Après avoir prié aux côtés de Bilal Ag Chérif, secrétaire général du
MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), Mohammed VI a été
reçu en grande pompe par Ibrahim Boubacar Keita, président du Mali. Peu à
peu le Maroc place ses pions dans une zone d’influence qui lui avait
échappé au profit de sa rivale algérienne. Il faut dire que la proximité
religieuse est ancienne d’avec les confréries musulmanes maliennes.
Celles-ci trouvent en partie leur origine dans le malékisme marocain, un
sunnisme modéré. C’est une carte à jouer stratégique au moment où
l’invasion islamiste a montré tous ses excès dans le Nord Mali.
Alors que l’Algérie n’avait pas condamné cette attaque, la France
avait alors accusé les renseignements algériens de jouer un jeu trouble
en infiltrant le Mujao. "Tout le monde soupçonne l’Algérie d’avoir fait
de même avec Aqmi", explique un diplomate marocain. "Il faut savoir que
les Algériens connaissent bien les groupes islamistes. Cela date de
leurs stratégies de renseignements pendant la guerre civile",
ajoute-t-il. Le pays refusera d’ailleurs de s’ingérer dans cette crise
sahélienne, pas de quoi s’attirer les bonnes grâces de l’opinion
publique malienne. Une opportunité pour le Maroc d’isoler l’Algérie d’un
pays avec lequel elle partage une longue frontière ? Sans doute. "Le
Maroc considère que l’Algérie est le noeud du problème au Sahara",
explique le diplomate. C’est vrai que le Polisario, mouvement contestant
la souveraineté chérifienne, est installé en territoire algérien, à
Tindouf. "Sans l’appui territorial, militaire et surtout financier, ce
mouvement n’existerait plus. C’est une stratégie délibérée de l’Algérie
pour affaiblir le leadership marocain en Afrique du Nord", affirme la
même source. Sujet difficile s’il en est puisqu’il oblige les Marocains à
mobiliser un budget très important alors qu’il y a peu de ressources
naturelles dans les zones revendiquées par le Polisario. Selon le
Conseil économique et social, 3 à 4 % du PIB chérifien est consacré à ce
problème depuis 1975 (aides directes, financement en infrastructure,
subventions aux matières alimentaires...), un niveau équivalent à celui
réservé à l’Éducation, c’est dire...
La croissance économique est la grande priorité du gouvernement
marocain. "Si l’Algérie l’acceptait, Mohammed VI serait prêt à laisser
de côté le problème du Sahara pour se concentrer sur une union
économique impliquant notamment l’ouverture des frontières terrestres",
explique encore le diplomate marocain, mais... l’Algérie continue de
refuser : "Le problème, c’est que l’Algérie est assise sur un puits de
pétrole. Elle est imperméable aux propositions économiques, de même
qu’aux pressions amicales de la France, des États-Unis ou des pays du
Golfe sur le plan diplomatique", affirme-t-il. Le cas de la Turquie
rappelle que les perspectives de partenariat au Nord avec l’Union
européenne sont faibles, d’autant que l’Europe souffre d’un manque de
dynamisme économique. À l’est, l’Algérie est fermée. Reste le Sud...
Le Maroc ne cache pas son désir d’intégrer la zone Uemoa (Union
économique et monétaire ouest-africaine) pour avoir accès à un marché en
forte croissance. Afin de séduire le Sud, le royaume chérifien offre
des facilités d’accès douanières aux produits agricoles de la zone,
apporte une aide directe en assistance technique ou coopération, offre
des bourses aux étudiants... Avec le Mali en particulier, le Maroc
affichait un excédent de 290 MDH en 2012 grâce à la progression des
exportations sur le marché malien. Les importations en provenance de
Bamako, principalement du coton, restent faibles avec une tendance à la
baisse ces dernières années. Reste les investissements directs à
l’étranger. Sur une quinzaine de pays africains où la présence marocaine
est une réalité, le Mali accapare 34 % des investissements marocains,
suivi du Gabon et du Sénégal, chacun recevant 25 % de ces
investissements. Les domaines majeurs sont les télécommunications, avec
Maroc Telecom, et la banque. Rappelons que l’Afrique est un cas
particulier : sur le plan mondial, la part des IDE en Afrique est passée
de 1,2 % en 2007 à 3,1 % en 2012, ce qui en fait l’une des rares
régions où les flux mondiaux n’ont pas baissé...
Quoi qu’il en soit, le Maroc persiste dans sa volonté d’être encore
plus présent en Afrique de l’Ouest. Cette approche volontariste a des
échos favorables dans cette région où le roi Mohammed VI est très
populaire. Il n’y a pas de doute, avec la conjugaison de tous ces
facteurs, le Maroc n’est pas près de perdre son duel indirect avec sa
voisine algérienne beaucoup moins active auprès des acteurs économiques
et politiques de la zone soudano-sahélienne.
(02-04-2014 - Par Laetitia Kretz)
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