Trente ans après le succès planétaire de Michael Jackson et de Lionel
Richie, des artistes algériens entonnent leur propre version de "We are
the World". Au menu, un parterre de stars - Smaïn, Kenza Farah, Cheb
Yazid, Rim Hakiki, l’ancien footballeur Lakhdar Belloumi ou encore
l’ex-boxeur Farid Khider - réunies autour de Khaled pour interpréter
"Notre serment pour l’Algérie". Sourire aux lèvres, texte en main,
casque sur les oreilles, chacun des participants lance, tour à tour :
"Laissez-moi être heureux. Laissez-moi être fier de mon président qui a
prêté serment à l’Algérie et qui a tenu la promesse de millions de
martyrs."
Au-delà du somptueux mélange de raï et de chaabi algérois, la
ressemblance avec le tube de "USA for Africa" est bluffante. Pourtant, à
la différence de son aîné, le titre algérien ne vise pas à collecter
des fonds contre la famine en Éthiopie. Au contraire, "Notre serment
pour l’Algérie" n’est autre que l’hymne de campagne d’Abdelaziz
Bouteflika, président depuis quinze ans et favori à sa propre
succession. L’idée est du réalisateur algérien Djaafar Gacem, auteur de
la série à succès Nass Mlah City.
Âge et maladie
Interrogé par le quotidien algérien El-Watan, il dit soutenir
Bouteflika pour "la paix et la stabilité" en Algérie. "Personnellement,
je ne vois pas d’alternative, c’est pour cela que je soutiens le
président." La comédienne Asma Djermoune, présente dans le clip, abonde
dans le même sens. "C’est grâce à lui (Bouteflika) qu’on peut
aujourd’hui se sentir en sécurité", affirme-t-elle à El-Watan. C’est lui
qui a mis un terme à la décennie noire, cauchemar de tous les
Algériens. (...) Il est malade, c’est vrai, mais ce n’est pas
irréversible, c’est pour cela que je lui souhaite aussi un prompt
rétablissement, car il reste un être humain avant tout."
Son rôle dans la pacification du pays ne fait pas de doute, et
notamment la loi de la concorde civile qui accordait une amnistie
partielle aux islamistes n’ayant pas de sang sur les mains s’ils
renonçaient à la lutte armée. Mais l’âge avancé de l’actuel président
(77 ans) et surtout la grave maladie dont il souffre depuis près de
vingt ans (il a été victime d’un AVC en 2013, NDLR) soulèvent les plus
grands doutes quant à sa capacité d’assumer un quatrième mandat
consécutif. Des inquiétudes renforcées par son absence de la campagne
électorale, le président sortant laissant à ses lieutenants le soin de
sillonner le pays à sa place.
Moqueries
Publiée dimanche par l’équipe de campagne du chef de l’État, la vidéo
a suscité de vives moqueries de la part de jeunes internautes
(l’Algérie compte 70 % de jeunes, NDLR), désabusés par l’obstination du
président à s’accrocher au pouvoir. "Aux enfers, vous et votre momie !"
écrit l’un d’entre eux sur YouTube à l’adresse des stars algériennes
présentes dans le clip. Celles-ci sont même dépeintes comme des
"salariés du système", en référence au "clan Bouteflika", accusé de
s’accaparer les richesses du pays.
Dans la foulée, une campagne de "dislike" a été organisée sur la
plateforme vidéo, rassemblant rapidement quelque 10 000 internautes.
Face à l’ampleur de la polémique, certains artistes ont affirmé avoir
été dupés. C’est le cas de Kenza Farah. "J’ai été invitée à participer à
un titre et un clip pour l’Algérie, présenté comme un We Are the World
made in Algérie", déclare à El-Watan l’interprète d’"Appelez-moi Kenza".
"À aucun moment, ajoute-t-elle, je ne suis et ne veux être associée à
tout ce qui a à voir avec la politique. Le but premier de ce titre était
de revendiquer mon pays d’origine, et ce, comme je l’ai toujours fait."
Cachet
L’explication est la même chez l’ancien boxeur Farid Khider, qui
affirme au Parisien qu’il ne "savait pas du tout que c’était une chanson
pro-Bouteflika". "On m’a vendu ce clip comme un clip à vocation
caritative", insiste l’ex-sportif, reconverti dans l’humour, avant de
souligner qu’il n’a "rien touché du tout". Problème, le son de cloche
est différent de l’autre côté de la Méditerannée. Dans l’émission
Système DZ, les comédiens Amine Ikhlef et Mohamed Bounoughaz ont avoué
avoir touché un "cachet" pour le titre. Non sans regret. "Si j’avais su
que le public allait réagir aussi négativement, je n’aurais pas fait le
clip", explique le second. "À choisir entre Bouteflika et mon public, en
tant qu’artiste, je ne peux pas faire d’autre choix que le public."
Pour clore définitivement l’affaire, les deux artistes ont annoncé
qu’ils verseraient l’argent à des associations caritatives. Quant à
l’équipe de campagne d’Abdelaziz Bouteflika, elle a préféré retirer de
YouTube l’objet du scandale. Mais, pour notre plus grand plaisir, le
site d’El Watan l’a récupéré.
(02-04-2014 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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