mercredi 11 juin 2014

Liban : à Bourj Hammoud, couvre-feu obligatoire pour les Syriens


La nuit n’est pas encore tombée à Beyrouth, mais Hassan se hâte de quitter l’épicerie où il travaille pour rejoindre Bourj Hammoud. Comme tous les Syriens habitant dans cette ville de 100 000 habitants accolée à la capitale libanaise, le livreur de vingt ans ne doit pas s’éterniser avant de rentrer chez lui. Après 20 heures, il risque de se faire arrêter par la police : depuis le 21 mai, la mairie a mis en place un couvre-feu pour les Syriens. Une grande bannière déployée dans la rue qui mène à la ville leur rappelle la nouvelle règle : de 20 heures à 8 heures du matin, tous doivent rester cloîtrés chez eux, tous ont l’interdiction de circuler dans la ville. "C’est injuste", dénonce Hassan, qui doit à présent faire un détour pour regagner sa maison et éviter les barrages de police s’il quitte son travail trop tard. "Si un Syrien a fait une erreur, les autorités doivent le punir et non s’en prendre à tous", s’insurge-t-il.
La mairie a pris cette décision après qu’une bagarre entre un Libanais et un Syrien a viré au drame le 18 mai dernier. Alors qu’un groupe de Libanais assiégeait la maison où le Syrien s’était retranché, un voisin âgé de 60 ans a essayé de calmer les esprits des uns et des autres. Il a finalement reçu par erreur une bonbonne de gaz sur la tête, jetée par un Syrien qui visait le groupe de Libanais en colère. Assommé, l’homme a été transporté à l’hôpital inconscient. La rumeur de sa mort a ensuite été répandue par les médias locaux, même s’il est aujourd’hui en bonne santé.
Mais le mal est fait : l’accident a déclenché un flot de violence contre les Syriens de Bourj Hammoud. Sur la Toile, la vidéo de l’agression est devenue virale et les insultes visant les Syriens pleuvent. La situation est devenue si tendue que Fawaz, un Kurde syrien de 23 ans qui vivait dans le quartier depuis un an, a pris la décision de déménager. "J’ai vraiment eu peur, car des groupes de Libanais se sont mis à tabasser chaque Syrien qu’ils trouvaient sur leur passage, témoigne-t-il. De ma fenêtre, j’ai vu un groupe de dix Libanais tabasser un seul Syrien."
Bourj Hammoud est pourtant connue pour sa grande mixité sociale : ville populaire abritant à l’origine les descendants du génocide arménien, elle a la réputation d’une tour de Babel où de multiples communautés cohabitent. Éthiopiens, Philippins, Kurdes..., de nombreux travailleurs étrangers y vivent. Georges Krikorian, le maire adjoint, se désole d’avoir dû imposer un couvre-feu. "Plus de cent municipalités libanaises ont déjà pris cette mesure depuis 2012, mais on n’avait jamais voulu en arriver là, regrette-t-il. C’est discriminatoire, mais on n’a pas eu le choix, il fallait un moyen de diminuer les contacts entre Libanais et Syriens et les risques de représailles." Le maire, qui condamne fermement les attaques arbitraires contre les Syriens, explique que l’armée et la police libanaises ont aussi fait pression pour que le couvre-feu soit établi. "Dès que le calme sera revenu, on l’annulera", promet-il.
Trois ans après le début du conflit syrien, l’afflux massif de réfugiés à Bourj Hammoud génère en effet de plus en plus de tensions. "Cela fait plusieurs mois que j’observe des bagarres entre Libanais et Syriens devant des échoppes tenues par ces derniers, remarque Panos, un habitant de 27 ans. C’est une minorité de jeunes Libanais au chômage qui agit de manière agressive." Les réfugiés syriens, souvent employés pour un tiers du salaire libanais, sont accusés d’exacerber la crise économique qui touche le Liban depuis le début du conflit en Syrie. Pour apaiser la situation, la mairie a pris l’initiative de fermer tous les magasins illégaux de Bourj Hammoud. "On ne vise pas seulement les boutiques syriennes, mais toutes celles qui ne sont pas en règle", tient à préciser le maire adjoint.
S’il souligne aussi que "seuls 100 habitants sur 100 000 participent à des actions violentes" à Bourj Hammoud, il est clair que le mécontentement contre les Syriens est largement partagé. L’arrivée massive de nombreux hommes seuls, originaires de milieux ruraux plus conservateurs que le Liban, indispose une partie des habitants. "On ne se sent plus à l’aise", admet Mélissa, une jeune femme de 26 ans travaillant dans un magasin de pièces détachées. "Ils nous regardent avec insistance, suivent les filles dans la rue sans aucune gêne !" C’est aussi l’avis de Victoria. Installée à Bourj Hammoud depuis 38 ans avec sa famille, elle se sent rassurée par le couvre-feu. "Leur culture est différente de celle du Liban."
Au bureau des Forces libanaises, parti libanais anti-régime syrien, le responsable Eddy Haran souhaite que les autorités libanaises aillent plus loin : "On voudrait qu’un arrêté soit pris pour qu’il leur soit interdit d’habiter dans le quartier." L’homme exècre ces immigrés : "Ils boivent, ils sont agressifs, ils regardent les filles... C’est un problème culturel et religieux", clame-t-il, sous-entendant que la plupart des Syriens installés à Bourj Hammoud sont musulmans sunnites. Cette hostilité est en partie antérieure au conflit survenu en 2011. L’occupation syrienne, qui a duré trente ans au Liban, a été très dure contre les chrétiens libanais opposés au régime de Damas. Bourj Hammoud a été en outre bombardée par l’armée syrienne pendant la guerre civile. Suite au couvre-feu et malgré la guerre, une partie des Syriens de Bourj Hammoud sont retournés dans leur pays par peur que la situation ne se dégrade encore dans le futur.

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