mardi 1 avril 2014

Algérie : Louisa Hanoune, la "dame de fer" d’Algérie (Armin Arefi)

C’est l’une des personnalités politiques les plus appréciées d’Algérie. Sa liberté de ton mêlée à sa sincérité politique font d’elle une adversaire redoutée, surnommée la "dame de fer algérienne". Seule femme à la tête d’un parti politique dans un pays arabe, Louisa Hanoune a été en 2004 la première candidate à une élection présidentielle dans toute la région. Dix ans plus tard, la voilà en lice pour sa troisième présidentielle consécutive. Et elle ne compte pas y faire de la figuration. Ses mots d’ordre : le "changement radical" par les urnes pour instaurer une deuxième République.

Sa force de caractère, Louisa Hanoune l’a puisée au coeur des montagnes du Jijel, dans l’Est algérien, où elle est née en 1954 d’un père boulanger et d’une mère au foyer. Sa vie bascule une première fois à l’âge de trois ans : elle voit sa maison bombardée par l’aviation française, et doit s’exiler avec sa famille à 250 kilomètres de là, dans la ville d’Annaba, près de la frontière tunisienne. À l’indépendance du pays, en 1962, Louisa est la première fille de sa famille à aller à l’école. "C’est ce droit à l’instruction qui va complètement modifier la place, la représentation des femmes dans notre société et dont je suis en partie le produit", écrit-elle en 1996(*).

Or, son bac en poche, son père s’oppose à ce qu’elle intègre l’université. "À l’époque, les parents n’acceptaient pas que leurs filles fassent des études supérieures", explique-t-elle en 2009 à l’hebdomadaire Jeune Afrique. "L’université était perçue comme un lieu de débauche, de perdition. Une fois l’école finie, les filles étaient bonnes à marier." Contre l’avis de son père, Louisa Hanoune s’inscrit à l’université d’Annaba, où elle décroche une licence en droit.

Parti unique oblige, l’activisme politique n’a, à l’époque, pas droit de cité en Algérie. C’est au sein de son campus qu’elle flirte avec l’interdit. "Tout le pays bruissait encore de la guerre de libération, tout le monde parlait de socialisme, de justice, de progrès. L’Algérie était à la pointe du combat anti-impérialiste", écrit-elle dans son livre. Brillante oratrice, maniant à merveille le verbe et l’humour, tant en arabe qu’en français, elle devient rapidement la star de son université, gagnant le surnom de "pasionaria" de la politique.

Et Louisa Hanoune n’hésite plus à dépasser le stade des bancs de la fac. Séduite par le discours trotskiste, la syndicaliste entre en politique en rejoignant l’Organisation socialiste des travailleurs, un parti clandestin d’extrême gauche, ce qui lui vaut deux séjours en prison, en 1983 et en 1988. Mais la "dame de fer" n’en démord pas. À sa première sortie de prison, elle milite au sein d’associations de défense des droits de la femme. Sa cible : le code de la famille, adopté en 1984 par le Parlement, qui comporte des éléments de la charia restreignant considérablement le droit des femmes en matière de mariage, de divorce et de tutelle des enfants.

L’autorisation du multipartisme en 1989 marque un second tournant dans sa vie et lui permet de fonder le Parti des travailleurs, dont elle est toujours la secrétaire générale. Tournée vers la défense des ouvriers, des femmes et des Palestiniens, l’organisation, qui compterait quelque 100 000 militants à travers le pays, est volontiers taxée de trotskisme. Un terme que récuse formellement sa fondatrice, qui se dit avant tout farouchement "antilibérale", estimant que les réformes économiques ont conduit l’Algérie dans l’impasse.

Troisième tournant dans la carrière de Louisa Hanoune, sa dénonciation en janvier 1992 de l’interruption par l’armée du processus électoral et de la répression des islamistes qui va plonger le pays dans dix années de guerre civile. "Elle est le seul homme politique du pays", dira d’elle Ali Benhadj, ex-numéro deux du Front islamique du salut, qui ne manquera pas de lui rendre visite à sa sortie de prison en 2006. Mais outre ses prises de position remarquées, la militante d’extrême gauche pèse également sur les décisions politiques du pays. C’est elle qui a inspiré la loi de finances complémentaire adoptée en 2009, qui réhabilite le secteur public au détriment du privé.

Sollicitée par le pouvoir, Louisa Hanoune refuse catégoriquement de rejoindre l’Alliance présidentielle. Persuadée, au contraire, que l’Algérie est prête à accepter une femme au palais d’El Mouradia, elle décide de briguer pour la première fois la fonction suprême en 1999, mais n’est pas retenue par le Conseil constitutionnel. Qu’à cela ne tienne, elle retente sa chance en 2004 et entre enfin dans l’histoire. En dépit de son modeste score (elle ne recueille que 1 % des votes, soit 100 000 voix), elle se représente cinq ans plus tard et récolte 4,22 % des suffrages (soit plus de 600 000 voix).

De biens maigres résultats face à Abdelaziz Bouteflika et sa machine électorale de guerre du Front de libération nationale. À nouveau candidate en 2014, Louisa Hanoune compte bien jouer les trouble-fête, et ne se fait pas prier pour fustiger ses adversaires. La dame de fer accuse notamment Ali Benflis, principal rival du président sortant, d’être le "candidat des multinationales". À 60 ans, la Arlette Laguiller algérienne n’a pas pris une ride, et continue à pourfendre l’impérialisme américain autant que la nocivité des multinationales "acquises au système financier" mondial.

Volontiers conspirationniste, Louisa Hanoune invite les Algériens à se mobiliser massivement le 17 avril prochain pour mettre à mal le "complot" ourdi par les États-Unis et les pays du Golfe. Un discours qui rappelle étrangement celui du président sortant, d’ailleurs relativement épargné par la secrétaire générale du Parti des travailleurs. Au contraire, la pasionaria estime que la candidature Bouteflika, extrêmement décriée en Algérie, a eu l’effet d’une "gifle" pour ses détracteurs.

Ceux-ci ne se privent pas d’accuser la candidate de jouer les faire-valoir dans un scrutin aux "fausses allures démocratiques". Les mêmes critiques lui étaient déjà adressées en 2009. À l’époque, Louisa Hanoune déclarait à Jeune Afrique ne pas avoir "le droit de déserter le champ de bataille". "Participer à une élection présidentielle, disait-elle, c’est la possibilité de disposer d’une formidable tribune pour faire progresser les idées du parti, défendre la souveraineté nationale et changer le destin des Algériens."

Or, à l’issue d’un rocambolesque changement de Constitution (qui limitait le nombre de mandats présidentiels à deux), Abdelaziz Bouteflika s’était représenté et avait remporté le scrutin de 2009 avec 90,24 % des voix.

(01-04-2014 - Armin Arefi)

(*) Louisa Hanoune, une autre voix pour l’Algérie, entretiens avec Ghania Mouffok (éditions La Découverte, 1996).

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