Depuis un siècle et demi que l’Orient arabe subit des tribulations,
des crises, des cycles de violence et des modifications de la nature des
pouvoirs ou des modalités de gouvernance, ce sont toujours les mêmes
interrogations, le même questionnement, et bien que les réponses soient
nombreuses et distinctes, elles aboutissent toutes à la cristallisation
de l’angoisse au sujet du destin et de la survie.
La première des questions était : « Qui sommes-nous ? ».
À l’époque de la Renaissance arabe, la réponse qui s’offrait d’office
était : « Nous sommes des citoyens, et nous appartenons à des patries
dans un État en cours d’édification ».
La problématique de la citoyenneté était primordiale pour ces pionniers
chrétiens qui avaient épousé la cause de l’arabité à ses débuts et celle
du nationalisme à son aurore. Ceux d’entre eux qui n’adhéraient pas à
cette cause ne constituaient qu’un petit nombre et se considéraient
comme une minorité apeurée, encerclée par des majorités oppressives.
À l’époque de la lutte contre le colonialisme et l’occupation, les
chrétiens, actifs dans les plus hautes sphères de la société, se sont
organisés, non pas en tant que communauté religieuse, mais comme des
entités dynamiques nanties d’une identité sociale et nationale, tant en
Palestine qu’en Syrie ou en Irak. Ainsi, les Coptes se distinguèrent par
leur attitude exemplaire, revendiquant l’égalité avec leurs concitoyens
sur la base de l’appartenance à la patrie, quand ils refusèrent, lors
de l’établissement de la première constitution, d’être « marqués » d’un
quota.
Au Liban, les chrétiens dérogèrent à cette règle, et l’entité libanaise
se constitua sous la forme d’une solution « difforme » ; la question
des minorités chrétiennes devint un élément de la crise et de la
discorde des années 1960.
Le legs chrétien à la politique n’était pas religieux, sauf quand
l’État se gangrena, que les autorités usèrent d’autoritarisme et
qu’elles divisèrent en sectes la collectivité.
Et lorsque l’État se gangrène, ses composantes se dissipent et les
minorités choisissent soit de se tourner vers l’extérieur en quête de
protecteurs, soit de s’installer sous l’aile du régime et du pouvoir.
À cette époque de tyrannie et d’autoritarisme étatiques, en cette phase
de neutralisation de la vie politique et démocratique, la citoyenneté
s’était liquéfiée, les partis s’étaient étiolés, remplacés par des
courants religieux qui avaient hérité d’une scène politique soudainement
vidée des idéaux et des forces de la société civile.
« Qui sommes-nous ? » n’était plus la question fondamentale. Elle fut
remplacée par une autre : « Avec qui sommes-nous ? ». Le pouvoir en
place, dans chaque pays et région, était obnubilé par une logique
unique : assurer la protection à ses partisans et évincer les opposants.
À cette époque, les communautés chrétiennes vivaient confiantes en la
pérennité de leurs croyances, de leurs coutumes rituelles et de leur
existence, bénéficiant des « largesses » du pouvoir et de sa protection
économique et financière, passant pour la « bourgeoisie de l’État »,
laquelle profite du régime au même titre qu’une cour.
La violation de cette situation de fait s’est produite au nord de
l’Irak, au détriment des Assyriens, pour des raisons historiques,
culturelles et nationales précises. Aujourd’hui cette violation s’est
radicalisée avec la vague « islamiste » du « Printemps arabe ».
À ce stade, la question a pris une tournure tragique : « Avons-nous une
place ici ? ». Cette question continue de résonner, ne trouvant pas
d’autre réponse que l’exode ou l’angoisse sur son destin et son
existence même.
Fondamentalement, cet Orient arabe est un musée des civilisations,
culturel et religieux. Ses « minorités » sont une richesse, en
elles-mêmes et dans leurs relations avec les autres. Dans cet Orient-là,
existent toutes les catégories de chrétiens des origines, toutes les
catégories de l’Islam (groupes, sectes et doctrines), toutes les
catégories d’ethnies anciennes et nobles. Et il aurait été possible, si
s’étaient édifiés des États nationaux, démocrates et civils, d’aboutir à
un Orient radieux et prometteur.
Hélas ! Notre lot est tout autre, dans cet Orient arène de la
violence religieuse et sectaire qui n’épargne personne. Les chrétiens
sont dans une situation critique qui s’exprime par la crainte pour leur
survie, les sunnites et les chiites quant à eux, dans une situation
critique qui s’exprime par la violence, pendant que les communautés et
les groupes ethniques s’efforcent encore de planter leurs « tentes »
dans un « printemps sanglant » en proie aux déchirements.
Il n’existe pas de complot visant à expatrier les chrétiens de l’Orient. Les événements intérieurs actuels s’en chargeront.
(02-06-2014 - Nasri Al-Sayegh)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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