qui pour la
Norvège ou pour l'Union européenne… Bref, ce sont des « taupes qui
soutiennent le terrorisme palestinien avec des fonds venus d'États
hostiles à Israël ».
Ce clip de 68 secondes a fait fureur sur les réseaux sociaux. Posté sur
Facebook par Ronen Shoval, le fondateur d'Im Tirzu, il a été, en
quelques heures, vu plus de 160 000 fois. Un texte l'accompagnait : un
appel à soutenir un projet de loi visant à réduire de façon draconienne
les activités de toutes les ONG de gauche. Son auteur, un député Likoud,
veut imposer une amende de 100 000 shekels (24 000 euros) à toute ONG
qui aurait enfreint les obligations que le texte veut lui imposer. Cette
nouvelle proposition de loi vient s'ajouter à celle présentée il y a
quelques semaines par la ministre de la Justice, Ayelet Shaked. Si elle
est votée, elle contraindrait les associations non gouvernementales à se
déclarer publiquement. Du moins celles dont le budget repose, à hauteur
d'au moins 50 %, sur des fonds venus de gouvernements étrangers. À
chaque rencontre avec des fonctionnaires, les dirigeants de ces ONG
devraient révéler les origines de leur soutien financier. Lors de leur
présence à la Knesset (le Parlement), les membres des associations
incriminées seraient obligés de porter un badge spécial avec mention de
leurs noms. Une manne pour certains caricaturistes politiques qui ont
dessiné cette « rouelle » nouvelle manière. En présentant son texte,
Ayelet Shaked a été particulièrement explicite : « Ces ONG défient
l'autorité du gouvernement élu par le peuple. Elles sapent le caractère
souverain de l'État d'Israël. »
« Rivlin n'est plus notre président »
Particulièrement visée, Breaking The Silence, cette organisation de
militaires démobilisés qui recueille des témoignages sur les opérations
de l'armée en Cisjordanie et à Gaza. Elle est accusée de délégitimer
Tsahal et le pays à l'étranger. Plusieurs personnalités de gauche et des
journalistes ont relevé que cette nouvelle campagne avait commencé il y
a un peu plus de huit jours avec la conférence organisée à New York par
le quotidien israélien de gauche Haaretz. Breaking The Silence y
participait et - horreur pour la droite ! - le président de l'État
d'Israël, Reuven Rivlin, y a prononcé un discours. La réaction dans les
partis nationalistes fut quasi immédiate : « Le chef de l'État aurait dû
refuser d'y prendre la parole, même si, à cette occasion, il a condamné
Breaking The Silence… » Tempête sur les réseaux sociaux où des milliers
d'internautes ont annoncé : « Rivlin n'est plus notre président. »
Le ministre de la Défense, Moshe Yaalon, a enfoncé le clou en
interdisant l'accès de l'armée à Breaking The Silence. Son collègue à
l'Éducation, Naftali Bennet (le chef du parti des colons dont Shaked est
la numéro 2), l'a imité. Désormais, l'association ne pourra plus être
invitée à faire des conférences dans les établissements scolaires. En
point d'orgue, la plénière de la Knesset mercredi dernier : Benjamin
Netanyahu demande au chef de l'opposition, le travailliste Yitzhak
Herzog, de dénoncer Breaking The Silence. Herzog ne tombe pas dans le
panneau. Il exige de Netanyahu qu'il condamne la campagne de diffamation
contre le président Rivlin. Ce que le Premier ministre fera finalement
du bout des lèvres.
Bénédiction silencieuse de Netanyahu
Reste que plusieurs correspondants politiques en sont persuadés : tout
cela fait partie d'une opération bien montée. Le clip vidéo contre les
ONG de gauche aurait été réalisé par des proches de Naftali Bennet, avec
la bénédiction silencieuse de Netanyahu dont l'animosité contre le chef
de l'État ne cesse de croître. Il a été particulièrement irrité par la
chaleureuse réception accordée à Rivlin par Barack Obama à la
Maison-Blanche, il y a une quinzaine de jours.
La controverse contre Breaking The Silence est loin de s'apaiser. Deux
personnalités prestigieuses issues du système sécuritaire ont pris
position en sa faveur. Le général Amiram Levin, ancien chef du célèbre
commando d'état-major, ex-numéro 2 du Mossad, et Youval Diskin, ancien
patron du Shin Bet. Ils condamnent la tentative de museler cette
organisation qui, disent-ils, « doit pouvoir s'exprimer librement au
sein de la société israélienne ». « Sa contribution est très importante
», ajoutent-ils. Vont-ils, à leur tour, faire l'objet de la colère de la
droite ? Au train où vont les choses, on devrait le savoir assez vite.
(20-12-2015
- Danièle Kriegel)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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