Il y avait ceux qui croyaient l'affaire réglée ou l'avaient oubliée.
Aujourd'hui, après la publication, début novembre, du rapport annuel du
contrôleur de l'État (L'équivalent du président de la Cour des comptes
en France.), impossible de l'ignorer : en matière de restitution des
biens juifs en déshérence, Israël aurait pu faire beaucoup mieux.
Dénonçant ce qu'il appelle le manque d'attention et d'efforts de la part
des autorités, le texte révèle que seuls 15,6 % des biens en Israël
ayant appartenu à des juifs disparus dans la Shoah ont été rendus aux
héritiers légitimes. Et Hashava, la compagnie gouvernementale chargée de
cette mission depuis dix ans, d'en prendre pour son grade. Trop de
lenteur dans les enquêtes. Exemple : fin février de cette année, sur
les 631 dossiers ouverts pour retrouver d'éventuels ayants droit, 547
étaient toujours en cours depuis plus d'un an. Tout cela alors qu'en dix
ans le nombre des employés n'a cessé de croître, de même que le budget
de fonctionnement.
Autre reproche : depuis 2014, la compagnie n'a pas rempli certaines de
ses obligations. Comme cet autre volet de ses activités : l'aide aux
rescapés de l'Holocauste. À ce sujet, et même si Hashava a déjà versé
750 millions de shekels (184 millions d'euros) aux associations d'aide
aux survivants, en 2016, tout s'est arrêté. La raison : un différend
avec le Jewish Colonial Trust (JTC), l'organisme financier créé en 1889
pour aider le mouvement sioniste. Aux yeux du contrôleur de l'État, la
reprise de cette aide est une absolue nécessité. Il en est de même pour
la transparence en matière d'activités et de budgets. « L'État d'Israël
est supposé servir d'exemple en matière de restitution des biens, que ce
soit à travers Hashava ou via les institutions publiques
afférentes. Toutes les parties concernées doivent coopérer afin
d'activer la gestion des biens en déshérence, "une justice historique
pour Israël", note le contrôleur de l'État.
Diplomate de carrière, puis députée travailliste depuis 1999, Colette
Avital se rappelle très bien comment, pour elle, tout a commencé. Elle a
découvert cette affaire presque fortuitement, dans un article publié
par un journal israélien. Elle lit alors qu'au cours des années 20 et
30, surtout en Europe de l'Est, pour encourager le sionisme en
Palestine, des juifs avaient ouvert des comptes dans ce qui était alors
l'Anglo-Palestine Bank, l'ancêtre de l'actuelle banque Leumi. Certains
avaient aussi acheté des terrains, des biens immobiliers, etc. « Mais ce
qui m'a le plus révoltée, c'est cette partie de l'article donnant la
parole à des gens qui se plaignaient d'être venus en Israël pour essayer
de récupérer l'argent légué par un grand-père, un père, disparus dans
la Shoah. Tous avaient reçu la même réponse : Nous ne savons pas de quoi
vous parlez, nous ne savons rien à ce sujet… »
Une fin de non-recevoir d'autant plus scandaleuse, à ses yeux, qu'en
tant que diplomate elle connaissait la lutte menée par Israël et le
monde juif pour amener les banques suisses, les pays d'Europe de l'Est,
etc. à restituer les biens juifs en déshérence. « Je me disais que nous,
la patrie du peuple juif, nous ne faisions pas ce que nous demandions
aux autres ! » Colette Avital prend alors la tête d'une commission
d'enquête. Cinq ans de recherches qui, en raison du refus de collaborer
des banques israéliennes, vont souvent emmener son équipe dans les
archives britanniques : « Nous y avons retrouvé au moins 9 000 comptes
bancaires et 20 000 titres de propriété. » Après la publication d'un
rapport adopté à l'unanimité par la Knesset, le parlement israélien,
révélant que les comptes en déshérence dans les banques du pays
s'élèvent à 1 milliard de shekels, soit 242 millions d'euros, Colette
Avital ne s'arrête pas là : « Je me suis rendu compte que les rapports
finissaient souvent sur une étagère à prendre la poussière. D'où ma
décision de me lancer dans une nouvelle bataille : rédiger un projet de
loi contraignant, lequel fut voté, à l'unanimité, en 2005. » Pour la
mise en œuvre de la loi, le gouvernement créait un an plus tard l'Agence
officielle pour la localisation et la restitution des biens en
déshérence des victimes de la Shoah, la fameuse compagnie Hashava
aujourd'hui épinglée par le contrôleur de l'État.
Elle qui fut l'architecte puis la cheville ouvrière de cette loi,
comment réagit-elle aujourd'hui à toutes ces critiques ? « Je crois que,
sur certains points, le contrôleur de l'État a raison. Certainement sur
les salaires payés aux employés de Hashava. Également sur
l'accroissement des effectifs et des budgets. Ce n'est pas ce que je
souhaitais. » Elle est aussi d'accord sur la lenteur des enquêtes : « Je
m'en suis rendu compte moi-même. Certaines personnes, sachant que
j'avais été impliquée dans la création de l'agence, m'ont contactée pour
que je me penche sur leurs dossiers. J'ai alors découvert que certains
d'entre eux avaient été laissés de côté durant un an, voire deux. Au
lieu d'activer les choses, les responsables de Hashava attendaient
indéfiniment des actes en provenance de Varsovie ou d'ailleurs. »
Un manque d'efficacité qu'elle regrette, même si elle le tempère. À ses
yeux, beaucoup a été fait pour retrouver des héritiers : encarts
publicitaires dans de nombreux journaux dans le monde ; création d'un
site en français, anglais, hébreu, allemand, russe… Il y a eu aussi ce
domaine qui n'était pas inscrit dans la loi : celui des œuvres d'art.
« Des recherches ont été menées dans les musées, y compris le musée
d'Israël, pour retrouver des tableaux, des sculptures ou autres ayant
peut-être appartenu à des gens disparus dans la Shoah. » Tout cela, dans
le cadre d'une loi qui avait ses propres limites, notamment concernant
le processus de reconnaissance des héritiers légaux. « Même si nous
avons essayé de rendre cette loi de restitution plus flexible
qu'ailleurs, il fallait que les gens apportent des preuves légales, à
commencer par l'existence d'un lien de famille avec la personne tuée
dans la Shoah et sa dernière adresse. Sans oublier le nécessaire acte
d'héritage qui ne peut être délivré que par un tribunal. Aujourd'hui, en
cas de petites sommes, on n'a plus besoin d'en passer par là. Certains
documents suffisent… »
Quant à la réaction de Hashava, elle est simple : « Depuis la création
de l'agence, nous avons localisé des biens, en Israël, de juifs tués
dans la Shoah, pour une valeur de 2 milliards de shekels (490 millions
d'euros) et avons restitué aux héritiers légaux pour un montant de 642
millions de shekels (158 millions d'euros), soit 30 % de ce qui a été
localisé. À l'échelle mondiale, c'est une réussite sans précédent… » Une
fierté et un sentiment d'accomplissement que ne partage pas totalement
le contrôleur de l'État. D'où ses recommandations : la mise en place de
directives claires réduisant la durée des enquêtes et déterminant, aussi
vite que possible, les objectifs à venir dans le cadre de l'aide aux
survivants. À cela s'ajoute une dernière demande : un plan détaillé
d'activité pour 2017. C'est en effet à la fin de l'année prochaine que
Hashava doit fermer ses portes.
(08-12-2016
- Danièle Kriegel)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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