Le 5 novembre, lorsque les scientifiques du Centre hospitalier
universitaire vaudois (CHUV) livrent leur rapport médico-légal sur la
mort de Yasser Arafat, l’Autorité palestinienne et la veuve du leader
palestinien conviennent d’un embargo de dix jours. Mais celui-ci a été
immédiatement violé. Ce document en anglais, lourd de 108 pages, est
révélé dès le lendemain par Al Jazeera, la chaîne de télévision du
Qatar, contraignant le CHUV à organiser une conférence de presse dans la
précipitation, à Lausanne, le 7 novembre.
Pour l’ancien bâtonnier Marc Bonnant, l’avocat suisse de Souha Arafat,
"il n’y a pas de doute, la manière dont l’information a fuité révèle les
prémices d’une guerre d’influence. En Orient, les choses non dites sont
plus sonores que celles qui sont formulées."
Patrice Mangin, directeur du Centre universitaire romand de
médecine légale, et François Bochud, directeur de l’Institut de
radiophysique, se sont montrés prudents quant aux causes de la mort de
Yasser Arafat. Quelle est votre conviction ?
J’ai de très sérieuses raisons de penser que Yasser Arafat n’est pas
mort de mort naturelle, mais par une absorption massive de polonium. Et
des raisons tout aussi sérieuses de croire qu’il y a eu crime. Mais je
rappelle qu’il y a trois collèges d’experts : en Suisse, en Russie et en
France. Il faut attendre que les experts russes et français se
prononcent.
Comment expliquez-vous que l’Autorité palestinienne et Souha
Arafat se soient adressées ensemble aux scientifiques suisses, alors
qu’il règne entre elles une assez grande méfiance ?
Je rappelle que c’est la veuve de Yasser Arafat qui a saisi la justice
française en 2012. Mais elle n’avait en sa possession que les effets
personnels de son défunt mari. Certes, on y a trouvé un niveau
significatif de polonium. Mais ces effets, depuis le décès de Yasser
Arafat en 2004, auraient pu être contaminés par d’autres sources. Il a
donc fallu prélever des échantillons osseux sur la dépouille du
dirigeant palestinien à Ramallah. Et cette autorisation relevait de
l’Autorité palestinienne. Les deux parties se sont donc entendues pour
obtenir la vérité scientifique sur la mort de Yasser Arafat. Elles sont
provisoirement unies. En revanche, la vérité judiciaire, c’est tout
autre chose.
Que voulez-vous dire ?
Après la première étape, l’étape suivante consistera à répondre à la
question : quand Yasser Arafat a-t-il été empoisonné ? Peut-on avancer
une fourchette de dates ? On arrivera ensuite à cerner le cercle étroit
des personnes qui auraient pu le faire. On a déjà évoqué les services
secrets israéliens, américains, mais aussi des rivalités au sein de
l’Autorité palestinienne, des guerres de succession. Il risque fort d’y
avoir des retournements d’alliance, car tout le monde ne cherche pas la
même vérité. Certains auront peut-être la tentation d’entraver le cours
de la justice.
(08-11-2013 - Propos recueillis par Ian Hamel)
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