Un marathon diplomatique attend Laurent Fabius ce week-end. Le Caire,
Amman, Ramallah ou encore Jérusalem, en moins de deux jours, le chef de
la diplomatie française doit rencontrer pas moins de quatre chefs d'État
ou de gouvernement, dont le président égyptien Sissi, le roi Abdallah
II de Jordanie, le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas
et enfin le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Objectif
affiché, la relance du processus de paix israélo-palestinien. "Ce
processus de paix n'a plus de processus que le nom", confie une source
diplomatique française, admettant que l'"on est encore loin aujourd'hui"
de la perspective d'une reprise des pourparlers.
Depuis l'échec, fin avril 2014, de la dernière tentative de négociations
sous l'égide du secrétaire d'État américain John Kerry, les deux camps
semblent avoir définitivement entériné la perspective d'une solution
négociée. À peine deux mois plus tard éclatait la sanglante guerre de
Gaza (2 136 morts du côté palestinien, 68 du côté israélien) entre
Tsahal et le Hamas palestinien. Depuis, la colonisation israélienne ––
illégale selon le droit international –– et les humiliations en
territoire palestinien se poursuivent, en même temps que les violences
palestiniennes contre des civils et des militaires israéliens.
Et ce n'est sûrement pas le nouveau gouvernement israélien –– le plus à
droite de l'histoire –– ni l'extrême fragilité du président palestinien
Mahmoud Abbas –– dont le gouvernement d'union avec le Hamas vient de
démissionner –– qui plaident pour une relance des discussions.
"L'affaiblissement des deux parties ne pousse pas à la reprise d'une
discussion crédible", convient la source diplomatique. "Mais nous sommes
convaincus que l'inertie est mortifère. La poursuite de la colonisation
met à mal la viabilité de la solution à deux États, et les fortes
tensions sur le terrain risquent de nouveau de déboucher sur des
violences : nous ne voulons pas d'une nouvelle guerre à Gaza."
Pourtant, l'aggravation de la situation au Proche-Orient est aujourd'hui
relativement éclipsée par l'essor de l'organisation État islamique, ce
que ne manque pas de faire valoir Benjamin Netanyahu. Ce n'est pas
l'avis de Paris. "On ne peut plus isoler le conflit israélo-palestinien
du contexte régional", souligne-t-on dans l'entourage du ministre.
"D'autant que Daesh pourrait s'intéresser au conflit
israélo-palestinien. Ce prétendu califat, qui manque d'une cause,
pourrait s'en saisir, ce qui serait catastrophique tant pour la région
que pour la sécurité de nos propres pays car cela augmenterait son
pouvoir d'attractivité." À Gaza, le Hamas est désormais la cible
d'attaques revendiquées par des groupes salafistes se réclamant de l'EI,
également auteurs de tirs à la roquette sur l'État hébreu.
Consciente du danger de l'inaction dans la région, la France entend
changer les règles du jeu. "La méthode doit évoluer, indique-t-on dans
l'entourage du ministre. Celle des face-à-face directs entre Israéliens
et Palestiniens, sous le patronage américain, a échoué. Il faut sortir
de ce tête-à-tête avec un accompagnement international intense." Depuis
l'échec à l'ONU, fin décembre, d'une résolution palestinienne réclamant
la fin de l'occupation israélienne, Laurent Fabius s'est lancé en
coulisse dans une audacieuse initiative diplomatique visant à relancer
le processus de paix.
Le mois dernier, Le Figarorévélait que Paris avait transmis à ses
partenaires européens ainsi qu'aux pays de la Ligue arabe un projet de
résolution poussant les deux parties à s'entendre sous dix-huit mois,
sous peine de reconnaître unilatéralement l'État palestinien. Création
d'un État palestinien sur la base des frontières de 1967 moyennant des
"échanges mutuellement agréés de territoires", Jérusalem comme capitale
des deux États, retrait de l'armée israélienne des territoires
palestiniens..., les détails du projet reprenaient les fondamentaux de
la position française sur le conflit. Seule l'évocation d'une solution
"juste, équilibrée et réaliste" sur la question des réfugiés
palestiniens, s'appuyant sur un "mécanisme de compensation", apportait
un brin de nouveauté.
Interrogé sur ce texte, l'entourage du ministre dément qu'un tel projet
soit sur la table. "L'idée est d'avancer avec chacun, de promouvoir une
approche consensuelle", explique-t-on à Paris. "Mais contrairement au
passé, par exemple sous la médiation de John Kerry, les paramètres ––
bien connus –– doivent être inscrits dans le document et être endossés
par la communauté internationale. Cela dit, les États-Unis resteront
centraux dans le dispositif de négociations, ajoute-t-on, et il est
nécessaire qu'ils puissent pleinement s'associer au texte qui pourrait
être adopté."
Depuis l'échec de la médiation Kerry, les États-Unis, allié indéfectible
de l'État hébreu, semblent avoir délaissé le conflit
israélo-palestinien, au profit des ultimes négociations sur le nucléaire
iranien qui pourraient couronner la diplomatie de Barack Obama. Un
véritable "poison" à avaler pour Israël, qui éloigne encore la
perspective d'un geste israélien vis-à-vis des Palestiniens, d'autant
que les périodes électorales américaines ne sont jamais propices à la
moindre initiative sur le dossier israélo-palestinien.
Néanmoins, Barack Obama a surpris début juin en indiquant à la
télévision israélienne que les États-Unis pourraient ne pas opposer leur
(traditionnel) veto à une résolution française devant le Conseil de
sécurité de l'ONU. "C'est inédit qu'Obama ait publiquement évoqué cela,
insiste une source diplomatique française. La fenêtre de tir est
extrêmement étroite, mais Obama laisse entendre qu'elle existe." Un
soutien de poids à l'initiative française, qui ne sera pas de trop pour
relancer d'improbables négociations.
(19-06-2015 - Armin Arefi)
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