Ayelet Shaked n'a pas encore 40 ans et un visage à la Elizabeth Taylor :
grands yeux verts, longs cheveux noirs et lèvres pulpeuses ; une jeune
beauté à la tête du ministère de la Justice. Les commentaires machistes
n'ont donc pas manqué et ont fait oublier le fond du problème, résumé en
une phrase assassine par un député travailliste (aujourd'hui L'Union
sioniste) : « Donner la Justice à Ayelet Shaked, c'est comme nommer un
pyromane à la tête des services des pompiers… »
Mais il n'y a pas que la gauche qui s'inquiète. Récemment, le conseiller
juridique du gouvernement n'a pas mâché ses mots à l'encontre de ceux
qui « pensent que la séparation des pouvoirs est devenue peu claire et
doit être redéfinie », dénonçant « des positions simplistes et sans
fondement ». Personne n'a été dupe. La cible de Me Yehouda Weinstein
n'était autre que la nouvelle ministre de la Justice.
Ayelet Shaked contre les bien-pensants, « ennemis d'Israël »
Numéro deux du Foyer juif, députée depuis 2013 du parti religieux
d'extrême droite dirigé par Naftali Bennett, elle s'est fait une
spécialité dans les déclarations fracassantes pro-colons et
anti-palestiniennes. Cela, tout en étant le chantre de ceux qui, en
Israël, veulent mettre au pas la Cour suprême accusée d'être « le suppôt
du libéralisme de gauche et des tenants des droits de l'homme ». Tout
en caressant dans le sens du poil le sentiment anti-élite de l'opinion
publique, elle s'en est toujours pris à ce qu'elle exècre tout
particulièrement : cette gauche qui, à ses yeux, ne cesse d'apporter de
l'eau au moulin des « ennemis d'Israël ». Tout était donc prêt pour que
cette épouse d'un pilote de chasse, mère de deux enfants, pas
pratiquante mais très à cheval sur le patriotisme juif, soit la star du
4e cabinet Netanyahu, et devienne garde des Sceaux.
Mais, voilà, depuis son entrée en fonction, on ne l'entend presque pas.
Sa première grande apparition médiatique date du 20 juin dernier. Plus
d'un mois après sa nomination. Une longue interview au journal du soir
de la principale chaîne de télévision au cours de laquelle Ayelet Shaked
a surtout manié l'art de l'esquive et de la retenue. Au chapitre des
révélations, le plus intéressant fut en réponse à la question : « Quel
est le meilleur conseil reçu depuis votre entrée en fonction ? » Réponse
: « Réfléchir avant de parler ! »
On n'en saura pas plus. Même à la question pressante : « Peut-on savoir
qui vous a donné ce conseil ? Un communicant ? Un proche ? » elle
opposera un non catégorique ! Bref, si la jeune ministre, se conformant
au slogan de campagne de son parti, ne s'excuse de rien, à commencer par
ses positions extrêmes ou, comme on dit dans l'Israël d'aujourd'hui,
ses vues très conservatrices, le message actuel est clair : je suis une
femme qui entend travailler sérieusement et loin des fureurs
médiatiques.
Nouvelle stratégie politique ou volonté de se démarquer de la manière de
faire de son ancien parti, le Likoud, et de son patron, Benjamin
Netanyahu, dont elle fut directrice de cabinet durant sa traversée du
désert, entre 2006 et 2008 ? L'avenir le dira.
Miri Regev, pour une culture patriotique
Reste qu'en matière d'agitation et de scandales, c'est aujourd'hui sa
collègue à la Culture et aux Sports, Miri Regev, qui triomphe. Avec son
populisme extraverti, son amour de l'emblème national, dont elle aime
s'envelopper en toutes circonstances, ses coups de colère brut de
décoffrage et ses rires à la bonne franquette, cette femme à la
cinquantaine épanouie met un large public dans sa poche, et pas
seulement ses électeurs. Depuis son entrée à la Knesset, elle est passée
de la 27e à la 5e place sur la liste du parti.
Gonflée à bloc par cette ascension ultrarapide, cette générale de
brigade - elle fut chef de la censure militaire puis porte-parole de
Tsahal - passée à la politique n'a pas l'intention de s'arrêter en si
bon chemin. Et ce n'est pas une « clique d'artistes de gauche » qui va
la faire renoncer à son agenda : récompenser les « patriotes » et punir
ceux qui fournissent des munitions aux ennemis du peuple juif.
« Censure inacceptable ! » clame le monde des arts, en utilisant parfois
l'insulte. Pas de quoi perturber la générale Regev ! Lors d'une
interview à un grand journal féminin, elle n'hésite pas. Voilà les
artistes qualifiés de « culs serrés, hypocrites et ingrats » ! Par la
même occasion, elle leur précise sa prochaine action : l'annonce des
critères qui ouvriront ou fermeront la porte aux subventions de son
ministère. « D'ici un mois, lâche-t-elle, le chef du syndicat des
acteurs saura exactement ce qu'il peut ou ne peut pas [écrire]… »
Ambiance !
Ayelet et Miri. Des enfances à l'opposé l'une de l'autre : la première
dans les beaux quartiers de Tel-Aviv, la seconde à Kyriat Gat, une
petite ville du sud du pays. Mais à l'arrivée, et en dépit de styles
très différents, une même vision politique pour un Israël, État 100 %
juif de la Méditerranée au Jourdain.
(11-07-2015 - Danièle Kriegel)
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