samedi 11 juillet 2015

Israël : Le nouveau visage du nationalisme juif (Danièle Kriegel)

Ayelet Shaked n'a pas encore 40 ans et un visage à la Elizabeth Taylor : grands yeux verts, longs cheveux noirs et lèvres pulpeuses ; une jeune beauté à la tête du ministère de la Justice. Les commentaires machistes n'ont donc pas manqué et ont fait oublier le fond du problème, résumé en une phrase assassine par un député travailliste (aujourd'hui L'Union sioniste) : « Donner la Justice à Ayelet Shaked, c'est comme nommer un pyromane à la tête des services des pompiers… »
Mais il n'y a pas que la gauche qui s'inquiète. Récemment, le conseiller juridique du gouvernement n'a pas mâché ses mots à l'encontre de ceux qui « pensent que la séparation des pouvoirs est devenue peu claire et doit être redéfinie », dénonçant « des positions simplistes et sans fondement ». Personne n'a été dupe. La cible de Me Yehouda Weinstein n'était autre que la nouvelle ministre de la Justice.

Ayelet Shaked contre les bien-pensants, « ennemis d'Israël »
Numéro deux du Foyer juif, députée depuis 2013 du parti religieux d'extrême droite dirigé par Naftali Bennett, elle s'est fait une spécialité dans les déclarations fracassantes pro-colons et anti-palestiniennes. Cela, tout en étant le chantre de ceux qui, en Israël, veulent mettre au pas la Cour suprême accusée d'être « le suppôt du libéralisme de gauche et des tenants des droits de l'homme ». Tout en caressant dans le sens du poil le sentiment anti-élite de l'opinion publique, elle s'en est toujours pris à ce qu'elle exècre tout particulièrement : cette gauche qui, à ses yeux, ne cesse d'apporter de l'eau au moulin des « ennemis d'Israël ». Tout était donc prêt pour que cette épouse d'un pilote de chasse, mère de deux enfants, pas pratiquante mais très à cheval sur le patriotisme juif, soit la star du 4e cabinet Netanyahu, et devienne garde des Sceaux.
Mais, voilà, depuis son entrée en fonction, on ne l'entend presque pas. Sa première grande apparition médiatique date du 20 juin dernier. Plus d'un mois après sa nomination. Une longue interview au journal du soir de la principale chaîne de télévision au cours de laquelle Ayelet Shaked a surtout manié l'art de l'esquive et de la retenue. Au chapitre des révélations, le plus intéressant fut en réponse à la question : « Quel est le meilleur conseil reçu depuis votre entrée en fonction ? » Réponse : « Réfléchir avant de parler ! »
On n'en saura pas plus. Même à la question pressante : « Peut-on savoir qui vous a donné ce conseil ? Un communicant ? Un proche ? » elle opposera un non catégorique ! Bref, si la jeune ministre, se conformant au slogan de campagne de son parti, ne s'excuse de rien, à commencer par ses positions extrêmes ou, comme on dit dans l'Israël d'aujourd'hui, ses vues très conservatrices, le message actuel est clair : je suis une femme qui entend travailler sérieusement et loin des fureurs médiatiques.
Nouvelle stratégie politique ou volonté de se démarquer de la manière de faire de son ancien parti, le Likoud, et de son patron, Benjamin Netanyahu, dont elle fut directrice de cabinet durant sa traversée du désert, entre 2006 et 2008 ? L'avenir le dira.

Miri Regev, pour une culture patriotique
Reste qu'en matière d'agitation et de scandales, c'est aujourd'hui sa collègue à la Culture et aux Sports, Miri Regev, qui triomphe. Avec son populisme extraverti, son amour de l'emblème national, dont elle aime s'envelopper en toutes circonstances, ses coups de colère brut de décoffrage et ses rires à la bonne franquette, cette femme à la cinquantaine épanouie met un large public dans sa poche, et pas seulement ses électeurs. Depuis son entrée à la Knesset, elle est passée de la 27e à la 5e place sur la liste du parti.
Gonflée à bloc par cette ascension ultrarapide, cette générale de brigade - elle fut chef de la censure militaire puis porte-parole de Tsahal - passée à la politique n'a pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin. Et ce n'est pas une « clique d'artistes de gauche » qui va la faire renoncer à son agenda : récompenser les « patriotes » et punir ceux qui fournissent des munitions aux ennemis du peuple juif.
« Censure inacceptable ! » clame le monde des arts, en utilisant parfois l'insulte. Pas de quoi perturber la générale Regev ! Lors d'une interview à un grand journal féminin, elle n'hésite pas. Voilà les artistes qualifiés de « culs serrés, hypocrites et ingrats » ! Par la même occasion, elle leur précise sa prochaine action : l'annonce des critères qui ouvriront ou fermeront la porte aux subventions de son ministère. « D'ici un mois, lâche-t-elle, le chef du syndicat des acteurs saura exactement ce qu'il peut ou ne peut pas [écrire]… » Ambiance !
Ayelet et Miri. Des enfances à l'opposé l'une de l'autre : la première dans les beaux quartiers de Tel-Aviv, la seconde à Kyriat Gat, une petite ville du sud du pays. Mais à l'arrivée, et en dépit de styles très différents, une même vision politique pour un Israël, État 100 % juif de la Méditerranée au Jourdain.

(11-07-2015 - Danièle Kriegel)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire