C'est peu dire qu'Israël observe la situation au Moyen-Orient comme le
lait sur le feu. Le chaos est à ses portes, avec la Syrie à feu et à
sang, l'Irak sens dessus-dessous, sans oublier l'alliance stratégique
qui s'est nouée entre le Hezbollah, l'Iran et la Russie sur fond de
guerre bien réelle entre sunnites et chiites. Sans oublier ni la menace
terroriste ni la crise récurrente avec l'Autorité palestinienne autour
des territoires occupés. Sans non plus laisser de côté le conflit larvé
avec le Hamas à Gaza, suspendu à une éventuelle reprise des tirs de
roquettes et du creusement de tunnels. Bref, la situation stratégique
demeure toujours aussi tendue, alors que l'armée israélienne se prépare à
une « troisième guerre du Liban » qu'elle estime inéluctable, après
celles de 1982 et de 2006. À Tel-Aviv, le général aviateur Amikam
Norkin, qui prendra dans quelques mois ses nouvelles fonctions de chef
d'état-major de l'armée de l'air, se trouve pour l'heure à la tête du
service de planification de l'état-major israélien des armées, chargé de
l'anticipation stratégique et de la préparation des forces. C'est un
homme-clé qui s'exprime peu, que nous avons pu rencontrer sur place dans
le cadre d'un voyage organisé par l'association EIPA (European
Israelian Press Association).
Aux yeux de cet officier à l'expression contenue, qui nous reçoit au
ministère de la Défense à Tel-Aviv, les défis d'Israël se résument à un
impératif, presque un slogan : « conserver notre liberté d'action ». Il
ne doute pas que son pays se trouve aux avant-postes : « Nous sommes sur
la ligne de front. Israël fait directement face aux défis sécuritaires
menaçant le monde occidental ». De fait, la situation a changé du tout
au tout chez les principaux voisins arabes de l'État hébreu : la Syrie,
l'Irak et, dans une moindre mesure, le Liban, ne sont plus les mêmes
qu'il y a cinq ans. En Syrie, Israël « traite » les rebelles en les
attaquant directement quand Tsahal estime que la sécurité israélienne
est en jeu. Ce fut le cas à deux reprises le mois dernier, lorsque
Tsahal a riposté à des attaques de Daech dans le Golan. Nouvelles
frappes le lendemain dans les environs de Damas, dont les conditions ne
sont pas établies clairement. Pourquoi les forces russes n'ont-elles pas
réagi, même pas verbalement ? Existe-t-il un accord secret sur ce
point, laissant le champ libre aux Israéliens ? Question à ce stade sans
réponse… S'agissant de la Syrie, Amikam Norkin appelle de ses vœux la
naissance d'une confédération dans le cadre des actuelles frontières,
composée d'entités homogènes kurde, sunnite (autour d'Alep et de Damas),
alaouite sur la côte, complétées par une zone tampon au sud, sur la
frontière israélienne. Le général prend toutefois soin de préciser qu'il
s'agit là « de ce que nous pensons à l'intérieur de l'armée
israélienne. Ce n'est pas une position du gouvernement. »
Dans un document de présentation de la stratégie militaire d'Israël,
publié pour la première fois en juillet 2016, l'état-major ne prône pas
une politique de défense, mais bien d'attaque immédiate en cas de
menace : « L'hypothèse de base, c'est que l'ennemi ne peut être vaincu
par la défense. Une force offensive est donc nécessaire pour atteindre
des objectifs militaires définis. » Gabi Siboni, chercheur à l'INSS,
voit dans cette affirmation « une approche complètement différente : en
réponse aux provocations, les forces armées attaqueront l'ennemi en
faisant appel à leurs capacités intégrées, immédiatement et
simultanément. La manœuvre au sol se voit donner une grande importance
dans son rôle remis à jour : pénétrer le territoire ennemi rapidement,
pour mettre à mal la survivabilité des capacités de direction de
l'adversaire et détruire ses infrastructures militaires. » Classant les
menaces par priorité, l'état-major cite tout d'abord l'Iran, puis le
Liban et ensuite la Syrie, suivis par les organisations
politico-militaires Hezbollah et Hamas et enfin les « groupes
terroristes sans affiliation directe avec un État ou une communauté
spécifique », dont Daech. Du point de vue de la sécurité d'Israël, « ces
organisations se battent pour devenir des États. Cela se traduit par
une réduction de la menace d'invasion du territoire israélien, tout en
maintenant celle de pénétrations limitées pour des activités terroristes
ou de relations publiques ».
Quand il expose les défis purement sécuritaires qu'Israël doit affronter
aujourd'hui et dans un avenir proche, Amikam Norkin évoque d'abord les
armes létales permettant d'interdire une zone à un belligérant. Appelées
en anglais A2AD (Anti-Access and Area Denial), il s'agit typiquement
des armes antiaériennes, dont le fameux système russe S300, qui équipe
les armées syrienne et iranienne. Ces armes sont difficilement
franchissables, même pour une aviation de combat moderne. Deuxième
menace : les armes de « destruction massive », surtout bactériologiques
et chimiques. Puis vient la course régionale aux armements, mais parmi
les pays arabes, l'Égypte et l'Arabie saoudite, les plus gros acheteurs
d'armement sont considérés comme des États « coopératifs ». Quatrième
entrave à la stratégie israélienne, la défense antimissile balistique
qui pourrait – ce qui n'est évidemment pas dit – interdire une frappe de
missiles nucléaires. Sur le plan de la tactique militaire, les
Israéliens sont gênés par les adversaires qui cherchent à éviter les
frappes en se protégeant au milieu de la population civile. Mosquées,
hôpitaux, écoles, autant de lieux protégés que d'autres belligérants ne
prennent pas en considération, alors qu'Israël dit le faire. Viennent
ensuite, en sixième position donc, les groupes qualifiés d'« acteurs non
étatiques violents », ou VNSA, qui peuvent aussi bien regrouper le
Hezbollah et le Hamas que les groupes djihadistes ou assimilés. En queue
de peloton on trouve, dans la vision militaire israélienne, la sécurité
des frontières, puis la sécurité intérieure, ensuite les “loups
solitaires” pratiquant un terrorisme sans affiliation précise, et encore
la cybersécurité. Pour finir sur un point que le général Amikam Norkin
considère comme particulièrement sensible : ce qu'il perçoit comme des
atteintes à la « légitimité » d'Israël. Parmi celles-ci le mouvement de
boycott des productions israéliennes dans les territoires occupés serait
le plus inquiétant symbole. Une vision de la sécurité au sens le plus
large, donc…
(23-12-2016
- Jean Guisnel)
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