En faisant tomber le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, les Libyens
rêvaient d'un Dubaï et d'un avenir meilleur. Trois ans plus tard, ils
craignent le scénario somalien dans un pays plongé dans le chaos et
livré aux milices.
Le 23 octobre 2011, trois jours après la capture et la mort de Mouammar
Kadhafi, les autorités de transition avaient proclamé la "libération
totale" du pays, depuis Benghazi (est), deuxième ville du pays et
berceau de la révolte, au terme de huit mois de conflit.
Les autorités n'ont annoncé aucun programme pour fêter cette journée
désormais fériée en Libye. Le contexte ne s'y prête guère car des
combats meurtriers font rage depuis plusieurs jours à Benghazi comme
dans l'ouest du pays entre des forces pro-gouvernementales et des
milices rivales.
"Quand on a annoncé la +libération+ du pays, on avait pour ambition de
devenir un nouveau Dubaï grâce aux revenus du pétrole. Aujourd'hui, nous
craignons un scénario à la somalienne ou à l'irakienne", déplore
Mohmamed al-Karghali, un instituteur de 39 ans ayant participé à la
rébellion de 2011.
De nombreux Libyens avouent même regretter le passé. "Les conflits
régionaux, idéologiques et tribaux sont pires que le règne du dictateur"
Kadhafi, lance Salah Mahmoud Al-Akouri, un médecin de Benghazi. "Un
certain nombre de Libyens songent à l'ancien régime malgré la haine
qu'il portent à Kadhafi".
Si la guerre de 2011 a coûté la vie à des milliers de Libyens, les
violences post-révolution ont été tout autant meurtrières, souligne
l'expert militaire Suleiman al-Baraassi.
Pour cet ancien officier, la dégradation de la sécurité a été nourrie par l'impunité.
Les autorités de transition ont en effet échoué à former des nouvelles
armée et police professionnelles, s'appuyant plutôt sur des milices qui
leur sont loyales par moments mais qui se retournent contre elles
lorsque leurs intérêts sont menacés.
Ces milices ont été formées par les ex-rebelles sur des bases idéologiques, tribales, régionales voire criminelles.
Devenue le fief des islamistes radicaux, Benghazi a été la plus affectée
par les violences qui ont visé les services de sécurité, les
journalistes, les activistes politiques ainsi que des intérêts
occidentaux.
La
ville désertée par les représentations diplomatiques, est tombée en
juillet aux mains de milices islamistes qui en ont chassé les forces
pro-gouvernementales.
Près d'une centaine de personnes ont été tuées la semaine dernière dans
une nouvelle offensive lancée par des forces loyales à l'ex-général
Khalifa Haftar, dans une nouvelle tentative de reconquérir la ville.
Cet homme controversé avait été accusé par les autorités de transition
de fomenter un coup d'Etat lorsqu'il avait lancé en mai une opération
contre les islamistes. Mais celles-ci ont finalement décidé de l'appuyer
après avoir perdu tout contrôle sur le pays.
La capitale Tripoli est en effet tombée à son tour fin août aux mains
d'une coalition de milices, à l'issue de plusieurs semaines de combats
meurtriers contre les milices pro-gouvernementales de Zentan.
L'offensive menée par Fajr Libya, une coalition de milices de Misrata et
des islamistes, est intervenue peu avant la prise de fonction du
nouveau parlement dominé par les anti-islamistes et issu des élections
du 25 juin, deuxième scrutin libre de la période post-Kadhafi et dans
l'histoire du pays.
Ces violences et l'insécurité persistante à Tripoli, ont poussé la
grande majorité des pays occidentaux à évacuer leurs ressortissants et à
fermer ambassades et entreprises, aggravant l'isolement de ce pays.
Le gouvernement et le parlement reconnus par la communauté
internationale ont été contraints de s'exiler à l'extrême-est du pays,
tandis que leurs rivaux formaient un gouvernement parallèle à Tripoli.
Le sud du pays est aussi le théâtre d'affrontements tribaux dans le
cadre d'une lutte d'influence pour le contrôle de la contrebande dans le
désert.
Les espoirs d'un essor économique et d'une transition démocratique
paisible se sont ainsi évanouis dans ce riche pays pétrolier, où les
combats détruisent quotidiennement ce qui reste d'infrastructures déjà
vétustes.
L'universitaire
Mohamed al-Kawach met en cause la communauté internationale, en
particulier les pays ayant participé aux opérations aériennes qui ont
accéléré la chute de Kadhafi. Ils ont "abandonné la Libye" et ne l'ont
pas "aidée à se reconstruire", accuse-t-il.
Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon s'est récemment rendu à
Tripoli où il a exhorté les Libyens à cesser les affrontements, sans
être entendu jusqu'à présent.
"Soyons clairs: sans un arrêt immédiat des affrontements violents et
sans le rétablissement d'une paix durable, prospérité et vie meilleure
seront un rêve lointain", a-t-il prévenu.
(22-10-2014)
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