mercredi 2 avril 2014

Algérie : quand Khaled, Smaïn et Kenza Farah chantent pour Bouteflika (Armin Arefi)

Trente ans après le succès planétaire de Michael Jackson et de Lionel Richie, des artistes algériens entonnent leur propre version de "We are the World". Au menu, un parterre de stars - Smaïn, Kenza Farah, Cheb Yazid, Rim Hakiki, l’ancien footballeur Lakhdar Belloumi ou encore l’ex-boxeur Farid Khider - réunies autour de Khaled pour interpréter "Notre serment pour l’Algérie". Sourire aux lèvres, texte en main, casque sur les oreilles, chacun des participants lance, tour à tour : "Laissez-moi être heureux. Laissez-moi être fier de mon président qui a prêté serment à l’Algérie et qui a tenu la promesse de millions de martyrs."
Au-delà du somptueux mélange de raï et de chaabi algérois, la ressemblance avec le tube de "USA for Africa" est bluffante. Pourtant, à la différence de son aîné, le titre algérien ne vise pas à collecter des fonds contre la famine en Éthiopie. Au contraire, "Notre serment pour l’Algérie" n’est autre que l’hymne de campagne d’Abdelaziz Bouteflika, président depuis quinze ans et favori à sa propre succession. L’idée est du réalisateur algérien Djaafar Gacem, auteur de la série à succès Nass Mlah City.

Âge et maladie
Interrogé par le quotidien algérien El-Watan, il dit soutenir Bouteflika pour "la paix et la stabilité" en Algérie. "Personnellement, je ne vois pas d’alternative, c’est pour cela que je soutiens le président." La comédienne Asma Djermoune, présente dans le clip, abonde dans le même sens. "C’est grâce à lui (Bouteflika) qu’on peut aujourd’hui se sentir en sécurité", affirme-t-elle à El-Watan. C’est lui qui a mis un terme à la décennie noire, cauchemar de tous les Algériens. (...) Il est malade, c’est vrai, mais ce n’est pas irréversible, c’est pour cela que je lui souhaite aussi un prompt rétablissement, car il reste un être humain avant tout."
Son rôle dans la pacification du pays ne fait pas de doute, et notamment la loi de la concorde civile qui accordait une amnistie partielle aux islamistes n’ayant pas de sang sur les mains s’ils renonçaient à la lutte armée. Mais l’âge avancé de l’actuel président (77 ans) et surtout la grave maladie dont il souffre depuis près de vingt ans (il a été victime d’un AVC en 2013, NDLR) soulèvent les plus grands doutes quant à sa capacité d’assumer un quatrième mandat consécutif. Des inquiétudes renforcées par son absence de la campagne électorale, le président sortant laissant à ses lieutenants le soin de sillonner le pays à sa place.

Moqueries
Publiée dimanche par l’équipe de campagne du chef de l’État, la vidéo a suscité de vives moqueries de la part de jeunes internautes (l’Algérie compte 70 % de jeunes, NDLR), désabusés par l’obstination du président à s’accrocher au pouvoir. "Aux enfers, vous et votre momie !" écrit l’un d’entre eux sur YouTube à l’adresse des stars algériennes présentes dans le clip. Celles-ci sont même dépeintes comme des "salariés du système", en référence au "clan Bouteflika", accusé de s’accaparer les richesses du pays.
Dans la foulée, une campagne de "dislike" a été organisée sur la plateforme vidéo, rassemblant rapidement quelque 10 000 internautes. Face à l’ampleur de la polémique, certains artistes ont affirmé avoir été dupés. C’est le cas de Kenza Farah. "J’ai été invitée à participer à un titre et un clip pour l’Algérie, présenté comme un We Are the World made in Algérie", déclare à El-Watan l’interprète d’"Appelez-moi Kenza". "À aucun moment, ajoute-t-elle, je ne suis et ne veux être associée à tout ce qui a à voir avec la politique. Le but premier de ce titre était de revendiquer mon pays d’origine, et ce, comme je l’ai toujours fait."

Cachet
L’explication est la même chez l’ancien boxeur Farid Khider, qui affirme au Parisien qu’il ne "savait pas du tout que c’était une chanson pro-Bouteflika". "On m’a vendu ce clip comme un clip à vocation caritative", insiste l’ex-sportif, reconverti dans l’humour, avant de souligner qu’il n’a "rien touché du tout". Problème, le son de cloche est différent de l’autre côté de la Méditerannée. Dans l’émission Système DZ, les comédiens Amine Ikhlef et Mohamed Bounoughaz ont avoué avoir touché un "cachet" pour le titre. Non sans regret. "Si j’avais su que le public allait réagir aussi négativement, je n’aurais pas fait le clip", explique le second. "À choisir entre Bouteflika et mon public, en tant qu’artiste, je ne peux pas faire d’autre choix que le public."
Pour clore définitivement l’affaire, les deux artistes ont annoncé qu’ils verseraient l’argent à des associations caritatives. Quant à l’équipe de campagne d’Abdelaziz Bouteflika, elle a préféré retirer de YouTube l’objet du scandale. Mais, pour notre plus grand plaisir, le site d’El Watan l’a récupéré.

(02-04-2014 - Armin Arefi)

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