Vingt et un ans après les accords d'Oslo, qui devaient aboutir à la
création d'un État palestinien sous cinq ans, celui-ci n'est pas près de
voir le jour. Depuis 1993, les multiples négociations entre Israéliens
et Palestiniens se sont toutes soldées par des échecs. Ce fut encore le
cas au printemps dernier, malgré neuf mois d'efforts ininterrompus de la
part du secrétaire d'État John Kerry. Mais ce dernier s'est heurté à un
"mur" : la poursuite tous azimuts de la colonisation israélienne à
Jérusalem-Est et en Cisjordanie, pourtant illégale selon le droit
international.
Le nombre de colons israéliens en Cisjordanie était en juin dernier de
382 031, soit une augmentation de 2 % en six mois, presque le double de
la croissance démographique dans le reste du territoire israélien. À ces
colons viennent s'ajouter les quelque 200 000 Israéliens installés à
Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël depuis 1967. Si Benyamin
Netanyahou répète à l'envi qu'il est favorable à la solution à deux
États, la réalité du terrain dit une tout autre vérité : la
multiplication des implantations juives annihile simplement tout
hypothétique État palestinien.
Ce constat alimente la frustration des Palestiniens, quotidiennement
soumis aux humiliations liées à l'occupation. Depuis cet été, pas un
jour ne passe sans que des émeutes éclatent en territoire occupé, au
rythme des annonces israéliennes de nouvelles constructions ou des
visites de juifs extrémistes sur l'esplanade des Mosquées (mont du
Temple pour les juifs). Pis, le conflit politique territorial prend peu à
peu une tournure religieuse, répondant aux provocations du Hamas
palestinien et de l'extrême droite israélienne.
L'impasse politique s'est traduite par une sanglante vague d'attentats
anti-israéliens en Israël et en Cisjordanie, suivis de représailles,
parfois mortelles, contre les Palestiniens. Pour sortir de ce bourbier,
l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas a lancé une vaste offensive
diplomatique. "Il a écrit à tous les chefs d'État européens pour leur
demander de reconnaître l'État palestinien, afin de renforcer ce statut
dans le cadre de futures négociations et ainsi de ne plus dépendre de la
bonne volonté d'Israël", explique Yves Aubin de La Messuzière, ancien
directeur Afrique-Moyen-Orient au Quai d'Orsay et expert du dossier.
Cette stratégie commence à porter ses fruits. Fin octobre, la Suède a
été le premier pays majeur de l'Union européenne à reconnaître
unilatéralement l'État palestinien, et le 135e pays de la planète. Et si
les autres chancelleries occidentales ne lui ont pas emboîté le pays,
ce sont les Parlements nationaux qui s'en sont chargés. L'Irlande, le
Royaume-Uni ou encore l'Espagne ont adopté des résolutions symboliques
enjoignant à leur gouvernement de reconnaître la Palestine. "C'est la
traduction d'un mouvement de fond au sein des opinions publiques
européennes, qui considèrent que le conflit israélo-palestinien garde
une importance centrale dans l'épisode chaotique que traverse
actuellement le monde arabe", explique Yves Aubin de La Messuzière.
Cette vague de "reconnaissance" arrive en France. Sur proposition du
groupe socialiste, un texte portant sur "la reconnaissance de l'État de
Palestine" a été présenté ce vendredi à l'Assemblée nationale. Jugeant
que "l'impasse des négociations entretient un foyer d'instabilité et
affecte dangereusement la paix dans toute la région", le projet de
résolution estime que "la reconnaissance de l'État palestinien doit
s'accompagner d'un retour salutaire et immédiat à la négociation". Par
conséquent, il "invite le gouvernement à reconnaître l'État de Palestine
en vue d'obtenir un règlement définitif du conflit".
Le vote, non contraignant, doit avoir lieu le mardi 2 décembre, tandis
qu'un texte identique doit être examiné au Sénat le 11 décembre. Au
grand dam de l'ambassadeur d'Israël en France, Yossi Gal, pour qui le
débat risque d'"exacerber la situation en France". Ce n'est pas l'avis
du député socialiste Benoît Hamon qui affirme au site Metronews qu'il a
"plutôt l'impression que ce sont les violences là-bas (au Proche-Orient)
qui ont entraîné les violences ici (en France). À chaque fois que l'on
veut faire un pas en faveur d'une solution négociée, on nous dit que ce
n'est pas le bon moment", ajoute l'ancien ministre.
Selon toute vraisemblance, le "oui" devrait l'emporter à l'Assemblée
grâce à la majorité de gauche. Toutefois, le vote ne devrait pas
bénéficier du soutien de la droite. Pour le président du groupe UMP,
Christian Jacob, la reconnaissance de l'État palestinien est "clairement
dans le domaine réservé de l'exécutif". Pourtant, il semble bien que la
démarche ait bénéficié de la bénédiction du gouvernement.
"Le processus de paix n'avance pas", confie une source diplomatique.
"Depuis cet été et la crise de Gaza, le discours et la logique ont donc
été renversés. Si, dans un monde idéal, l'État palestinien doit être le
fruit de négociations, il serait possible d'utiliser la reconnaissance
comme un outil pour accélérer le processus de paix" : en clair,
reconnaître au préalable l'État palestinien pour contraindre Israël à
réellement négocier. En août dernier, Laurent Fabius était monté au
créneau en annonçant qu'il "faudrait bien, à un moment, reconnaître
l'État palestinien".
Relativement absente du dossier au cours des dernières années, la France
semble aujourd'hui vouloir reprendre l'initiative. Devant l'Assemblée
nationale, Laurent Fabius a indiqué que la diplomatie française oeuvrait
avec ses partenaires pour faire adopter une résolution au Conseil de
sécurité afin d'aboutir à un règlement définitif du conflit
israélo-palestinien sous deux ans. Une conférence internationale devrait
également être organisée à Paris. "Nous assistons aujourd'hui à une
nouvelle donne", souligne Yves Aubin de La Messuzière. "La volonté est
de changer l'enceinte des négociations - pour rejoindre le cadre
multilatéral de l'ONU - afin d'imposer la paix, avec un retour aux
frontières de 1967 et des aménagements à négocier."
"Si cette tentative ultime de solution négociée n'aboutit pas, a précisé
vendredi le ministre des Affaires étrangères, alors il faudra que la
France prenne ses responsabilités en reconnaissant sans délai l'État de
Palestine, et nous y sommes prêts."
(28-11-2014
- Armin Arefi)
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