jeudi 5 juin 2014

Moyen-Orient : Le questionnement des chrétiens du Machrek (Nasri Al-Sayegh)

Depuis un siècle et demi que l’Orient arabe subit des tribulations, des crises, des cycles de violence et des modifications de la nature des pouvoirs ou des modalités de gouvernance, ce sont toujours les mêmes interrogations, le même questionnement, et bien que les réponses soient nombreuses et distinctes, elles aboutissent toutes à la cristallisation de l’angoisse au sujet du destin et de la survie.
La première des questions était : « Qui sommes-nous ? ».
À l’époque de la Renaissance arabe, la réponse qui s’offrait d’office était : « Nous sommes des citoyens, et nous appartenons à des patries dans un État en cours d’édification ».
La problématique de la citoyenneté était primordiale pour ces pionniers chrétiens qui avaient épousé la cause de l’arabité à ses débuts et celle du nationalisme à son aurore. Ceux d’entre eux qui n’adhéraient pas à cette cause ne constituaient qu’un petit nombre et se considéraient comme une minorité apeurée, encerclée par des majorités oppressives.
À l’époque de la lutte contre le colonialisme et l’occupation, les chrétiens, actifs dans les plus hautes sphères de la société, se sont organisés, non pas en tant que communauté religieuse, mais comme des entités dynamiques nanties d’une identité sociale et nationale, tant en Palestine qu’en Syrie ou en Irak. Ainsi, les Coptes se distinguèrent par leur attitude exemplaire, revendiquant l’égalité avec leurs concitoyens sur la base de l’appartenance à la patrie, quand ils refusèrent, lors de l’établissement de la première constitution, d’être « marqués » d’un quota.
Au Liban, les chrétiens dérogèrent à cette règle, et l’entité libanaise se constitua sous la forme d’une solution « difforme » ; la question des minorités chrétiennes devint un élément de la crise et de la discorde des années 1960.
Le legs chrétien à la politique n’était pas religieux, sauf quand l’État se gangrena, que les autorités usèrent d’autoritarisme et qu’elles divisèrent en sectes la collectivité.
Et lorsque l’État se gangrène, ses composantes se dissipent et les minorités choisissent soit de se tourner vers l’extérieur en quête de protecteurs, soit de s’installer sous l’aile du régime et du pouvoir.
À cette époque de tyrannie et d’autoritarisme étatiques, en cette phase de neutralisation de la vie politique et démocratique, la citoyenneté s’était liquéfiée, les partis s’étaient étiolés, remplacés par des courants religieux qui avaient hérité d’une scène politique soudainement vidée des idéaux et des forces de la société civile.
« Qui sommes-nous ? » n’était plus la question fondamentale. Elle fut remplacée par une autre : « Avec qui sommes-nous ? ». Le pouvoir en place, dans chaque pays et région, était obnubilé par une logique unique : assurer la protection à ses partisans et évincer les opposants. À cette époque, les communautés chrétiennes vivaient confiantes en la pérennité de leurs croyances, de leurs coutumes rituelles et de leur existence, bénéficiant des « largesses » du pouvoir et de sa protection économique et financière, passant pour la « bourgeoisie de l’État », laquelle profite du régime au même titre qu’une cour.
La violation de cette situation de fait s’est produite au nord de l’Irak, au détriment des Assyriens, pour des raisons historiques, culturelles et nationales précises. Aujourd’hui cette violation s’est radicalisée avec la vague « islamiste » du « Printemps arabe ».
À ce stade, la question a pris une tournure tragique  : « Avons-nous une place ici ? ». Cette question continue de résonner, ne trouvant pas d’autre réponse que l’exode ou l’angoisse sur son destin et son existence même.
Fondamentalement, cet Orient arabe est un musée des civilisations, culturel et religieux. Ses « minorités » sont une richesse, en elles-mêmes et dans leurs relations avec les autres. Dans cet Orient-là, existent toutes les catégories de chrétiens des origines, toutes les catégories de l’Islam (groupes, sectes et doctrines), toutes les catégories d’ethnies anciennes et nobles. Et il aurait été possible, si s’étaient édifiés des États nationaux, démocrates et civils, d’aboutir à un Orient radieux et prometteur.
Hélas ! Notre lot est tout autre, dans cet Orient arène de la violence religieuse et sectaire qui n’épargne personne. Les chrétiens sont dans une situation critique qui s’exprime par la crainte pour leur survie, les sunnites et les chiites quant à eux, dans une situation critique qui s’exprime par la violence, pendant que les communautés et les groupes ethniques s’efforcent encore de planter leurs « tentes » dans un « printemps sanglant » en proie aux déchirements.
Il n’existe pas de complot visant à expatrier les chrétiens de l’Orient. Les événements intérieurs actuels s’en chargeront.

(02-06-2014 - Nasri Al-Sayegh)

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