"Dix ans, 100 ans, 1.000 ans après, on te restera fidèle": sur les murs
de Beyrouth, des affiches réveillent le souvenir de Rafic Hariri une
décennie après son meurtre, dont l'onde de choc au Liban s'est ravivée
avec la guerre en Syrie.
L'attentat du 14 février 2005 ayant coûté la vie à l'ex-Premier ministre
milliardaire a poussé Damas, pointé du doigt pour ce meurtre, à retirer
ses troupes postées depuis 30 ans. De nombreux Libanais ont alors cru
en une nouvelle ère où leur pays serait libéré de l'hégémonie de son
grand voisin syrien.
Mais l'espoir est de courte durée. Rapidement, le Liban se fracture
entre un camp hostile à Damas appuyé par Washington et Ryad, et un autre
partisan de la Syrie et de l'Iran, plongeant le pays dans des crises
récurrentes.
Le conflit syrien qui débute en 2011 exacerbe ces divisions, notamment
lorsque le Hezbollah vole au secours de son protecteur, Bashar al-Assad.
La République du Cèdre est aujourd'hui sans président depuis huit mois,
du jamais vu depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). Sa modeste
armée est harcelée par des jihadistes à la frontière syrienne et son
peuple désabusé craint à tout moment un embrasement.
"Depuis l'assassinat de Hariri, le pays s'est effondré", affirme un
habitant d'Aïn el-Mreissé, le quartier où un kamikaze avait fait
exploser sa camionnette piégée il y a dix ans contre le convoi du
dirigeant, le tuant ainsi que 22 autres personnes.
Pour les analystes, la décennie qui a suivi l'assassinat a consacré la
prééminence du Hezbollah, allié de l'Iran et accusé de s'arroger le
droit de guerre et de paix.
"Ce meurtre a eu l'effet d'un coup d'Etat", note Hilal Khashan,
professeur de sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth.
Hariri "représentait le projet saoudien et avec son élimination, c'est
le projet iranien qui a pris le dessus".
"Le Liban est alors entré dans l'orbite de Damas, de Téhéran et du
Hezbollah, et cet axe l'emporte encore jusqu'à présent", renchérit Daoud
al-Sayegh, ancien conseiller du dirigeant assassiné.
Surnommé "Monsieur Liban", Hariri, architecte de la reconstruction,
voulait "transformer le pays en un symbole de la modération et un
garde-fou contre l'extrémisme", selon M. Khashan. Connu pour sa
patience, "il représentait le courant sunnite modéré et après son
meurtre, des extrémistes sunnites sont apparus".
Premier ministre sous la houlette syrienne de 1992 à 1998, puis de 2000 à
2004, le milliardaire est passé dans l'opposition après la reconduction
du président Emile Lahoud imposée par Damas.
Soutenu par Ryad et grand ami de Jacques Chirac, il a appuyé la
résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU appelant au départ des
troupes étrangères du Liban, "ce que les Syriens ne lui ont jamais
pardonné", d'après M. Khashan.
"Hariri a remis le Liban sur la carte mondiale, cela a énervé" la puissance tutélaire, selon M. Sayegh.
-'Otages des conflits'-
Ses "rêves étaient incompatibles avec ceux des Syriens", témoigne le
député Marwan Hamadé, un proche de M. Hariri, devant le Tribunal spécial
pour le Liban (TSL), chargé de juger les responsables du meurtre.
Cette instance, la première du genre, juge par contumace depuis janvier
214 cinq membres du Hezbollah, mais le parti, qui ne reconnaît pas le
TSL, refuse de les livrer.
Le choc de l'assassinat aurait pu être "un évènement fondateur pour
l'union du pays", affirme à l'AFP Farès Souaid, un dirigeant de la
coalition anti-régime syrien née après l'attentat.
Mais "dix ans plus tard, on assiste à la fragilisation de l'Etat et à un
retour des communautés sur leurs barricades", regrette-t-il.
Critiqué pour avoir marié politique et affaires et pour la dette
exorbitante de la reconstruction, Rafic Hariri était néanmoins loué pour
avoir attiré les investisseurs et relancé le tourisme.
Dix ans après son meurtre, les blocages politiques, les violences et le
flux de réfugiés syriens ont laminé l'économie et fait fuir les
visiteurs.
Lundi,
un député du Hezbollah s'est félicité du fait que le Liban soit passé
d'une destination touristique à un pays "fort" grâce à sa "résistance".
Pour M. Sayegh, "les Libanais ne sont pas parvenus à se libérer d'une situation où ils sont otages des conflits de la région".
(11-02-2015)
Lancé le 19 décembre 2011, "Si Proche Orient" est un blog d'information internationale. Sa mission est de couvrir l’actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord avec un certain regard et de véhiculer partout dans le monde un point de vue pouvant amener au débat. "Si Proche Orient" porte sur l’actualité internationale de cette région un regard fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue.Il propose un décryptage approfondi de l’actualité .
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