Benjamin Netanyahu a beau fustiger le Hamas, « organisation terroriste »
issue du même « arbre empoisonné que l'État islamique », et le
mouvement islamiste prôner dans sa charte la destruction de l'État
hébreu, les deux voisins entretiennent en réalité des relations
autrement plus nuancées. Israël et le Hamas ont en effet entamé un
rapprochement inédit en vue d'instaurer une trêve à long terme dans la
bande de Gaza, meurtrie par la guerre dévastatrice qui a coûté la vie
l'été dernier à 2 200 Palestiniens, dont une majorité de civils, et 73
Israéliens, pour la plupart des soldats.
Cet « échange indirect d'idées » a eu lieu grâce à des intermédiaires
arabes, européens et turcs pour consolider le cessez-le-feu informel
conclu le 26 août dernier par l'intermédiaire de l'Égypte, affirme
l'Agence France-Presse (AFP). « Nous sommes prêts à un accord. Le Hamas
veut régler les problèmes à Gaza », a affirmé une des sources à l'AFP. «
Le Hamas a reçu des émissaires européens à Gaza et à Doha (au Qatar)
qui ont transmis des messages de la part d'Israël ». D'après une source
palestinienne citée par l'AFP, les discussions ont notamment porté sur
un accord d'une durée de cinq à dix ans, une levée du blocus israélien
de Gaza ainsi que l'ouverture d'un passage maritime entre l'enclave
palestinienne et le reste du monde. Pour l'heure, les intermédiaires ont
souligné que les contacts étaient purement formels et qu'il n'y avait
pas de proposition sur la table.
Ils ont toutefois été jugés assez sérieux pour ébranler le président de
l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pourtant seul partenaire
palestinien officiellement reconnu par Israël. Et précipiter la
désintégration de son gouvernement d'union nationale entre le Fatah et
le Hamas. « Une trêve à long terme à Gaza serait la bienvenue, mais elle
ne doit pas intervenir aux dépens de l'unité palestinienne », a réagi
le porte-parole du président palestinien. En conséquence, le prochain
gouvernement palestinien ne devrait pas compter de membres du Hamas, a
suggéré dimanche Mahmoud Abbas au chef de la diplomatie française
Laurent Fabius.
L'idée d'une union effective inter-palestinienne n'a de toute façon
jamais réellement semblé d'actualité. En dépit de la formation d'un
gouvernement de technocrates en juin 2014, le Hamas n'a pas laissé le
nouvel exécutif exercer ses fonctions à Gaza, qu'il contrôle par la
force depuis 2007 (après avoir remporté les élections législatives
palestiniennes de 2006, NDLR). Pourtant, le mouvement islamiste
palestinien y est bel et bien à l'agonie. Fragilisé par la dernière
guerre dévastatrice de Gaza et la reconstruction en panne, le Hamas vit
de facto un double embargo économique. Et aurait cruellement besoin d'un
geste israélien.
Outre le blocus, imposé par Tel-Aviv en 2006 après l'enlèvement du
soldat franco-israélien Gilad Shalit, Gaza est également asphyxiée par
l'Égypte du président Sissi. Farouche opposant des Frères musulmans
(dont est issu le Hamas palestinien, NDLR), le nouvel homme fort du
Caire a inondé une grande partie des tunnels de contrebande en direction
de l'enclave palestinienne. Or, ceux-ci permettaient, au-delà des
armes, le passage de produits de première nécessité et matériaux de
construction. À genoux, le mouvement islamiste n'a pas versé le salaire
des fonctionnaires gazaouis depuis un an.
« Dans six ou sept ans, plus aucune goutte d'eau ne coulera dans la
bande », prédit un haut responsable sécuritaire israélien cité par le
site spécialisé Al-Monitor. « Ils sont en train de s'assécher.
L'aquifère sur lequel ils vivent est devenu salé. Ils ont actuellement
quatre à cinq heures d'électricité par jour ». À en croire cette source,
l'État hébreu possède exactement ce dont Gaza aurait besoin. « Il
existe à 25 kilomètres au nord de Gaza une usine de désalinisation d'eau
de mer, une des plus grandes dans le monde », poursuit le haut
responsable. « Nous pourrions, d'un claquement de doigts, résoudre le
problème d'eau dans la bande de Gaza. Nous pourrions reconstruire leur
système électrique. »
Au-delà de la crise sociale, c'est avant tout la dégradation sécuritaire
à Gaza qui inquiète Israël. Depuis 2009 et la fin de l'opération
israélienne Plomb durci, le Hamas est vivement critiqué par des
groupuscules djihadistes pour avoir mis en place une « police
anti-roquettes » chargée de limiter les tirs contre l'État hébreu (sauf
en période de guerre, NDLR). Concurrencé sur le terrain de la lutte
armée, le mouvement islamiste a été la cible ces dernières semaines d'un
nouveau groupe : les Partisans de l'État islamique. Se réclamant de
l'EI mais n'ayant pas obtenu pour l'heure l'allégeance de
l'organisation, le groupuscule a multiplié les attaques contre les
intérêts du Hamas à Gaza tout comme les tirs de roquettes contre Israël.
Comme le souligne le général israélien Sami Turgeman au quotidien
israélien Yedioth Aharonot , « il n'y a pas d'alternative au Hamas pour
diriger la bande de Gaza. [...] Nous avons intérêt à ce que quelqu'un
soit responsable de la situation à Gaza parce que sans ça, ce serait le
chaos et la situation sécuritaire y sera bien plus problématique ».
Commandant de la région militaire sud en charge de la frontière avec
Gaza, le haut gradé estime qu'« Israël et le Hamas ont des intérêts
communs, comme la paix et le calme pour encourager la croissance et la
prospérité, même dans la situation présente ».
Déjà formulé à plusieurs reprises par des responsables militaires et
sécuritaires israéliens, le tabou d'un dialogue avec l'ennemi islamiste a
cette fois été brisé par le président israélien en personne. Tranchant
avec les déclarations incendiaires de son Premier ministre, Reuven
Rivlin, bien qu’à la tête d'un poste honorifique, n'a pas exclu un
dialogue avec le groupe considéré comme terroriste par Israël, l'Union
européenne et les États-Unis. « Je n’ai aucune aversion à l’idée de
tenir des négociations avec quiconque est prêt à négocier avec moi. La
question est plus ce qu’ils veulent négocier. S’ils veulent négocier mon
existence même, alors je ne négocierai pas avec eux. »
L'idée a pour l'heure été rejetée par le nouveau directeur général du
ministère israélien des Affaires étrangères. « Il ne fait aucun doute
pour moi que le Hamas appartient à l'univers djihadiste », a réagi Dore
Gold, un proche de Netanyahu, quelques jours avant sa prise de fonction
officielle. « Ce n'est pas un candidat appelé à devenir un partenaire
politique ». Si l'hypothèse d'une réconciliation entre les deux ennemis
relève de la gageure, Israël semble néanmoins déterminé à ne pas laisser
couler son meilleur ennemi. Pour preuve, l'État hébreu aurait donné son
aval à la visite à Gaza de Mohammad al-Emadi, responsable qatari, pour
financer la reconstruction de l'enclave palestinienne à hauteur de «
dizaines de millions de dollars », révèle la radio publique américaine
NPR.
« Personne d'autre n'est prêt à aider, hormis le Qatar », explique à NPR
Yossi Kuperwasser, ancien haut gradé des renseignements militaires
israéliens pour mieux justifier la décision de Tel-Aviv. « Nous pensons
que de meilleures conditions à Gaza diminueraient les motivations du
Hamas et de la population de se lancer dans une nouvelle guerre ».
L'ancien responsable israélien l'admet : « La vie est remplie de
contradictions et de choses étranges. »
(22-06-2015 - Armin Arefi)
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