Elles viennent d’Alep, d’Idleb ou de Hassaké : unies dans le malheur de
l’exil au Liban, des Syriennes donnent un nouveau sens à leur vie en
apprenant à promouvoir la gastronomie de leur pays déchiré par la
guerre.
Depuis plus de deux mois, un atelier de cuisine lancé par un restaurant
libanais avec le financement du Haut Commissariat pour les réfugiés et
la coopération de la branche libanaise de Caritas, aide ces femmes à
faire revivre les traditions culinaires de leurs régions dans le but de
leur assurer un revenu et créer leur propre service de restauration.
Dans un modeste sous-sol de Caritas à Dekwané, banlieue est de Beyrouth,
Ibtissam Masto exhibe fièrement sa "kebbé du moine", des boulettes à
base de boulghour assaisonnées à la mélasse de grenade, une spécialité
de sa ville de Jisr el-Choughour.
La jeune femme au voile noir a dû fuir cette cité du nord-ouest syrien
plus connue aujourd’hui pour les combats acharnés qui s’y sont déroulés
entre armée et rebelles que pour ses plats pimentés.
"A Jisr el-Choughour, je gagnais bien ma vie avant la guerre, je
chantais des ’anachid’ (chants religieux) lors des mariages et des
obsèques, je donnais des cours dans une école coranique et je
travaillais dans une pharmacie", raconte à l’AFP Ibtissam, la voix
pleine d’énergie.
"Ici, non seulement je suis sans emploi, mais mon mari est diabétique et
ne peut travailler tous les jours", ajoute-t-elle, en préparant la
mélasse de grenade, un sirop indispensable à la cuisine syrienne.
"L’idée de cet atelier m’a emballé, j’ai espoir de pouvoir faire rentrer
de l’argent".
La motivation est sans aucun doute financière, mais le projet a permis à
ces réfugiées, en majorité des mères au foyer, de se sentir utiles,
d’oublier un peu l’exil et les horreurs de la guerre, mais aussi de se
connaître entre Syriennes de différentes régions.
Pour Marlène Youkhanna, une Assyrienne (communauté chrétienne d’Orient)
de Hassaké, la grande ville du nord-est lointain, l’expérience a été une
véritable découverte.
"J’ai appris à faire du ’mehché boulghour’—aubergines farcies, une
spécialité d’Idleb (nord-ouest) ou encore de la ’kebbé semmaiiyé’ (kebbé
au sumac), un plat d’Alep", dit cette femme de 40 ans, mère de trois
enfants.
Elle et son amie Nahrein, réfugiées au Liban en raison de
l’intensification des combats entre jihadistes et kurdes à Hassaké, ont
eu le plaisir d’enseigner aux autres la kofta assyrienne (viande aplatie
et mélangée avec du riz, du persil et de la sauce tomate) ou encore des
"kotal de Mossoul" (du blé concassé avec de la viande cuite), une
recette originaire d’Irak.
La gastronomie levantine étant très similaire, les femmes ont été
encouragées à se rappeler des recettes très spécifiques pour qu’elles
puissent les promouvoir au Liban.
"Nous avons déjà fait ce même projet avec les réfugiés palestiniens au
Liban, et cela a très bien marché", affirme Jihane Chahla, de Tawlet
Souk el-Tayyeb (la "Table du marché aux délices"), un restaurant qui
promeut la cuisine du terroir.
"On les aide à avoir une capacité d’agir, un revenu, à leur créer une
image de marque grâce à laquelle elles pourront être sollicitées pour
faire du ’catering’ pour un mariage par exemple", dit la jeune femme qui
supervise le projet.
Au fourneau, tablier et bonnet blancs de rigueur, chacune témoigne de sa tragédie personnelle mais aussi celle d’un pays éclaté.
"A Hassaka, les derniers mois étaient devenus intenables. Des gens du
Front Al-Nosra (jihadiste) me harcelaient en demandant de me voiler et
ont détruit la voiture de mon mari. Puis il y a eu des enlèvements",
raconte Marlène, les cheveux courts, en T-shirt blanc.
Loubana, de Maaret al-Noomane, mère de huit enfants, se souvient encore
des bombardements effroyables du régime avant que les rebelles ne
conseillent à sa famille de quitter la ville.
"Ma maison est détruite, mon mari a des problèmes cardiaques et mes
enfants pleurent car ils ne vont pas à l’école au Liban", dit cette
femme de 30 ans, les larmes coulant sur ces joues.
Comme les autres, elle dit que l’atelier lui a permis de "faire quelque chose dans la vie".
"On doit leur rappeler constamment qu’elles ne sont pas en train de
cuisiner pour leur mari ou leurs enfants", sourit Reem Azouri,
consultante culinaire. "Elles doivent apprendre à conserver les
aliments, à présenter la table, etc".
Pour Mariam, une Alépine, cet atelier est devenu une sorte de
"mini-Syrie". "C’est très beau, je me sens comme chez moi, dans ma
Syrie".
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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