Dans l'église orthodoxe Mar Elias d'Alep, la diacre bénit avec son
encensoir la centaine de fidèles tandis que les chants du choeur
étouffent le bruit des bombes qui tombent à proximité.
Venues des différents quartiers sous contrôle du régime syrien, des
familles se pressent à la messe chaque dimanche à 18H00 dans cette
église tout illuminée, grâce à un puissant générateur, dans une
métropole ravagée et quasiment privée d'électricité.
"Beaucoup de coreligionnaires sont partis parce qu'ils ont perdu leur
travail et surtout parce qu'ils sont affolés par Daech" (acronyme arabe
du groupe extrémiste Etat islamique), assure Georges Bakhache,
porte-parole des communautés chrétiennes d'Alep.
"Les jihadistes ne sont pas dans la ville mais ils ne sont pas loin" et
"les chrétiens ont paniqué après avoir vu ce qu'ont subi les chrétiens
de Mossoul" lors de la prise de cette ville irakienne par le groupe
ultra-radical, indique-t-il.
En Irak, "ils ont eu comme choix de se convertir, de payer la jizya
(taxe autrefois imposée sur les non-musulmans en terre d'islam) ou de
fuir. La quasi-totalité a choisi cette dernière option", explique M.
Bakhache. Par répercutions, "cela a suscité l'épouvante chez nous et les
chrétiens sont partis au Liban, en Suède, au Canada, en Amérique et en
Arménie".
Représentant 10% de la population, les chrétiens de Syrie et ceux d'Irak
représentent les plus anciennes communautés chrétiennes du Proche et
Moyen-Orient.
Si certains sont partis, M. Bakhache assure ne pas vouloir rejoindre ses
frères et ses parents aux Etats-Unis. "Malgré tout, nous ne quitterons
pas notre terre, c'est impossible", assure-t-il, son fils de deux ans
dans les bras.
L'exode des Aleppins, chrétiens et musulmans, a débuté après la prise
par les rebelles de la moitié de l'ancienne capitale économique du pays
en 2012. Selon le géographe français Fabrice Balanche, spécialiste de la
Syrie, Alep ne compte plus qu'un million d'habitants sur les 2,5
millions qui y vivaient il y a deux ans.
Quant aux seuls chrétiens, qui étaient 250.000, "plus de la moitié sont
partis et il n'en reste que 100.000, dont 50.000 Arméniens", selon M.
Balanche.
"De nombreux chrétiens émigrés affirment que leur exil est temporaire,
qu'ils rentreront au pays dès que la situation s'améliorera et qu'il y
aura à nouveau du travail. Je suis sûr qu'un jour, ce sera le cas",
affirme, confiant, Basile Chawa, qui possède un café juste derrière Mar
Elias.
A l'église latine Saint-François, le père Imad Daher soutient que les
chrétiens "seront toujours là dans 100 ans, car c'est notre terre et il
n'y en a pas d'autres".
"On fêtera Noël, même si nous sommes beaucoup moins nombreux. Nous
célébrerons une messe de paix. Nous décorerons les arbres de Noël dans
l'église et dans les maisons", annonce le prêtre. Il n'y aura en
revanche pas de décorations extérieures "car beaucoup de sang a coulé.
Il faut respecter les martyrs".
Lui-même a été marqué dans sa chair. "Le 10 octobre 2012, à 22H00, un
obus est tombé sur l'église de la Dormition. J'ai perdu un oeil, une
prothèse en plastique a remplacé ma joue et j'ai un barre de fer avec
des vis dans mon bras".
"J'ai été soigné au Liban puis je suis rentré car le berger n'abandonne
pas son troupeau. Sinon le loup viendra dévorer les moutons ou ils
s'enfuiront", soutient le père Daher.
Les
huit communautés chrétiennes vivent dans six quartiers gouvernementaux.
Mais, de l'"autre côté", celui des rebelles, beaucoup ont fui à
l'ouest. Il en reste une centaine dans le quartier kurde de Cheikh
Maqsoud et une poignée dans le secteur rebelle de Jdaidé, près de la
ligne de démarcation.
Dans ce quartier, sur la façade de l'église rattaché au Centre
Saint-Elie pour personnes âgées, on peut lire: "Notre Seigneur Jésus
Christ, Écoute-nous". A l'intérieur, le plafond est perforé,
vraisemblablement en raison d'un bombardement.
Il ne reste plus que six hôtes, d'âge avancé, les autres étant partis
avec leurs familles dans les quartiers loyalistes, selon le responsable
du centre, Abou Youssef. "Ils ne sont jamais revenus".
(26-11-2014)
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