Sept ans de prison et beaucoup de questions. Le jugement en première
instance du procès des policiers accusés d’avoir violé Meriem Ben
Mohamed en septembre 2012 est tombé tard dans la soirée lundi après une
longue journée d’audience. Au-delà de la légèreté des condamnations pour
les parties civiles, le déroulement du procès et son issue soulèvent
d’autres controverses. Ainsi Slah Oueriemmi, avocat de la Ligue
tunisienne des droits de l’homme, s’est-il insurgé : "Ce n’était pas une
affaire ordinaire. Le crime a été commis par des policiers, il fallait
être exemplaire. Cette condamnation est atténuée et n’a pas le sens
qu’elle devrait." Selon beaucoup d’avocats, les affaires similaires
impliquant des "civils" valent aux accusés des peines de dix à quinze
ans en moyenne.
Slah Oueriemmi regrette aussi la décision de traiter l’affaire à huis
clos à la demande de la défense, et en vertu d’une loi qui protège les
forces de l’ordre : "L’implication de policiers qui ont abusé de leur
autorité, violé une femme dans leur véhicule de service, lors de leurs
heures de travail, tout cela pose des questions qui doivent être
débattues en public. Les victimes n’ont pas à se cacher : on veut
encourager les femmes à parler."
La victime accusée
Mais, sur ces sujets, la parole des femmes est encore rare, mal
assurée. C’est ce que confirme Moufida Missaoui, de l’Association
tunisienne des femmes démocrates (ATFD), qui dirige un centre d’écoute
dédié aux femmes victimes de violences. Il en existe aujourd’hui quatre
en Tunisie : dans la capitale depuis 1993 et depuis la révolution de
2011 à Kairouan, Sfax et Sousse : "Il y a eu une certaine bouffée de
liberté et l’on devait faire face à beaucoup de demandes." Selon elle,
la médiatisation d’un tel procès peut encourager les victimes à
témoigner : "Les tabous sont nombreux, même en dehors des affaires de
viol, les femmes ont du mal à raconter les cas de harcèlement ou tout
simplement les problèmes sexuels qu’elles peuvent avoir avec leur mari."
Alors, à propos de la condamnation de Meriem, la militante déplore
"la façon dont l’affaire et le procès se sont déroulés. Meriem a subi
des attaques, des intimidations avant sa plainte et pendant les
audiences. Les policiers l’ont accusée de leur avoir fait des avances".
Choquant, aussi, les sous-entendus de l’un des avocats des accusés :
dans sa plaidoirie, il met en avant l’expertise médicale établissant que
Meriem n’était plus vierge. "Sa vie privée n’a rien à voir avec les
faits", s’indigne-t-elle.Un soupçon de principe qui a empoisonné
l’affaire dès le début : lorsqu’elle dépose une plainte, Meriem est
d’abord poursuivie pour "atteinte aux bonnes moeurs". Célibataire, que
faisait-elle seule dans une voiture la nuit avec un homme ? Devant le
tollé suscité par cette décision, en Tunisie comme à l’étranger,
l’instruction est finalement close.
Des progrès
La condamnation des deux auteurs a fini par établir leur culpabilité.
Une autre militante, qui préfère qu’on ne cite que son nom d’activiste,
Athéna Pallas, se dit choquée par la peine : "Jabeur a été condamné à
sept ans de prison pour avoir publié des dessins." Ce jeune homme avait
diffusé via Facebook des caricatures du prophète. Il a été gracié en
février dernier. Pourtant, elle reconnaît un "acquis" : "Meriem est
désormais reconnue comme une victime, on ne peut plus lui enlever cela."
La marque d’un progrès, quoi qu’en dise la jeune femme, forcément
déçue.
La Constitution tunisienne adoptée en janvier dernier a été célébrée
comme faisant la part belle au droit des femmes. L’article 46 dispose
que l’État "protège les droits acquis de la femme et oeuvre à les
renforcer et à les développer". Dans le dernier alinéa, on peut lire :
"L’État prend les mesures nécessaires pour éliminer la violence contre
la femme." Mais, pour beaucoup de défenseurs des droits des femmes qui
ont salué cette avancée, il s’agit maintenant d’aller plus loin. D’abord
en abrogeant des lois qui sont en contradiction directe avec la
Constitution.
Comme cet article du Code pénal (227 bis) qui traite de "l’acte
sexuel sans violence" commis sur des mineures de 15 ans (six ans
d’emprisonnement) ou de 18 ans (cinq ans). En cas de mariage avec la
victime, les poursuites sont abandonnées ou les effets de la
condamnation suspendus. Les cas sont rares, à en croire les avocats,
mais le texte est toujours en vigueur.
"La honte doit changer de camp"
C’est pour mettre les lois en conformité avec la Constitution et
développer une véritable politique de prévention contre les violences
faites aux femmes que l’Association tunisienne de femmes démocrates
entame avec d’autres associations l’élaboration d’une "loi-cadre". "La
société civile doit se saisir du sujet, estime Hayet Jazzar, une avocate
et militante de l’ATFD, qui a suivi le dossier Meriem. Beaucoup de
femmes que j’encourage à entamer des poursuites en cas de viol refusent
de le faire. Elles pensent qu’elles vont le payer cher dans leur
famille. La honte doit changer de camp."
Une révolution des mentalités qui doit aussi toucher les
institutions : hôpitaux, police, justice. "Il n’existe pas de services
spécialisés, il faut former la police, des médecins à traiter ce genre
de victimes, s’émeut Souad, psychologue au centre d’écoute des femmes.
Il y a encore trop d’acquittements, trop de poids qui pèse sur les
victimes. Comme cette femme de 40 ans, violée par deux hommes entrés par
effraction dans son logement d’une pièce où elle vivait seule. Le juge a
rejeté sa plainte en lui disant : "Si tu n’es pas une prostituée, que
faisais-tu seule dans cette chambre ?"
(02-04-2014 - Par Stéphanie Wenger )
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