C’est l’une des personnalités politiques les plus appréciées
d’Algérie. Sa liberté de ton mêlée à sa sincérité politique font d’elle
une adversaire redoutée, surnommée la "dame de fer algérienne". Seule
femme à la tête d’un parti politique dans un pays arabe, Louisa Hanoune a
été en 2004 la première candidate à une élection présidentielle dans
toute la région. Dix ans plus tard, la voilà en lice pour sa troisième
présidentielle consécutive. Et elle ne compte pas y faire de la
figuration. Ses mots d’ordre : le "changement radical" par les urnes
pour instaurer une deuxième République.
Sa force de caractère, Louisa Hanoune l’a puisée au coeur des
montagnes du Jijel, dans l’Est algérien, où elle est née en 1954 d’un
père boulanger et d’une mère au foyer. Sa vie bascule une première fois à
l’âge de trois ans : elle voit sa maison bombardée par l’aviation
française, et doit s’exiler avec sa famille à 250 kilomètres de là, dans
la ville d’Annaba, près de la frontière tunisienne. À l’indépendance du
pays, en 1962, Louisa est la première fille de sa famille à aller à
l’école. "C’est ce droit à l’instruction qui va complètement modifier la
place, la représentation des femmes dans notre société et dont je suis
en partie le produit", écrit-elle en 1996(*).
Or, son bac en poche, son père s’oppose à ce qu’elle intègre
l’université. "À l’époque, les parents n’acceptaient pas que leurs
filles fassent des études supérieures", explique-t-elle en 2009 à
l’hebdomadaire Jeune Afrique. "L’université était perçue comme un lieu
de débauche, de perdition. Une fois l’école finie, les filles étaient
bonnes à marier." Contre l’avis de son père, Louisa Hanoune s’inscrit à
l’université d’Annaba, où elle décroche une licence en droit.
Parti unique oblige, l’activisme politique n’a, à l’époque, pas droit
de cité en Algérie. C’est au sein de son campus qu’elle flirte avec
l’interdit. "Tout le pays bruissait encore de la guerre de libération,
tout le monde parlait de socialisme, de justice, de progrès. L’Algérie
était à la pointe du combat anti-impérialiste", écrit-elle dans son
livre. Brillante oratrice, maniant à merveille le verbe et l’humour,
tant en arabe qu’en français, elle devient rapidement la star de son
université, gagnant le surnom de "pasionaria" de la politique.
Et Louisa Hanoune n’hésite plus à dépasser le stade des bancs de la
fac. Séduite par le discours trotskiste, la syndicaliste entre en
politique en rejoignant l’Organisation socialiste des travailleurs, un
parti clandestin d’extrême gauche, ce qui lui vaut deux séjours en
prison, en 1983 et en 1988. Mais la "dame de fer" n’en démord pas. À sa
première sortie de prison, elle milite au sein d’associations de défense
des droits de la femme. Sa cible : le code de la famille, adopté en
1984 par le Parlement, qui comporte des éléments de la charia
restreignant considérablement le droit des femmes en matière de mariage,
de divorce et de tutelle des enfants.
L’autorisation du multipartisme en 1989 marque un second tournant
dans sa vie et lui permet de fonder le Parti des travailleurs, dont elle
est toujours la secrétaire générale. Tournée vers la défense des
ouvriers, des femmes et des Palestiniens, l’organisation, qui compterait
quelque 100 000 militants à travers le pays, est volontiers taxée de
trotskisme. Un terme que récuse formellement sa fondatrice, qui se dit
avant tout farouchement "antilibérale", estimant que les réformes
économiques ont conduit l’Algérie dans l’impasse.
Troisième tournant dans la carrière de Louisa Hanoune, sa
dénonciation en janvier 1992 de l’interruption par l’armée du processus
électoral et de la répression des islamistes qui va plonger le pays dans
dix années de guerre civile. "Elle est le seul homme politique du
pays", dira d’elle Ali Benhadj, ex-numéro deux du Front islamique du
salut, qui ne manquera pas de lui rendre visite à sa sortie de prison en
2006. Mais outre ses prises de position remarquées, la militante
d’extrême gauche pèse également sur les décisions politiques du pays.
C’est elle qui a inspiré la loi de finances complémentaire adoptée en
2009, qui réhabilite le secteur public au détriment du privé.
Sollicitée par le pouvoir, Louisa Hanoune refuse catégoriquement de
rejoindre l’Alliance présidentielle. Persuadée, au contraire, que
l’Algérie est prête à accepter une femme au palais d’El Mouradia, elle
décide de briguer pour la première fois la fonction suprême en 1999,
mais n’est pas retenue par le Conseil constitutionnel. Qu’à cela ne
tienne, elle retente sa chance en 2004 et entre enfin dans l’histoire.
En dépit de son modeste score (elle ne recueille que 1 % des votes, soit
100 000 voix), elle se représente cinq ans plus tard et récolte 4,22 %
des suffrages (soit plus de 600 000 voix).
De biens maigres résultats face à Abdelaziz Bouteflika et sa machine
électorale de guerre du Front de libération nationale. À nouveau
candidate en 2014, Louisa Hanoune compte bien jouer les trouble-fête, et
ne se fait pas prier pour fustiger ses adversaires. La dame de fer
accuse notamment Ali Benflis, principal rival du président sortant,
d’être le "candidat des multinationales". À 60 ans, la Arlette Laguiller
algérienne n’a pas pris une ride, et continue à pourfendre
l’impérialisme américain autant que la nocivité des multinationales
"acquises au système financier" mondial.
Volontiers conspirationniste, Louisa Hanoune invite les Algériens à
se mobiliser massivement le 17 avril prochain pour mettre à mal le
"complot" ourdi par les États-Unis et les pays du Golfe. Un discours qui
rappelle étrangement celui du président sortant, d’ailleurs
relativement épargné par la secrétaire générale du Parti des
travailleurs. Au contraire, la pasionaria estime que la candidature
Bouteflika, extrêmement décriée en Algérie, a eu l’effet d’une "gifle"
pour ses détracteurs.
Ceux-ci ne se privent pas d’accuser la candidate de jouer les
faire-valoir dans un scrutin aux "fausses allures démocratiques". Les
mêmes critiques lui étaient déjà adressées en 2009. À l’époque, Louisa
Hanoune déclarait à Jeune Afrique ne pas avoir "le droit de déserter le
champ de bataille". "Participer à une élection présidentielle,
disait-elle, c’est la possibilité de disposer d’une formidable tribune
pour faire progresser les idées du parti, défendre la souveraineté
nationale et changer le destin des Algériens."
Or, à l’issue d’un rocambolesque changement de Constitution (qui
limitait le nombre de mandats présidentiels à deux), Abdelaziz
Bouteflika s’était représenté et avait remporté le scrutin de 2009 avec
90,24 % des voix.
(01-04-2014 - Armin Arefi)
(*) Louisa Hanoune, une autre voix pour l’Algérie, entretiens avec Ghania Mouffok (éditions La Découverte, 1996).
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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