L'Equipe féminine de football "Afak Relizane" s'entraîne sur le stade de Relizane, à l'ouest d'Alger, le 16 février 2017 (Afp)
"A sept ans, en sortant de l'école, je balançais mon cartable et
j'allais jouer au foot avec les garçons du quartier", se remémore
Fathia. Vingt ans plus tard, la jeune femme n'a pas renoncé aux crampons
et joue milieu de terrain.
Sur la pelouse du stade de Relizane, à l'ouest d'Alger, elle se démarque
avant de faire une passe décisive. Fathia, qui est aussi membre de
l'équipe nationale, s'entraîne avec ses 14 camarades sous le regard
exigeant de leur entraîneur, Sid Ahmed Mouaz.
En 1997, alors que la guerre civile faisait rage dans le pays, M. Mouaz,
quelques passionnés de foot et des pionnières ont lancé l'équipe
féminine +Afak Relizane+, l'une des premières en Algérie - qui en compte
une dizaine aujourd'hui.
A l'époque, les islamistes armés interdisaient tout sport féminin,
malgré une instruction ministérielle appelant au contraire à encourager
l'activité sportive des filles.
Relizane est sortie de l'anonymat en 1997 avec le pire massacre de la
"décennie noire", plus de 1000 morts. "Les terroristes m'avaient envoyé
une lettre pour exiger l'arrêt du foot féminin," confie l'entraîneur
qui leur a tenu tête.
"Des filles se sont fait insulter, cracher dessus à la sortie du stade
(...) Pour certains esprits rétrogrades encore aujourd'hui, une fille de
bonne famille ne joue pas au foot", déplore-t-il.
"Rentre chez toi faire la cuisine" ou encore "trouve-toi un mari" sont
des phrases que la plupart des filles ont entendu un jour.
Issues majoritairement de milieux modestes, les joueuses ont réussi à
convaincre leurs proches d’accepter leur passion, en dépit des préjugés
et d'une reconnaissance financière quasi inexistante.
Dans le stade, elles ont leur "pavillon": un dortoir, quelques armoires,
une télévision et une chaine hifi. Après les entraînements, grâce au
wifi, elles discutent avec le monde extérieur via Facebook, l'oreille
scotchée à leur smartphone.
Le club, qui ne les rémunère pas, les encourage à continuer une formation ou leur trouve un travail qui leur permette de vivre.
A Relizane, une ville populaire de près d'un million d'habitants, nichée
au coeur d'une région agropastorale, quasiment toutes les femmes sont
voilées.
"Je suis fière de ma fille mais je serais plus tranquille si elle
arrêtait le ballon, se mariait et se voilait comme les autres femmes de
la région", lâche Fatma, la mère de Fathia.
Cette veuve et mère de six enfants n'a qu'une angoisse: mourir avant que sa fille ne trouve un mari.
Chaque fois qu'elles sont "approchées" par un garçon, c'est le même
refrain, regrettent les joueuses: "le ballon ou le mariage".
Les filles se voient contraintes de choisir entre le mariage, synonyme
d'une fin de carrière dans le football, et le célibat pour vivre leur
passion.
Mouna, attaquante, laissera tomber le ballon rond en mars après son mariage.
"S'il y avait des motivations, elles continueraient à jouer même après
le mariage", veut croire leur entraîneur. Mais aucun sponsor ne
s'intéresse à l'équipe des filles, et les caisses sont souvent vides,
dans un pays où le foot féminin reste amateur.
Le budget annuel accordé par la préfecture au club de Relizane est de
3,2 millions de dinars (27.000 euros) et une victoire en Coupe d’Algérie
rapporte au club 1,5 million de dinars (12.800 euros). Quant au
championnat, il ne vaut à l'équipe lauréate qu'un trophée.
Pourtant le club de Relizane a dominé ces dernières années toutes les
compétitions nationales face aux équipes de grandes villes, comme celle
d'Alger centre, en remportant depuis 2009 six coupes et sept
championnats d'Algérie, en plus de deux coupes maghrébines.
Une fierté pour la ville, admettent certains habitants. Mais quand les
filles jouent à domicile, peu de Relizanis se déplacent pour les
soutenir.
"On ne finance pas une équipe de foot féminine à Relizane", déplorent
plusieurs joueuses déçues de bénéficier de si peu de considération alors
qu'elles excellent dans leur domaine. Six d'entre elles jouent en
équipe nationale.
Sur le parking du stade, le contraste est saisissant entre le luxueux
bus des hommes, aux couleurs des sponsors, et le mini-bus sans fard des
joueuses.
Quand elles remportent un match, elles reçoivent 1.500 dinars (12 euros), "une misère" selon M. Mouaz.
Pour leur dernière victoire, le wali (préfet) a reçu les filles pour
"les honorer". Alors qu'elles espéraient un petit geste financier, elles
se sont vu offrir un sac de sport et un survêtement.
"Tout a été fait pour casser cette équipe mais l'amour du foot est plus
fort que les esprits rétrogrades", résume l'un des fondateurs d'Afak
Relizane.
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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