jeudi 19 juin 2014

Irak : L’offensive des insurgés un risque pour l’Irak créé il y a un siècle

L’offensive des insurgés sunnites risque de sonner le glas d’un Irak centralisé, tel qu’il fut créé en 1920, et ce pays déchiré par des aspirations ethniques ou confessionnelles pourrait, au mieux, exister sous une forme confédérale, estiment les experts.
En une semaine, l’Irak, né sur les décombres de l’empire ottoman, s’est lézardé avec l’insurrection des régions sunnites de l’Ouest et du Nord, l’empressement des Kurdes à s’emparer de la région pétrolière de Kirkouk qu’ils revendiquaient et les appels des dirigeants chiites politiques et religieux à prendre les armes.
"Du point de vue kurde, c’est un tournant irréversible. Le statut de Kirkouk était la question la plus épineuse mais elle a été réglée en une nuit grâce à l’offensive de l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL)", relève Fanar Haddad, chercheur associé à l’Institut du Moyen-Orient de l’université de Singapour.
Depuis l’invasion américaine de 2003, les Kurdes réclamaient le rattachement de cette province à leur "région autonome" car grâce aux réserves pétrolières ils peuvent jouir d’une totale indépendance économique, que Bagdad leur a toujours refusée. Profitant de l’offensive de l’EIIL, c’est désormais chose faite.
D’ailleurs, le premier ministre du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani, a été très clair mardi sur la BBC. "Si l’on croit que l’Irak peut redevenir comme avant Mossoul, je ne le pense pas. C’est presque impossible", a-t-il dit avant de préconiser "comme meilleur modèle" une région autonome sunnite à l’instar de celle qui existe au Kurdistan.
"Les Kurdes étaient déjà sur la voie de l’indépendance, mais très peu d’Arabes irakiens, sunnites ou chiites, étaient favorables à une séparation", note M. Haddad.
"Les derniers événements poussent à une division formelle ou informelle du pays. Jamais la possibilité d’une partition des régions arabes de l’Irak n’a été aussi grande", ajoute l’auteur de "Confessionnalisme en Irak : visions antagonistes de l’unité".
L’Irak actuel, né en 1920 et indépendant en 1932, a toujours eu, malgré les vicissitudes et le passage du pouvoir en 2003 des sunnites aux chiites, des institutions centralisées, même si le Kurdistan bénéficie d’un statut particulier depuis 1991.
"Un Irak unifié n’est pas impossible mais hautement improbable. Les divisions sont devenues trop tranchées. Les frontières intérieures, qui existaient de facto, ont changé et il est vraisemblable que cela se transforme en frontière de jure durant les prochaines années", explique John Drake, analyste en matière de sécurité au groupe Ake.
Pour l’envoyé spécial de l’ONU à Bagdad, Nickolay Mladenov, "à l’heure qu’il est, la crise est une menace vitale pour l’Irak mais (aussi) un grave danger pour la région", souligne-t-il auprès de l’AFP.
En revanche, Arthur Quesnay, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient et qui prépare une thèse sur les conflits communautaires en Irak, n’est pas convaincu que le pays va imploser. "L’Irak peut exister sur une base nationale mais avec un système fédéral ou confédéral après des négociations et un consensus entre Bagdad et les différents acteurs. La Constitution le permet", dit-il.
Selon lui, "la plupart des acteurs arabes sunnites, y compris dans l’insurrection, sont des nationalistes. Ils veulent un partage du pouvoir plus équilibré et une autonomie politique et interne de leurs régions".
Pour tous les experts, la situation actuelle trouve son origine dans l’invasion américaine de 2003, qui a renversé le dictateur sunnite Saddam Hussein, mais aussi dans la politique confessionnelle menée par le Premier ministre Nouri al-Maliki.
"Les Américains ont démantelé les institutions mais Maliki entrera dans l’Histoire comme celui qui a perdu des pans de l’Irak. C’est durant sa gouvernance que l’Irak a perdu son intégrité", assure Ruba Husari, une des meilleures expertes en matière de pétrole irakien.
"L’avenir politique, économique et pétrolier dépend de la capacité des différentes composantes politiques, chiites et sunnites à maintenir l’intégrité du pays avant que le bateau ne coule complètement, mais on peut raisonnablement en douter", ajoute-t-elle.
"En tout cas, le fait accompli mené par les Kurdes (à Kirkouk) sera une source permanente d’instabilité en Irak", insiste-t-elle.
Dès son arrivée en Irak, le "pro-consul" américain Paul Bremer avait signé en mai 2003 le décrets sur la "debaassification" (le Baas étant le parti au pouvoir) de la société et le démantèlement de l’armée, ce qui avait réduit à néant les institutions irakiennes.
"Les Américains ont détruit l’État et activé la recomposition confessionnelle du pays et tous les acteurs politiques ont dû utiliser une référence religieuse ou ethnique pour s’imposer sur la scène politique", relève Arthur Quesnay.
"Nouri al-Maliki a agi sur des bases confessionnelles en marginalisant les élites sunnites qui se sont trouvées dos au mur", ajoute-t-il.

(18-06-2014)

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