Les résultats officiels des élections législatives tunisiennes de
dimanche n'étaient pas encore connus lundi, mais ce second scrutin libre
dans l'histoire du pays devrait, selon toute vraisemblance, consacrer
la défaite du parti islamiste Ennahdha.
Ce dernier avait en effet reconnu que, selon ses propres projections, il
serait devancé par son grand rival, Nidaa Tounes. «Ils sont en avance
de plus ou moins une douzaine de sièges. Nous aurions environ 70 sièges
et eux environ 80», avait déclaré à l'AFP le porte-parole du parti
islamiste. Cela représentait une perte d'une vingtaine de sièges par
rapport à 2011. Certains médias tunisiens portent le retard d'Ennahdha
sur Nidaa à une vingtaine de sièges. Les résultats officiels devraient
être annoncés avant la fin de la semaine.
Nidaa Tounes avait basé sa campagne électorale sur le bilan
socio-économique controversé d'Ennahdha et son laxisme allégué vis-à-vis
de la mouvance djihadiste. Le parti, qui sortirait vainqueur, a annoncé
sa victoire sur sa page Facebook sans entrer dans les détails chiffrés.
Nidaa Tounes se présente sous la forme d'un assemblage hétéroclite de
personnalités de bords très divers. Ses adversaires pointent néanmoins
le nombre important de caciques de feu le régime despotique de Ben Ali.
En dépit des diverses irrégularités constatées par les observateurs (et
notamment lors du vote des Tunisiens à l'étranger), l'élection devrait
être validée par les instances compétentes. Les observateurs notent par
ailleurs d'ores et déjà avec satisfaction que les résultats non
officiels montrent qu'une alternance au goût de démocratie bien marqué
pourrait sanctionner ce scrutin.
Comme prévu en raison du système électoral en vigueur -la
proportionnelle sans seuil minimal-, aucun parti politique ne disposera
de la majorité absolue des 217 sièges dans la future assemblée. Derrière
les deux grands partis rivaux, on retrouverait une formation nouvelle
considérée comme populiste, l'Union patriotique libre (UPL, d'un jeune
homme d'affaires, Slim Riahi) avec plus de 15 sièges, le Front populaire
(gauche radicale), avec une douzaine de députés et une dizaine pour
Afek Tounes (libéral).
Une kyrielle d'autres partis se partage les restes, et quelques rares
sièges de député. Ainsi en est-il de deux partis de centre-gauche créés
par des vieux opposants à la dictature de Ben Ali. Ceux-ci -le CPR du
président Marzouki et Ettakatol du président de la Constituante Ben
Jafaar- qui avaient fait une coalition avec Ennahdha surnommée «la
Troïka» entre décembre 2011 et janvier 2014, disparaîtraient quasiment
de la carte politique, payant l'échec d'un gouvernement qui n'avait pas
su juguler la crise économique ni rassurer la population au plan
sécuritaire dans un contexte tendu marqué par plusieurs flambées de
violences djihadistes.
L'absence de majorité absolue obligera la classe politique à accoucher
d'une coalition gouvernementale rassemblant plusieurs partis, un
exercice qui risque de prendre du temps, et qui attendra d'abord le
résultat de l'élection présidentielle dont le premier tour sera organisé
dans moins d'un mois, le 23 novembre.
Il n'empêche que Nidaa Tounes, selon toute vraisemblance, aura la main.
Selon la constitution, c'est au parti arrivé en tête que le futur
président tunisien devra confier la mission d'élaborer un exécutif.
«Si la tendance des sondages sortis des urnes se confirme, ceci
montrerait une bipolarisation extrême du paysage politique tunisien,
nous dit notre confrère Taïeb Moalla, observateur attentif depuis son
pays d'adoption, le Canada. Le pays sera très difficile à gouverner, car
il sera difficile d'obtenir une majorité. Mathématiquement, la seule
option viable semble être celle d'un vaste regroupement qui réunirait
Nidaa et Ennahdha. Au risque de mécontenter des centaines de milliers
d'électeurs qui ont voté Nidaa.»
Pour notre interlocuteur, «ce fut une campagne de peur menée par Nidaa.
Et la peur, comme argument électoral, fonctionne très bien. Ce serait
donc paradoxal qu'ils s'allient en fin de compte avec Ennahdha pour
former un gouvernement. Mais ils sont assez pragmatiques pour le faire».
Et Ennahdha avait déjà annoncé qu'il privilégierait une coalition la
plus large possible...
On notera enfin que la participation aux élections législatives est
marquée par un gros tassement par rapport au premier scrutin libre
d'octobre 2011, puisque 3,1 millions d'électeurs ont rempli leur devoir
électoral dimanche contre 4,3 millions il y a tout juste trois ans. Il
s'agit visiblement du résultat d'une certaine désillusion populaire
après la révolution qui avait eu raison de la dictature. Loin de trouver
un début de solution, les problèmes sociaux ont eu plutôt tendance à
s'alourdir pour d'innombrables Tunisiens.
(28-10-2014 - Baudoin Loos, Le Soir - Belgique)
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