Est-ce un hasard ? Le triple attentat du 28 juin au soir, à l'aéroport
international Atatürk d'Istanbul (44 morts, dont 19 étrangers, et 260
blessés), survient en plein virage de la politique étrangère turque.
Sous la pression de son allié américain, Recep Tayyip Erdogan a d'abord
été obligé de prendre ses distances avec l'organisation État islamique
qu'il ménageait en Syrie pour se concentrer sur la lutte contre le PKK
kurde (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce premier virage à pas
lents n'est pas étranger à la spirale de violence qui touche la Turquie
depuis juin 2015 (11 attentats).
Ces derniers mois, de plus en plus isolé, Erdogan, l'islamiste, a pris
langue avec Poutine avec lequel les relations étaient rompues depuis que
l'aviation turque avait abattu un Mig russe à la frontière
turco-syrienne en novembre. Ankara a présenté ses excuses à Moscou. Le
président turc semble évoluer dans sa position intransigeante vis-à-vis
de Bachar el-Assad et, cerise sur le gâteau, s'est réconcilié avec
Israël, le 27 juin, à la veille de l'attentat à Istanbul. Retrouvailles
turco-israéliennes et rapprochement turco-russe largement motivés par la
nécessité pour Ankara de se fournir en gaz. Moscou avait mis fin aux
exportations de gaz vers la Turquie après l'affaire de l'avion.
Du côté israélien, la rupture entre les deux pays date de 2010.
L'attaque par la marine israélienne du bateau turc Mavi Marmara, affrété
par des militants pro-palestiniens qui voulaient rompre le blocus
israélien de Gaza, avait fait 10 morts parmi les activistes turcs.
Ankara avait rompu ses relations diplomatiques avec son allié autrefois
très proche.
Ces derniers mois, les deux capitales avaient toutes deux un intérêt
évident à se retrouver pour sortir de leur isolement mutuel. Non
seulement elles sont toutes deux en délicatesse avec leur allié
américain (bien que celui-ci ait poussé à leur réconciliation pour les
faire coopérer dans la lutte contre le terrorisme djihadiste), mais
seuls pays non arabes de la région (avec l'Iran), la Turquie et Israël
entretiennent une méfiance commune à l'égard du régime des mollahs.
L'État hébreu aimerait, entre autres, voir se créer, autour de la
Turquie, une coalition des pays arabes sunnites modérés contre Téhéran.
C'est largement un fantasme, le président turc étant regardé avec
suspicion par une majorité du monde arabe.
La première motivation de leur rapprochement tourne autour du gaz dont
l'État hébreu va devenir un gros exportateur depuis la découverte d'un
important gisement offshore en Méditerranée, le Leviathan. Ankara est
demandeur de gaz. Jusqu'en décembre 2015, Moscou fournissait 56 %
(chiffre 2014) du marché intérieur turc de gaz. Un projet de
construction d'un gazoduc, le Turkish Stream, d'une capacité de 63
m3/an, devait commencer à distribuer du gaz russe à la Turquie (16
milliards de mètres cubes/an en pleine capacité), à travers la mer
Noire, à la fin de cette année. Mais, en décembre 2015, en représailles à
la destruction du chasseur russe par l'aviation turque, Poutine
suspendait le projet du Turkish Stream.
Erdogan doit alors chercher des solutions autres que le gaz russe. Il se
tourne d'abord vers le Qatar : le GNL (gaz naturel liquéfié) qatari
coûte cher et ne peut suffire à remplacer, en volume, le gaz russe (27
milliards de m3/an). La Turquie regarde vers l'Azerbaïdjan d'où part le
grand corridor gazier qui relie les côtes de la Caspienne au sud de
l'Europe. Une source d'approvisionnement également insuffisante :
l'accord signé prévoit que 6 milliards de mètres cubes de gaz azéri
arriveront annuellement d'Azerbaïdjan en Turquie. Ankara cherche donc
une troisième source d'approvisionnement pour compenser les 27 milliards
de m3/an vendus par Moscou. Ce sera Israël.
Dès l'automne 2015, alors que les relations turco-russes s'enveniment et
qu'Ankara se cherche de nouveaux partenaires dans le domaine
énergétique, un haut fonctionnaire du ministère turc des Affaires
étrangères et le chef du Mossad israélien se retrouvent secrètement à
Genève. En décembre, un accord préliminaire sur le gaz est signé dans
cette ville. Les deux pays, qui n'ont guère d'atomes crochus (alors que
jusqu'aux années 2000, les relations militaires étaient très étroites
entre Ankara et Tel-Aviv, et que les deux armées organisaient
régulièrement des manœuvres communes) et s'opposent sur la question
palestinienne, trouvent, avec le gaz, un terrain d'entente. Tel-Aviv
veut faire de ses voisins égyptien et turc ses principaux acheteurs de
gaz et vise le marché européen à partir de la Turquie.
Certes, les retrouvailles passent par des concessions politiques de part
et d'autre. Israël met un préalable à l'ouverture de discussions pour
la construction d'un oléoduc entre ses gisements off-shore et la Turquie
: la reprise des relations diplomatiques entre les deux capitales.
Erdogan s'incline. Le 22 juin dernier, Dore Gold, directeur général du
ministre israélien des Affaires étrangères (l'homme de confiance de
Netanyahu), rencontre son homologue turc, Feridun Sinirlioglu, à Rome.
Les deux hommes finalisent les retrouvailles turco-israéliennes : outre
la reprise des relations diplomatiques, Israël s'engage à créer un fonds
de 18 millions de dollars pour indemniser les familles des 10 civils
turcs tués sur le Mavi Marmara ; Ankara abandonne les poursuites
judiciaires contre les militaires israéliens et accepte de ne plus
accueillir sur son sol certains responsables du Hamas. Par contre, la
Turquie n'obtient pas la levée de l'embargo israélien sur Gaza, mais
elle va envoyer, via le port d'Ashdod, 10 000 tonnes d'aide humanitaire à
Gaza.
Craignant d'être accusé de « trahison », Erdogan a téléphoné à Mahmoud
Abbas, le président palestinien, afin de le rassurer avant l'annonce
officielle de la réconciliation turque avec Israël, et a reçu Khaled
Mechaal, le porte-parole de l'aile modérée du Hamas basé à Doha, au
Qatar. Quant à Poutine, il pourrait reprendre ses livraisons de gaz et
relancer la construction du Turkish Stream.
(02-07-2016
- Assawra avec les agences de presse)
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