Si François Hollande créait un ministère de la Tolérance, gageons que
les Français crieraient au gadget. Et s'il lui prenait la lubie
d'ajouter un ministère du Bonheur, cela ne ferait plus rire du tout.
C'est pourtant ce qui s'est passé à Abu Dhabi, capitale des Émirats
arabes unis (EAU), et personne n'y a trouvé à redire. D'abord, parce que
le pays n'est pas une démocratie et qu'il n'est guère conseillé de
contester les décisions du souverain. Ensuite, parce que les nouvelles
ministres sont des femmes et que leur entrée au gouvernement est perçue
comme un signe d'ouverture. Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane, l'homme fort
de cet État de neuf millions d'âmes (mais seulement 10 % d'Émiratis), ne
se contente pas d'annoncer le changement, il le fait, à petits pas.
Loubna Al-Qassimi n'est pas tout à fait un alibi. Avant d'occuper le
ministère de la Tolérance, elle était chargée de la coopération
internationale et du développement. Le pape François ne s'y est
d'ailleurs pas trompé : il l'a reçue il y a quelques semaines au
Vatican. Le magazine Forbes a classé Loubna Al-Qassimi 43e femme la plus
puissante du monde, rappelle cette semaine l'essayiste Guillaume
Weill-Raynal sur son blog. Quant à Ouhoud Al-Roumi, nouvelle ministre
d'État du Bonheur, elle occupait précédemment les fonctions de
directrice générale de la présidence du conseil des ministres. Ajoutez
une jeune diplômée d'Oxford choisie comme ministre de la Jeunesse. Les
esprits critiques retiendront toutefois que les principaux ministères
sont occupés par les émirs d'Abu Dhabi et de Dubai (les deux principaux
émirats des EAU).
Autre nomination qui n'a rien de symbolique, celle de Loulwa Bakr,
nouvelle administratrice de Reyl Finance à Dubai. Diplômée de la
Columbia University, figurant sur la liste des Young Global Leaders du
World Economic Forum, Loulwa Bakr est non seulement la première
administratrice du Centre financier international de Dubai, mais elle
est aussi de nationalité saoudienne. Un pays où les femmes ne
travaillent pas, dépendent d'un homme (parent ou mari) pour n'importe
quelle démarche administrative, et ne sont pas autorisées à conduire.
Sur les photos, Loulwa Bakr ne porte pas de voile.
L'anecdote contée en 2011 par Nabil Malek dans un ouvrage très critique,
Dubai, la rançon du succès (Éditions Amalthée, 440 pages), illustre les tiraillements au sein des
EAU, toujours régis par la charia. L'ancien banquier expliquait qu'il
était préférable de ne pas mourir dans l'émirat quand on n'était pas
musulman, en prenant l'exemple de l'ancien directeur général d'une
entreprise de construction d'origine autrichienne décédé brutalement. Sa
veuve ne parvient pas à le faire inhumer dans son pays natal.
L'enterrer à Dubai ? Le cimetière chrétien est un terrain en friche,
ensablé, sans écriteau ni plaque. Son compte et ses cartes de crédit ont
été bloqués et, ne travaillant pas, elle doit quitter le pays dans les
trente jours ! Elle est alors contrainte de faire incinérer le corps de
son mari et reçoit ses cendres dans une urne de fortune, qui ressemble à
une gamelle d'ouvrier…
Depuis, la situation s'est quelque peu améliorée. Les non-musulmans
peuvent désormais faire appliquer pour leur succession le droit de leur
pays d'origine. Ce qui veut dire, par exemple, que les enfants seront
traités de la même façon, sans distinction de sexe. Les filles ne
recevront pas une moitié de part. « Promenez-vous dans Dubai Mall, vous
croiserez aussi bien des femmes voilées, couvertes, que des femmes en
short. Même si rien n'est acquis, le pays devient tolérant », constate
le directeur général de Reyl Finance, Pasha Bakhtiar. C'est lui qui a
recruté la Saoudienne Loulwa Bakr.
Les Émirats arabes unis ont par ailleurs mis en place un Conseil des
sages musulmans, afin de combattre l'extrémisme… et contrer l'Union
internationale des oulémas, dirigée par le cheikh Youssef Al-Qaradawi du
Qatar. Star de la chaîne Al-Jazeera, il a justifié dans le passé les
attentats-suicides contre les Israéliens. Cela ne signifie pas pour
autant que tous les liens ont été coupés avec l'islam radical. Un
rapport parlementaire britannique récent constate qu'il est « très
probable » que des proches des familles royales du Golfe aient donné de
l'argent à l'organisation État islamique. Toutefois, ce rapport cible
davantage l'Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar (ainsi que la
Turquie) que les EAU.
(21-07-2016 - Ian Hamel)
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