Un
soldat israélien dirige un tank Merkava près de la frontière syrienne,
sur le plateau occupé du Golan, le 28 novembre 2016 (Afp)
Pour la première fois de sa courte histoire, Daesh s'en prend à Israël. L'incident s'est produit dimanche matin sur le plateau du Golan, occupé par l'État hébreu depuis la guerre des Six Jours de 1967. Une unité de reconnaissance israélienne de la Brigade Golan patrouillait sur la « zone grise », ces poches de territoire situées entre la clôture de sécurité israélienne et la ligne de démarcation officielle avec la Syrie. Elle a soudain été prise pour cible par une automitrailleuse circulant le long de la frontière syrienne. À son bord, quatre terroristes font feu de tout bois avec leurs tirs d'artillerie et leurs obus de mortier.
Ce sont des combattants de la Brigade des martyrs de Yarmouk, un groupe djihadiste syrien créé en 2012 et responsable l'année suivante de l'enlèvement de 21 Casques bleus philippins sur le plateau du Golan. Composée de factions locales du sud du pays, elle a fait allégeance à Daesh en 2014. Face au déluge de feu, l'aviation israélienne est appelée en renfort et détruit le véhicule et ses quatre passagers. Les soldats israéliens sont indemnes. « Je pense que la décision d'ouvrir le feu contre nos soldats a été prise au niveau local », a réagi devant la presse le général de réserve Nitzan Nuriel, ancien directeur du Bureau israélien du contre-terrorisme. « L'ordre n'est pas venu d'un échelon supérieur », a-t-il ajouté, précisant que Daech, déjà pris en étau dans le secteur entre l'armée syrienne et ses alliés du Hezbollah, n'avait « aucun intérêt, à ce stade », à ouvrir un nouveau front avec Israël.
Si, pour l'heure, l'attaque n'a pas été revendiquée par Daesh, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'est montré intransigeant : « Nous ne laisserons pas des éléments de Daech ou tout autre élément hostile utiliser le prétexte de la guerre en Syrie pour s'établir à nos frontières. » De son côté, le porte-parole de Tsahal, le lieutenant-colonel Lerner, a rappelé que les djihadistes avaient « annoncé qu'ils conquerraient Jérusalem ». Et d'avertir : « Nous n'avons aucune intention de les laisser faire. » En représailles, l'aviation israélienne a détruit dans la nuit de dimanche à lundi un bâtiment abandonné de l'ONU qui a servi, selon Tsahal, de base pour l'attaque djihadiste.
Le calife autoproclamé de Daech Abou Bakr Al-Baghdadi a beau avoir juré de s'emparer de la ville sainte, jamais son organisation ne s'était jusqu'ici attaquée à l'État hébreu ou à ses intérêts. « Derrière sa propagande, Daesh n'a jamais considéré Israël comme une cible prioritaire », rappelle l'islamologue Mathieu Guidère*, directeur du département d'études arabes à l'université de Paris-8. « Ses premiers ennemis sont les chiites et l'Iran, qu'il accuse de massacrer les sunnites. Puis viennent les monarchies du Golfe, en tête desquelles figure l'Arabie Saoudite, accusées de répandre une fausse image de l'islam. Et enfin les Occidentaux, notamment les membres de la coalition internationale anti-EI. »
Pourtant, il y a à peine un an, en pleine Intifada des couteaux, Abou Bakr Al-Baghdadi avait rappelé dans un enregistrement audio que Daesh « n'avait pas un instant oublié la Palestine », promettant d'en faire un « cimetière pour les juifs ». Or, aucune attaque palestinienne contre des citoyens israéliens n'a depuis été revendiquée par Daesh, cela, bien que 250 Palestiniens ou Arabes israéliens aient rejoint les terres du califat en Irak et en Syrie. « Il n'y a pas d'attentat, car il n'y a pas de cellule liée à Daech en Israël », affirme Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya (Israël). « Et les quelques groupes qui opèrent à Gaza n'ont pas été reconnus par Daech et s'attaquent au Hamas. »
Outre l'efficacité des services de renseignements israéliens, l'absence d'attaque djihadiste dans l'État hébreu s'explique également par l'éloignement géographique des frontières du « califat » de Daesh, qui se cantonne au centre et à l'est de la Syrie, et n'est donc pas frontalier avec Israël. « La présence de l'État islamique est très faible dans le sud de la Syrie, où règnent une constellation de groupes rebelles modérés, ainsi que les djihadistes du groupe Fatah al-Cham (ancien Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda) », rappelle le spécialiste Ely Karmon. Des rebelles en guerre ouverte avec le régime syrien, mais aussi avec la Brigade des martyrs de Yarmouk, responsable de l'attaque anti-israélienne de dimanche matin.
En dépit de quelques accrochages, la frontière syro-israélienne est restée relativement calme au cours des cinq dernières années. Officiellement, Israël affirme rester à l'écart du conflit qui fait rage chez son voisin, et ne se contente que de riposter à chaque tir d'obus « perdu » atterrissant sur son territoire, dont elle tient le régime syrien pour responsable. Et lorsque l'État hébreu engage ses avions de combat en Syrie, c'est pour détruire les dépôts et convois de l'armée syrienne, qu'il soupçonne de contenir des armes sophistiquées destinées au Hezbollah libanais. Alors même que ce dernier combat la rébellion anti-Bashar el-Assad ainsi que des groupes liés à l'État islamique.
« Le principal ennemi d'Israël reste l'Iran – et ses alliés », rappelle l'islamologue Mathieu Guidère. « Ainsi, lorsqu'il intervient contre le régime syrien, l'État hébreu devient l'allié objectif de la rébellion anti-Bashar el-Assad. Mais cela ne signifie en aucun cas qu'il existe une véritable alliance entre ces deux acteurs », insiste le chercheur. « Nous faisons face à une situation complexe », confie une source diplomatique israélienne. « Notre seul objectif est de protéger notre sécurité. »
Dans une interview au magazine Foreign Affairs en janvier 2015, Bashar el-Assad évoquait cette blague, en vogue selon lui en Syrie : « Comment pouvez-vous prétendre qu'Al-Qaïda ne possède pas de force aérienne ? Ils ont Israël. » Et d'ajouter, sans rire : « Ils (les Israéliens) soutiennent les rebelles en Syrie. C'est très clair. »
Si la sortie du président syrien est à ranger dans la liste des innombrables provocations savamment adressées à l'Occident, un rapport des observateurs de l'ONU dans le Golan, adressé en mars 2015 au Conseil de sécurité, révélait cette fois sérieusement l'existence d'« échanges » entre Israël et la rébellion syrienne entre novembre 2014 et mars 2015.
D'après le document, des « individus armés » ont « traversé la ligne de cessez-le-feu » à plusieurs reprises, et se sont « approchés de la barrière technique (israélienne, NDLR) en ayant parfois des échanges avec les forces de défense israéliennes ». Les agents onusiens ont également indiqué avoir noté des transferts de blessés et des allers et venues de camions, dont certains ont été chargés de sacs avant de repartir vers la Syrie. Ils seraient ainsi au moins 2 000 Syriens à avoir été soignés au cours des trois dernières années dans les hôpitaux israéliens.
"Nous soignons des blessés, mais la plupart sont des civils", souligne la source diplomatique israélienne. Pourtant, d'après plusieurs rapports, la majorité des Syriens soignés en Israël seraient des hommes en âge de combattre. "L'appartenance des blessés à tel ou tel groupe n'est pas une considération que nous prenons en compte", répète la source diplomatique israélienne. "Nous ignorons s'il y a des combattants parmi eux". Si l'expert Ely Karmon abonde dans le même sens, il admet toutefois que « soigner des civils et des combattants a permis aux Israéliens d'entretenir de bonnes relations et d'apaiser les personnes de l'autre côté de la frontière, ainsi que de récolter du renseignement. »
(29-11-2016 )
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