Longtemps en première ligne dans la lutte contre Bachar el-Assad en
Syrie, la France frappe par son absence sur le dossier de l’Irak, après
la spectaculaire offensive des djihadistes de l’État islamique en Irak
et au Levant en Irak (EIIL), qui se sont emparés de la semaine dernière
d’importantes provinces du Nord. "Nous avons, en effet, été surpris.
Personne ne s’attendait à ce que l’armée irakienne lâche prise aussi
facilement", convient un diplomate français de haut rang.
Sauf que la crise est potentiellement plus grave qu’en Syrie, en tout
cas pour l’Occident. En contrôlant désormais le tiers de l’Irak,
l’EIIL, qui possédait déjà une grande partie du nord et de l’est de la
Syrie, a de fait effacé la frontière entre les deux pays, créant une
sorte de "Djihadistan", d’où ils sont en mesure de lancer une attaque
d’ampleur sur Bagdad. Un "pays" entièrement voué au djihad au coeur du
Moyen-Orient, servant de terrain d’entraînement aux djihadistes du monde
entier. De quoi faire frémir les pays de la région, comme l’Occident.
Pour lutter contre ce fléau, les États-Unis, qui se sont retirés
d’Irak fin 2011 et qui n’ont aucune intention d’y retourner, ont déjà
annoncé leur intention d’envoyer sur place 300 conseillers militaires.
Objectif : "entraîner, assister et soutenir" l’armée irakienne dans sa
lutte contre les "terroristes". À la pointe du combat contre les
djihadistes, notamment au Mali, la France s’est pourtant contentée jeudi
des simples condamnations d’usage. À l’issue d’un conseil restreint de
défense, la présidence de la République a fait part de sa
"préoccupation" à la suite à l’offensive de l’EIIL qui "compromet
l’unité de l’Irak et crée de nouvelles menaces pour la stabilité et la
sécurité de toute la région".
Des propos fermes, certes, mais aucune annonce. "Une réponse résolue
des autorités irakiennes est urgente", souligne le communiqué de
l’Élysée. Problème, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki demeure
aujourd’hui totalement impuissant face à l’avancée des djihadistes, ce
qui l’a d’ailleurs amené à solliciter de nouveau l’aide de la communauté
internationale. "Il y a un gouvernement légitime en Irak qui travaille à
prévenir l’entrée des djihadistes à Bagdad, dont personne ne peut se
satisfaire", rappelle le diplomate français. "Ce n’est pas nous qui
organisons la réponse sécuritaire. L’armée irakienne, composée de 600
000 hommes, doit mener la contre-offensive", poursuit la source.
Or, si les forces irakiennes sont quelque peu parvenues à contenir
l’avancée des djihadistes vers Bagdad, elles sont encore bien loin de
pouvoir prétendre contre-attaquer. Nul n’a en effet oublié le paysage de
désolation - uniformes et véhicules de l’armée abandonnés, casernes de
police vidées - qu’ont laissé derrière eux les soldats irakiens en
abandonnant Mossoul, pourtant seconde ville du pays, aux insurgés.
"Certaines forces armées irakiennes ont clairement déserté à Mossoul, ce
qui signifie qu’elles étaient infiltrées par les insurgés", rappelle
d’ailleurs Myriam Benraad, chercheuse à Sciences Po et analyste au
Conseil européen des affaires étrangères (ECFR). "Cela en dit long sur
l’Irak de 2014, qui n’a toujours pas d’État ni d’armée."
Depuis son élection à la tête du gouvernement en 2006, le Premier
ministre chiite Nouri al-Maliki a totalement marginalisé la minorité
sunnite irakienne. Tandis que les postes les plus importants sont
dévolus aux chiites du parti Dawa (dont Maliki est le chef), les
sunnites n’ont d’autre choix que de se contenter de ministères
subalternes. Un sentiment d’exclusion renforcé par une
sous-représentation dans les institutions ou dans les forces armées.
"Maliki a concentré le pouvoir entre ses mains et celles de sa
communauté, contrairement à ce que prévoit la Constitution irakienne",
pointe le haut diplomate français, pour qui "ce contexte politique grave
explique pourquoi l’EIIL a conquis une part importante du territoire
irakien sans rencontrer de grande résistance de la part du corps
social".
Conscient de l’état de délabrement de l’armée irakienne, Barack Obama
étudie sérieusement l’option de frappes aériennes (avions de chasse ou
drones) pour encourager sa contre-offensive. Interrogé sur la
possibilité que la France se joigne à des frappes ciblées, le diplomate
français botte en touche et préfère rappeler que Paris "n’a pas été
sollicité par le gouvernement de Nouri al-Maliki". "Des frappes de
drones ne suffiront pas à arrêter (les djihadistes)", poursuit le haut
fonctionnaire. "La riposte doit s’inscrire dans le cadre d’un effort
politique et de dialogue entre les communautés."
Pourtant, les récentes déclarations du Premier ministre Nouri
al-Maliki et du grand ayatollah Ali al-Sistani appelant la population à
prendre les armes contre les insurgés ne vont pas dans le sens de
l’apaisement. Pour encourager ce dialogue, François Hollande multiplie
ces jours-ci les entretiens avec les chefs d’État sunnites de la région.
Il s’est entretenu mercredi avec le prince Mitaeb bin Abdallah d’Arabie
saoudite (fils du roi Abdallah), rencontre vendredi le Premier ministre
turc Recep Tayyip Erdogan et recevra lundi l’émir du Qatar Tamim ben
Hamad al-Thani.
Objectif, que les trois puissances pèsent de tout leur poids sur la
communauté sunnite d’Irak afin qu’elles se dissocient clairement des
djihadistes de l’EIIL. "L’Arabie saoudite ne fera rien sans un plan
garantissant une meilleure représentation des minorités sunnites et
kurdes au pouvoir", prévient le diplomate. Or, le royaume Saoud est
souvent pointé du doigt pour son laxisme, voire sa complicité, dans
l’essor et le financement de l’EIIL, dont l’idéologie wahhabite est née
en Arabie saoudite.
"À Paris, nous n’avons identifié aucun soutien étatique à ces groupes
extrémistes", insiste le haut fonctionnaire. "Il existe effectivement
des financements en provenance du Golfe (de personnalités, NDLR), mais
pas seulement. Et il ne faut pas oublier que l’EIIL est implanté dans
les zones pétrolifères en Syrie, et qu’il collecte toute une série
d’impôts aux frontières." La prise de Mossoul le 10 juin dernier aurait
d’ailleurs permis aux djihadistes de mettre la main sur un véritable
pactole de 400 millions de dollars, détenus dans une banque de la ville.
Au Quai d’Orsay, on rappelle que le groupe terroriste est le "produit
du régime de Bachar el-Assad". "C’est lui qui a libéré une grande
partie de (ses) membres, alors qu’ils étaient détenus pour activités
terroristes", affirme le ministère des Affaires étrangères. Fervent
soutien de l’opposition syrienne modérée, qu’elle n’a pourtant jamais
armée malgré ses promesses, la France attribue de plus en plus
ouvertement l’impasse actuelle en Irak et en Syrie au spectaculaire
revirement de Barack Obama sur les armes chimiques syriennes en
septembre 2013.
"À la suite de cet épisode, les options se sont considérablement
réduites en Syrie, déplore la source. L’Armée syrienne libre (opposition
modérée) s’est disloquée en de nombreuses factions, ce qui a compliqué
la situation sur le terrain." Et le diplomate de rappeler : "On a
beaucoup alerté à Paris nos partenaires sur le fait que la non-prise en
charge du conflit syrien constituait un danger pour toute la région. Les
faits nous donnent raison."
(21-06-2014 - Armin Arefi)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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