jeudi 12 février 2015

Liban: Dix ans après le meurtre de Hariri, le pays peine à se relever

"Dix ans, 100 ans, 1.000 ans après, on te restera fidèle": sur les murs de Beyrouth, des affiches réveillent le souvenir de Rafic Hariri une décennie après son meurtre, dont l'onde de choc au Liban s'est ravivée avec la guerre en Syrie.
L'attentat du 14 février 2005 ayant coûté la vie à l'ex-Premier ministre milliardaire a poussé Damas, pointé du doigt pour ce meurtre, à retirer ses troupes postées depuis 30 ans. De nombreux Libanais ont alors cru en une nouvelle ère où leur pays serait libéré de l'hégémonie de son grand voisin syrien.
Mais l'espoir est de courte durée. Rapidement, le Liban se fracture entre un camp hostile à Damas appuyé par Washington et Ryad, et un autre partisan de la Syrie et de l'Iran, plongeant le pays dans des crises récurrentes.
Le conflit syrien qui débute en 2011 exacerbe ces divisions, notamment lorsque le Hezbollah vole au secours de son protecteur, Bashar al-Assad.
La République du Cèdre est aujourd'hui sans président depuis huit mois, du jamais vu depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). Sa modeste armée est harcelée par des jihadistes à la frontière syrienne et son peuple désabusé craint à tout moment un embrasement.
"Depuis l'assassinat de Hariri, le pays s'est effondré", affirme un habitant d'Aïn el-Mreissé, le quartier où un kamikaze avait fait exploser sa camionnette piégée il y a dix ans contre le convoi du dirigeant, le tuant ainsi que 22 autres personnes.
Pour les analystes, la décennie qui a suivi l'assassinat a consacré la prééminence du Hezbollah, allié de l'Iran et accusé de s'arroger le droit de guerre et de paix.
"Ce meurtre a eu l'effet d'un coup d'Etat", note Hilal Khashan, professeur de sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth. Hariri "représentait le projet saoudien et avec son élimination, c'est le projet iranien qui a pris le dessus".
"Le Liban est alors entré dans l'orbite de Damas, de Téhéran et du Hezbollah, et cet axe l'emporte encore jusqu'à présent", renchérit Daoud al-Sayegh, ancien conseiller du dirigeant assassiné.
Surnommé "Monsieur Liban", Hariri, architecte de la reconstruction, voulait "transformer le pays en un symbole de la modération et un garde-fou contre l'extrémisme", selon M. Khashan. Connu pour sa patience, "il représentait le courant sunnite modéré et après son meurtre, des extrémistes sunnites sont apparus".
Premier ministre sous la houlette syrienne de 1992 à 1998, puis de 2000 à 2004, le milliardaire est passé dans l'opposition après la reconduction du président Emile Lahoud imposée par Damas.
Soutenu par Ryad et grand ami de Jacques Chirac, il a appuyé la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU appelant au départ des troupes étrangères du Liban, "ce que les Syriens ne lui ont jamais pardonné", d'après M. Khashan.
"Hariri a remis le Liban sur la carte mondiale, cela a énervé" la puissance tutélaire, selon M. Sayegh.
-'Otages des conflits'-
Ses "rêves étaient incompatibles avec ceux des Syriens", témoigne le député Marwan Hamadé, un proche de M. Hariri, devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé de juger les responsables du meurtre.
Cette instance, la première du genre, juge par contumace depuis janvier 214 cinq membres du Hezbollah, mais le parti, qui ne reconnaît pas le TSL, refuse de les livrer.
Le choc de l'assassinat aurait pu être "un évènement fondateur pour l'union du pays", affirme à l'AFP Farès Souaid, un dirigeant de la coalition anti-régime syrien née après l'attentat.
Mais "dix ans plus tard, on assiste à la fragilisation de l'Etat et à un retour des communautés sur leurs barricades", regrette-t-il.
Critiqué pour avoir marié politique et affaires et pour la dette exorbitante de la reconstruction, Rafic Hariri était néanmoins loué pour avoir attiré les investisseurs et relancé le tourisme.
Dix ans après son meurtre, les blocages politiques, les violences et le flux de réfugiés syriens ont laminé l'économie et fait fuir les visiteurs.
Lundi, un député du Hezbollah s'est félicité du fait que le Liban soit passé d'une destination touristique à un pays "fort" grâce à sa "résistance".
Pour M. Sayegh, "les Libanais ne sont pas parvenus à se libérer d'une situation où ils sont otages des conflits de la région".

(11-02-2015)

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