Toutes les semaines, Faouzia Zorgui se rend sur la tombe de son fils mort
en garde à vue, selon elle sous les coups de la police. Une année est
passée mais, comme souvent en Tunisie, sa plainte est restée au point
mort.
"Il n'y a rien, toujours rien", explique à l'AFP Mme Zorgui après avoir
nettoyé la pierre blanche sous laquelle repose Walid Denguir au
cimetière du Jallez, à Tunis. "La plainte dort toujours à l'instruction,
je ne comprends pas pourquoi".
Walid, 34 ans, avait déjà eu des démêlés avec la justice, notamment pour
des affaires liées au cannabis. Le 1er novembre 2013, il est de nouveau
arrêté.
"On m'a dit qu'ils l'avaient emmené vers 16H. Avant 17H, j'ai reçu
l'information selon laquelle mon fils avait été arrêté, et après
quelqu'un a appelé pour me dire qu'il était mort. En 45 minutes, ils
l'ont mis en morceaux", martèle sa mère.
"Mon fils est mort sous la torture", soutient-elle, décrivant "les
traces de coups et le sang qui lui sortait du nez, d'une oreille et de
la bouche". Le rapport d'autopsie, dont l'AFP a pu prendre connaissance,
fait état de coups portés avec un "objet contondant" mais n'établit pas
de cause du décès.
Pour sa mère, Walid a été soumis au supplice du "poulet rôti", le corps
ficelé et suspendu, un procédé répandu sous le régime de Zine El Abidine
Ben Ali, renversé en janvier 2011 par une révolution qui s'est
notamment faite au nom des droits de l'Homme et de la "dignité".
Mais ces méthodes, monnaie courante avant la fuite du dictateur
tunisien, sont loin d'avoir été éradiquées, notamment car aucune réforme
de la police ou de la justice n'a été entreprise. Le sujet est aussi
quasi-absent du débat public malgré l'approche des législatives du 26
octobre.
En juin, tout en notant "des développements très encourageants" dans le
domaine des droits de l'Homme, le rapporteur des Nations unies sur la
torture, Juan E. Méndez, avait jugé "décevants" les efforts de la
Tunisie en la matière.
"Beaucoup
de plaintes ont été déposées parce que les gens n'ont plus peur de
porter plainte, mais malheureusement il y a très peu de suivi de la part
des procureurs et des juges", avait-il déploré.
D'après le ministère de la Justice, près de 250 affaires de torture sont aujourd'hui devant la justice.
Selon Amna Guellali, la représentante de l'ONG Human Rights Watch à
Tunis, "en façade, on peut dire qu'il y a des avancées institutionnelles
et législatives", comme l'interdiction d'utiliser les aveux obtenus
sous la torture et la garantie de l'intégrité physique, inscrite dans la
nouvelle Constitution.
"Mais le problème essentiel est le suivi de ces dossiers. On a un
nouveau système qui est en train d'être mis en place mais tout en étant
basé sur les fondements d'un ancien système, c'est-à-dire que la justice
n'a pas encore fait tout à fait sa révolution", ajoute-t-elle.
Parmi les causes de ces "dysfonctionnements" selon Mme Guellali,
figurent le fait que "la police judiciaire obéit au ministère de
l'Intérieur, ce qui est une aberration". Par ailleurs, aucune instance
spécialisée ne traite des dossiers de torture.
Le ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah, reconnaît la "lenteur" du
traitement des plaintes ainsi que la nécessité de réformes et de
formation des agents de police et des prisons "pour qu'ils fassent leur
travail sans recourir à des méthodes illégales".
"Nous sommes en train d'essayer de mettre en place un certain nombre de
garanties pour juguler ce phénomène. Les comportements ne changent pas
rapidement, malheureusement, et certaines pratiques, on a du mal à les
combattre pour les faire disparaître", admet-il à l'AFP.
Le
ministère a préparé un projet de loi préconisant notamment "la présence
de l'avocat (...) dès les premières heures de l'arrestation" selon le
ministre, ce qui permettrait de "réduire les cas et les espaces où en
général on exerce les mauvais traitements". M. Ben Salah est aussi
favorable à l'indépendance des médecins du système carcéral.
En attendant, Faouzia Zorgui réclame justice. "Je veux que ceux qui ont
tué mon fils rendent des comptes, pour que mon fils repose en paix",
dit-elle. "Pourquoi les couvrir? Pourquoi l'ont-ils tué? Je veux qu'ils
payent".
(24-10-2014)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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